Eco Conjoncture

Les pays du Golfe face au défi de la transition énergétique

09/03/2023
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Les pays du Golfe - Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar - bénéficient d’une conjoncture économique très porteuse. La discipline du cartel des pays producteurs de pétrole et les tensions géopolitiques internationales maintiennent les prix du pétrole et du gaz à un niveau élevé, ce qui est favorable aux comptes budgétaires et extérieurs de pays toujours très dépendants de la rente pétrolière. Contrairement aux précédentes périodes d’embellie économique, il semble que la plupart des gouvernements maintiennent une certaine discipline budgétaire qui, à moyen terme, devrait réduire la vulnérabilité aux variations des revenus pétroliers. À plus long terme, le changement climatique et la transition énergétique constituent un défi existentiel pour ces économies basées sur l’exploitation des hydrocarbures. Tandis que les conditions de production sont favorables au maintien de la rente pétrolière dans un premier temps, les perspectives ouvertes par les alternatives aux hydrocarbures restent pour le moment très incertaines.

Depuis environ une décennie, les pays du Golfe (CCG) font face à deux phénomènes majeurs : d’une part, les bouleversements du marché pétrolier à partir de 2014 aux conséquences macroéconomiques douloureuses, et d’autre part, la prise de conscience accrue des conséquences du changement climatique. Ce dernier tend à accélérer la transition énergétique, source de bouleversements majeurs pour ces économies structurellement dépendantes des hydrocarbures. Ces deux contraintes ont poussé les gouvernements à agir dans deux directions : accélérer les réformes économiques afin de réduire la dépendance au pétrole, et préparer l’après-pétrole grâce à un effort de transformation des économies.

Rebond conjoncturel

Depuis 2021, le rebond des prix du pétrole a été un élément de soutien à l’activité et a sensiblement amélioré les indicateurs macroéconomiques dans le Golfe. Néanmoins, cette embellie fait suite à cinq années difficiles pendant lesquelles les déséquilibres se sont accentués et la croissance est restée inférieure aux autres pays émergents.

Une croissance en retrait des autres économies émergentes jusqu’en 2020

Les économies du Golfe ont fortement ralenti entre 2016 et 2020 en raison des conséquences de la baisse des prix du pétrole et de la pandémie de Covid-19. Sur le marché du pétrole, le développement du pétrole de schiste a permis aux États-Unis de reprendre une place majeure sur le marché pétrolier mondial (devenant le premier producteur mondial à partir de 2017) et a amené les producteurs du Golfe à renforcer l’influence du cartel de l’OPEP en l’élargissant à d’autres pays producteurs (principalement la Russie), et à réduire leur production de pétrole afin de soutenir les prix. Par ailleurs, la récession économique mondiale de 2020 a significativement réduit la demande d’énergie et a forcé à nouveau les producteurs à restreindre leur production.

Ainsi, dans le Golfe, la production de pétrole brut a été réduite de 10% entre 2016 et 2020. Sur cette période, le PIB pétrolier (environ 37% du PIB total en moyenne durant cette période, il inclut certains produits raffinés dérivés du pétrole) s’est replié de 1,1% alors qu’il avait progressé de 4,3% au cours des cinq années précédentes. Dans le même temps, la baisse des prix a entraîné une chute de 45% des recettes cumulées d’exportation pétrolière entre 2011-15 et 2016-20.

Croissance du PIB réel (moyenne pays du Golfe)

Dans ce contexte défavorable, les économies du Golfe ont enregistré une croissance inférieure à celle de l’ensemble des pays émergents et en développement (PEMD). Selon le FMI, ces derniers ont progressé de 4,4% en moyenne entre 2016 et 2019, contre 1,3% pour les pays du Golfe, et 1,6% si on ne prend en compte que le PIB non pétrolier. Cette sous-performance souligne, sans surprise, la persistance du lien entre revenus pétroliers et activité économique dans le Golfe. En 2020, malgré le rôle relativement limité joué par le secteur des services dans la formation du PIB, la récession a été plus prononcée dans le Golfe que pour l’ensemble des pays émergents (-4,6% dont -4,3% pour le PIB non pétrolier contre -1,9% pour le PIB des PEMD). La réduction du nombre de travailleurs expatriés dans un contexte de pandémie a pu être un facteur d’accélération de la récession.

Reprise économique modérée

Croissance du PIB réel

Avec la reprise économique mondiale amorcée en 2021, le marché pétrolier est redevenu beaucoup plus favorable aux pays producteurs.

Dans ce contexte, la production pétrolière du cartel élargi OPEP+ a pu repartir à la hausse à partir de mi-2021, principalement en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis (EAU) qui disposent des principales capacités de production non utilisées et mobilisables à court terme. Néanmoins, les économies du Golfe sont restées largement à l’écart de la reprise économique constatée dans le reste du monde. Tandis que le rebond atteignait 6,8% en moyenne pour les PEMD, il n’était que de 2% en moyenne dans le Golfe (4% pour les secteurs non pétroliers). Ce n’est qu’en 2022 que la croissance sera supérieure à celle des autres pays émergents (6% dans le Golfe contre 3,8% pour les PEMD), principalement grâce à l’augmentation de la production pétrolière.

Indice des prix à la consommation et prix immobilier

Au cours de la dernière décennie, malgré les investissements importants dans le domaine des infrastructures (notamment liés aux programmes de type « Vision 2030 ») et les progrès réalisés dans la diversification économique, la dépendance au pétrole a peu diminué, ce qui freine la croissance. La relative modération de la croissance hors hydrocarbures s’explique notamment par les difficultés durables du secteur immobilier (qui, après avoir été un moteur économique dans le Golfe durant la décennie 2000-10, souffre d’une surabondance de l’offre depuis de nombreuses années[1]) et une politique budgétaire moins pro-cyclique depuis quelques années.

À ces facteurs structurels s’ajoute actuellement la hausse des taux d’intérêt directeurs dans l’ensemble de la région, l’ancrage des monnaies sur le dollar US obligeant les autorités monétaires nationales à suivre la politique monétaire américaine, même si les pressions inflationnistes y sont moindres.

Les conséquences de ce durcissement monétaire sur l’activité devraient être limitées, comme le suggère une analyse de l’International Institute of Finance[2] sur le lien entre la hausse des taux américains et la croissance du PIB hors hydrocarbures. En effet, cette relation est d’autant plus faible que les prix du pétrole sont élevés, ce qui est le cas actuellement.

L’inflation reste sous contrôle

Dans un environnement international caractérisé par de fortes pressions inflationnistes, celles-ci devraient rester modérées en 2022, autour de 3,6% en moyenne dans l’ensemble de la région (contre 9,9% attendu pour les PEMD selon le FMI). Les prix des biens alimentaires et, dans une moindre mesure, le coût du logement sont les principaux moteurs de la hausse des prix. La composante « logement » croît d’une manière inégale suivant les pays, mais le mouvement de hausse est général après de nombreuses années de baisse ou de stagnation des prix.

La relative modération des pressions inflationnistes s’explique principalement par trois éléments : le maintien de subventions ou de prix plafond sur certains types de biens (biens essentiels ou carburants par exemple), l’absence de pression à la hausse sur les loyers dans un contexte où l’offre reste malgré tout excédentaire, l’appréciation du dollar américain et la modération induite de l’inflation importée. Le repli des prix mondiaux des matières premières agricoles au cours du second semestre 2022 et les perspectives de croissance mondiale défavorables en 2023 devraient contribuer à la réduction des pressions inflationnistes en 2023 (2,6% en moyenne annuelle attendu contre 8,1% pour les PEMD).

Rétablissement des comptes publics

À partir de 2021, la hausse des prix du pétrole a permis aux finances publiques de sortir de sept années de dégradation continue. Depuis 2015, les déficits budgétaires sont récurrents et assez élevés (5,1% en moyenne entre 2015 et 2021). La plupart des pays ont pu traverser cette période au prix d’une hausse de leur endettement net, mais sans remise en cause de leur solvabilité. Cela a été rendu possible par des actifs publics élevés, des niveaux de dette publique modérés et des conditions de financement favorables sur les marchés internationaux des capitaux.

Solde budgétaire et solde courant, moyenne CCG

Toutefois, la dégradation de la situation financière de Bahreïn et d’Oman, conséquence de cinq années successives de déficits budgétaires élevés, a pu soulever des interrogations quant à leur solvabilité, et leur capacité à rembourser leur dette en devises.

Entre 2015 et 2020, le déficit budgétaire a atteint en moyenne 15% du PIB à Bahreïn et 13% du PIB en Oman. Au contraire, le Qatar et les EAU ont limité les déficits budgétaires durant cette période grâce à des revenus relativement plus diversifiés et à des dépenses contenues. Les déficits ont été importants en Arabie saoudite, mais les indicateurs de solvabilité sont restés confortables.

Au Koweït, un blocage politique a provoqué des tensions temporaires sur la liquidité du gouvernement mais sans remettre en cause la solvabilité de l’État, compte tenu du niveau très élevé des actifs souverains.

Emission d'obligations internationales, total CCG

À partir de 2015, les États ont procédé à des ventes d’actifs pour financer les déficits budgétaires. Néanmoins, la majeure partie a été couverte par des émissions de dette sur les marchés locaux et internationaux. Les primes de risque sont restées modérées, reflet d’une demande soutenue des investisseurs internationaux pour des signatures souveraines bien notées et mieux rémunérées que les emprunts d’État des économies avancées durant cette période.

Exprimée en pourcentage du PIB, la dette des gouvernements a été multipliée par trois entre 2015 et 2020 pour atteindre 41% du PIB en moyenne. Elle a doublé à Bahreïn pour atteindre 130% du PIB, et a été multipliée par 4,4 en Oman s’élevant à 70% du PIB. La charge d’intérêts de la dette du gouvernement exprimée en pourcentage des revenus totaux a atteint 10% en 2021 en Oman (contre 0,4% en 2015) et 27% à Bahreïn (14% en 2015).

Dette publique et service de la dette

En 2022 et en 2023, la région devrait afficher un excédent budgétaire respectivement de 7,1% et 4% du PIB en moyenne. Ces excédents alimenteront les stocks d’actifs gouvernementaux et participeront à la baisse modérée de la dette des gouvernements amorcée en 2021.

En effet, la priorité des gouvernements n’est pas de réduire la dette mais plutôt d’en améliorer le profil en continuant notamment d’émettre sur des maturités plus longues si les conditions de marché sont favorables. Malgré les excédents budgétaires attendus, les gouvernements continuent d’émettre de la dette afin de développer le marché de la dette locale en augmentant sa liquidité et en diversifiant les maturités.

Ainsi, en Arabie saoudite les émissions gouvernementales de sukuk ont fortement augmenté ces dernières années. Sur les dix premiers mois de l’année, ces émissions ont atteint environ USD 20 mds (2,1% du PIB).

Des réformes favorables à moyen terme

Au-delà des aléas conjoncturels, les gouvernements ont pour la plupart mis en place des réformes susceptibles de réduire leur dépendance au pétrole. Ainsi, la diversification économique progresse. Cette progression est lente en termes sectoriel et elle reste limitée concernant les comptes extérieurs. Elle est surtout significative au niveau des finances publiques.

Une diversification de l’économie qui reste insuffisante et inégale

Indicateurs de diversification économique, moyenne CCG

La diversification des économies du Golfe en dehors du secteur des hydrocarbures est une problématique récurrente depuis plusieurs décennies.

La conjugaison de revenus pétroliers volatils, facteurs de fragilité pour les finances publiques, et d’un système économique favorisant l’emploi public des nationaux (dans un contexte de pression démographique relativement forte notamment en Arabie saoudite, à Bahreïn et à Oman) ont rendu nécessaire la mise en place de politiques de diversification économique afin notamment de créer des emplois dans le secteur privé.

Selon l’indice de diversification économique[3] développé par le World Government Summit[4] (WSG), les économies du Golfe font partie de celles qui ont le plus progressé dans ce domaine depuis 2000, bien qu’elles demeurent dans le quartile des économies les moins diversifiées au niveau mondial. L’Arabie saoudite et Oman ont connu les progressions les plus significatives. En revanche, Bahreïn a peu évolué en raison d’une économie historiquement plus diversifiée, car le pays ne bénéficie pas de ressources abondantes en hydrocarbures. Selon cette étude, ce sont principalement les composantes liées à la diversification de la production et, dans une moindre mesure, le commerce extérieur qui expliquent cette évolution. La diversification des revenus gouvernementaux évolue pour sa part très faiblement.

En 2020, le PIB hors hydrocarbures représentait environ 65% du PIB total de la région, contre 60% en 2010. Oman et le Qatar ont enregistré la progression la plus significative (respectivement de 53% à 71% et de 44% à 61%), tandis que la structure des PIB de Bahreïn et des EAU n’a que peu évolué étant donné un niveau de diversification déjà élevé avant 2010 (respectivement de 79% à 81% et de 69% à 71%). En Arabie saoudite, où la question de la diversification est la plus aiguë, la part du PIB hors hydrocarbures n’a que faiblement progressé au cours de la dernière décennie (de 55% à 56%).

D’un point de vue sectoriel, la hausse de la part du PIB hors hydrocarbures dans le PIB s’est généralement réalisée au profit des services, principalement le commerce, les services financiers et ceux liés à l’immobilier. La part du secteur manufacturier (qui inclut l’aval pétrolier) est relativement stable. En Oman, la progression des services est significative (de 38% à 47% du PIB sur la décennie) et concerne avant tout, en plus des services financiers et immobiliers, le secteur public dans son ensemble. L’évolution du PIB au Qatar est plus singulière puisque, parallèlement à la baisse significative de la part du PIB pétrolier, c’est le secteur de la construction qui a le plus progressé sur la période (de 5% à 12%), en lien avec le développement accéléré des infrastructures au cours de la dernière décennie.

Cependant, les résultats de l’étude du WGS concernant la diversification du PIB sont à relativiser. Les secteurs des services et de la construction restent pour le moment étroitement liés à la conjoncture pétrolière. Le fort ralentissement de la croissance du secteur des services à partir de 2015 est ainsi concomitant avec la baisse des revenus pétroliers. Dans le secteur manufacturier, entre un tiers et la moitié de l’activité est due aux secteurs de la pétrochimie et du raffinage de produits pétroliers. Ces derniers dépendent étroitement du secteur des hydrocarbures.

Les réformes devraient réduire la vulnérabilité des finances publiques à la conjoncture pétrolière

Les changements opérés dans la gestion des finances publiques ces dix dernières années sont notables, même s’ils varient selon les pays et la dépendance aux revenus des hydrocarbures reste significative.

On constate une hausse des revenus issus de la fiscalité, une réduction de la dépendance aux variations des cours du pétrole et un effort de rationalisation du secteur public, grâce à un double mouvement de consolidation et de privatisation. La dégradation rapide des finances publiques à partir de 2015 dans l’ensemble des pays du Golfe a agi comme un révélateur pour les gouvernements et a entraîné un processus de réformes budgétaires. Contrairement aux périodes antérieures de reflux des prix du pétrole, durant lesquelles les efforts de consolidation budgétaire s’interrompaient avec la reprise du marché pétrolier, il semble que les réformes mises en place depuis environ cinq ans s’inscrivent dans la durée. Elles devraient permettre de réduire la volatilité des performances budgétaires.

Introduction d’une fiscalité hors pétrole

Depuis 2019, c’est plutôt du côté des revenus que des progrès ont été accomplis dans la diversification. En moyenne, les revenus issus des hydrocarbures représentent environ 71% des revenus budgétaires totaux durant la période 2015-21, soit environ 11 points de moins que lors des années 2008-2014. Les progrès les plus significatifs ont été réalisés par l’Arabie saoudite (-27 points) et les EAU (-22 points), tandis que la diversification a quasiment stagné en Oman et au Qatar.

L’introduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est pour le moment la principale mesure de diversification des revenus budgétaires. Les EAU, Oman et Bahreïn appliquent un taux de 5%, tandis que l’Arabie saoudite a augmenté ce taux à 15% en 2020. Pour le premier groupe de pays, les revenus de TVA ne sont pas très élevés (environ 1-2% du PIB), de sorte que la structure des revenus fiscaux n’a pas fondamentalement évolué. En revanche, en Arabie saoudite, la part de la taxe sur les biens et services (dont la TVA est la principale composante) est passée à 29% des revenus budgétaires totaux en 2021 contre 4,8% en 2016. Les EAU, dont le budget dépend moins des revenus d’hydrocarbures (environ 50% selon les estimations du FMI), d’autres mesures fiscales sont envisagées telle que l’introduction d’une taxe fédérale sur les bénéfices des entreprises. Ailleurs dans le Golfe, la structure des revenus n’est pas significativement modifiée pour le moment et continue de dépendre directement des hydrocarbures à hauteur de 75% environ.

Relative modération des dépenses budgétaires

Parallèlement à la diversification des revenus, la modération des dépenses permet de réduire la vulnérabilité budgétaire de ces pays aux prix du pétrole. En effet, après la hausse des dépenses à partir de 2011 (notamment pour faire face à une augmentation des pressions politiques dans la région), celles-ci se sont repliées à partir de 2015 et la chute des prix du pétrole. Les dépenses primaires (i.e. hors intérêts de la dette) en pourcentage du PIB hors pétrole se sont réduites à 49% en 2021 contre 67% en 2011. Néanmoins, des différences de niveau importantes subsistent, Bahreïn et les EAU atteignant respectivement 27% et 39% en 2021, en raison de leur économie relativement diversifiée, tandis que le ratio atteignait 94% au Koweït.

Réduction de la vulnérabilité budgétaire

La conséquence majeure de ces mesures budgétaires est une réduction de la vulnérabilité des finances publiques aux prix du pétrole que l’on mesure communément en calculant le prix du baril de pétrole qui permet d’équilibrer le budget. Ainsi, pour l’ensemble des pays ce prix est en baisse entre 2015 et 2021.

Vulnérabilité budgétaire, moyenne CCG

Dans le cas de l’Arabie saoudite, le prix d’équilibre est passé de 119 dollars par baril (USD/bbl) en 2014 à environ 70 USD/bbl en 2021, et cette baisse devrait se poursuivre autour de 65 USD/bbl d’ici 2023. Aux EAU, le prix d’équilibre s’est également réduit passant de 85 USD/bbl à 63 USD/bbl et devrait se situer dans un intervalle 60-65 USD/bbl à court terme. Au Koweït, il s’est maintenu à un niveau modéré au cours de cette dernière décennie (environ 64 USD/bbl en 2021 selon le périmètre budgétaire retenu par le FMI). À Bahreïn, malgré une baisse récente, le prix d’équilibre reste à un niveau très élevé (113 USD /bbl en 2021) en raison de la rigidité à la baisse des dépenses publiques. La vulnérabilité baisse en Oman, mais se maintient autour de 85 USD/bbl à court terme, l’équilibre budgétaire demeure fragile. Au Qatar, le prix d’équilibre est le plus bas de la région (inférieur à 50 USD/bbl), même si la validité de cet indicateur est relativement moins pertinente pour ce pays étant donné l’importance de la rente gazière dans les revenus budgétaires.

Des mesures positives de rationalisation du secteur public

Depuis environ cinq ans, un mouvement de réorganisation du secteur public et d’entrée du secteur privé au capital (ou leur participation à la gestion) d’entités publiques est en cours. Pour le moment, la place du secteur public dans l’économie reste prépondérante. La participation du secteur privé au capital et/ou à la gestion d’actifs publics se limite principalement aux infrastructures de réseau (eau, génération d’énergie) et aux activités des entreprises pétrolières jugées moins stratégiques (oléoduc, réseau de distribution de carburant). La mise sur le marché d’une partie du capital d’Aramco fait figure d’exception et s’inscrit dans la politique plus générale du fonds souverain saoudien (Public Investment Fund) de mobilisation de ressources dans le cadre du programme vision 2030. Ces mouvements ne renforcent que marginalement le rôle du secteur privé, et permettent surtout aux entreprises publiques commerciales de se recentrer sur le cœur de leur activité, notamment en se développant à l’international.

Perspectives de long terme et transition énergétique

En tant que producteurs majeurs et consommateurs importants d’hydrocarbures, les États du Golfe sont particulièrement exposés aux conséquences de la transition énergétique. D’une part, ce sont des émetteurs très importants de gaz à effet de serre (GES) et, d’autre part, ils restent économiquement très dépendants des hydrocarbures malgré les récents progrès réalisés dans la diversification. Les pays du Golfe contribuent à environ 2,8% des émissions globales de GES, tandis que leur population totale représente 0,8% de la population mondiale. En moyenne, les émissions de CO2 par habitant sont de quatre à huit fois plus élevées dans le Golfe que dans le reste du monde. Cela est notamment dû à l’importance des industries intensives en énergie, aux conditions climatiques et géographiques particulières (besoins élevés de climatisation et d’équipements de dessalement d’eau) ainsi qu’à un mix énergétique presque exclusivement dominé par les hydrocarbures. Selon la Banque mondiale, la production d’électricité génère 75% des émissions de GES dans le Golfe[5]. Tous les pays de cette zone affichent des plans ambitieux de décarbonation de leur production d’électricité (par exemple générer 50% de l’offre d’électricité grâce à des énergies renouvelables en Arabie saoudite d’ici 2030), mais aussi, pour certains, d’accroissement de la production de gaz naturel pour répondre à la hausse de la consommation intérieure d’énergie.

Émission de gaz à effet de serre (GES)
Mix énergétique primaire du CCG
Production de pétrole brut (scénario AIE WEO 2022)
Production de gaz (scénario AIE WEO 2022)

La demande d’hydrocarbures baissera à long terme, seul le rythme est incertain

Si l’on se réfère aux scénarios de transition énergétique élaborés par l’Agence internationale de l’énergie (AIE)[6], 2050 constitue une année de référence. Elle permet de montrer les transformations à accomplir pour limiter le réchauffement à 1,5°C dans un délai raisonnable. Dans le scénario d’une neutralité carbone globale atteinte en 2050[7], le raisonnement est effectué « à rebours », en décrivant les évolutions nécessaires du mix énergétique et de la consommation énergétique mondiales pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Les deux autres scénarios sont, d’une part, celui de la continuité des politiques actuelles[8], qui prend en considération les réalisations effectives des gouvernements visant à atteindre leurs objectifs de réduction de GES, et, d’autre part, le scénario qui suppose que les gouvernements mettront en place l’ensemble des mesures nécessaires à la réalisation des objectifs annoncés[9].

Quel que soit le scénario, la réduction de la part des énergies carbonées dans le mix énergétique mondial est un processus irréversible, qui néanmoins peut être fortement retardé en l’absence de politiques adéquates. La demande d’hydrocarbures devrait se réduire d’ici à 2050. Un plateau de la demande de pétrole devrait notamment être atteint en 2024 selon le scénario APS, mais seulement en 2035 dans le STEPS. Cependant, la possibilité d’un recul dans le temps du pic de la demande d’hydrocarbures semble de moins en moins probable, et la principale incertitude réside plutôt dans la vitesse de mise en œuvre des énergies renouvelables. En effet, les bouleversements actuels sur le marché européen du gaz et, plus généralement, la forte baisse du coût de production de l’électricité d’origine renouvelable[10] ont accéléré le déploiement des énergies renouvelables dans certaines régions. Actuellement, l’hypothèse centrale est que ces dernières, non seulement permettent de répondre à la hausse de la demande énergétique au niveau mondial, mais vont aussi commencer à se substituer aux sources d’énergies carbonées dans le mix énergétique.

Dans ce contexte, les pays du Golfe sont exposés à terme aux conséquences d’une forte baisse de la valeur de leur principal actif productif en raison de la baisse de la demande mondiale de pétrole. Les conséquences seront d’autant plus fortes qu’elles concerneront directement, non seulement les entreprises pétrolières (publiques), mais aussi les finances publiques et les comptes extérieurs.

Face à ce défi de la décarbonation des économies, les pays du Golfe optent pour une double stratégie : à moyen terme, maximiser leur production de pétrole et de gaz, afin de bénéficier de conditions de production et de marché favorables, et, à plus long terme, s’engager dans le développement d’énergies bas carbone.

Une situation favorable sur le marché des hydrocarbures, au moins à moyen terme

Production d'énergie renouvelable (scénario AIE WEO 2022)

À court terme, quel que soit le scénario envisagé, la demande de pétrole devrait continuer d’augmenter.

Du point de vue des pays du Golfe, cela justifie l’investissement dans de nouvelles capacités de production. Au-delà, dans un contexte de baisse progressive de la demande mondiale et de hausse du coût des émissions de carbone, les producteurs du Golfe bénéficient de certains avantages qui devraient leur permettre de maintenir un certain niveau de production d’hydrocarbures plus longtemps que la plupart des autres pays producteurs.

Les deux principaux avantages sont un coût d’extraction parmi les plus bas au niveau global et une production de pétrole qui est moins émettrice de gaz à effet de serre relativement aux autres producteurs.

Selon l’AIE, l’intensité carbone de la production pétrolière sera un facteur de plus en plus important dans la formation du prix du baril de pétrole à moyen et long terme. Pour les producteurs du Golfe, cela procure un avantage en termes de part de marché, mais ne garantit pas un niveau de production. En effet, selon les différents scénarios, la part de marché des membres de l’OPEP (les pays du Golfe membres de l’OPEP assurent environ 58% de la production du cartel) continuera d’augmenter d’ici à 2050 (de 35% en 2021 à 43-52% en 2050 suivant le scénario), mais par rapport à une offre totale de pétrole très variable selon le scénario : elle augmente de 10% dans le scénario STEPS, mais se contracte pratiquement de moitié dans le scénario APS.

Dans ce contexte plutôt incertain, certains pays ont pour objectif d’augmenter leur capacité de production à moyen terme afin de pouvoir répondre à la demande, avec un pétrole à coût d’extraction bas et à émission de carbone inférieure aux standards internationaux. Les EAU envisagent d’accroître leur capacité de production de 19% d’ici 2025-30 et l’Arabie saoudite de 8%.

Concernant l’évolution des prix du pétrole, les différents scénarios de l’AIE sont, sans surprise, défavorables aux pays producteurs. Seul le scénario STEPS prévoit que les prix atteindront 95 USD/b en termes réels (prix de 2021) à échéance 2050. Cela permettrait à l’ensemble des pays du Golfe de maintenir à un niveau acceptable les ratios de finances publiques en supposant une stabilité du prix du baril équilibrant le budget.

En revanche, dans le scénario APS, les projections de prix mettraient la plupart des pays en difficulté d’un point de vue budgétaire (en supposant une faible progression de la diversification des revenus budgétaires), les prix attendus étant largement inférieurs aux prix d’équilibre actuels.

Le statut du gaz comme énergie de transition en question

Concernant les producteurs et exportateurs de gaz, principalement le Qatar (deuxième exportateur mondial de gaz naturel liquéfié en 2021), les perspectives sont a priori moins incertaines que pour le pétrole, mais elles peuvent évoluer assez rapidement.

Depuis récemment, le gaz naturel est considéré comme une énergie de transition, notamment pour les pays émergents, c’est-à-dire pouvant assurer la transition entre le mix énergétique actuel, dominé par les hydrocarbures (pétrole et charbon), et celui prévu par les scénarios de transition énergétique, dominé par les énergies renouvelables. C’est un élément de soutien à la demande de gaz naturel, notamment en Asie qui deviendra la première région consommatrice dès 2030 selon le scénario APS.

Néanmoins, la forte baisse du coût des énergies renouvelables et les bouleversements du marché gazier provoqués par la guerre en Ukraine pourraient réduire l’attractivité du gaz à long terme. Dans son dernier rapport, l’AIE a significativement revu à la baisse ses projections de demande de gaz, et souligne que « l’âge d’or » du gaz des années 2010 appartient au passé. Selon le scénario de continuité des politiques actuelles (STEPS), la croissance annuelle moyenne de la demande devrait atteindre 0,4% entre 2021 et 2030, contre 2,2% lors de la décennie précédente. Dans le scénario médian (APS), la demande en 2030 serait de 10% inférieure à celle de 2021. Néanmoins, même si les perspectives de moyen et long terme sont moins favorables, celles des producteurs du Golfe restent relativement favorables. À l’instar du pétrole, la compétitivité prix du gaz qatari devrait permettre à l’émirat de conserver une part de marché significative à long terme.

Transition énergétique et perspectives du marché de l’hydrogène

Étant donné la diminution progressive de la part des hydrocarbures dans le mix énergétique mondial, les pays du Golfe cherchent à développer des productions énergétiques alternatives. Dans ce contexte, le développement du marché de l’hydrogène décarboné est présenté comme une opportunité importante.

Le développement de l’hydrogène vert favorisé par la transition énergétique

Actuellement, l’usage de l’hydrogène à grande échelle concerne principalement le secteur industriel (sidérurgie, pétrochimie et engrais) sur le continent européen et aux États-Unis.

Demande mondiale d'hydrogène (scénario AIE WEO 2022)

Selon l’AIE[11], seulement 0,7% (2021) de la production totale d’hydrogène est à faible émission carbone. Dans le scénario NZE 2050, à l’échelle mondiale, la production d’hydrogène décarboné passe de 0,3 million de tonnes (mt) actuellement à 90 mt en 2030, puis 450 mt en 2050.

En dehors de son utilisation industrielle traditionnelle, les perspectives de développement se situent principalement dans les secteurs de la génération d’énergie et des transports lourds (transport de marchandises terrestre et maritime). Le potentiel de développement de la production d’hydrogène s’est confirmé en 2021 avec une forte hausse des projets de production d’hydrogène vert.

Selon l’AIE, la capacité installée de production par électrolyse devrait atteindre 1,4 gigawatt (GW) d’ici fin 2022, soit trois fois la capacité installée en 2021. Elle devrait à terme représenter environ trois quarts de la capacité de production d’hydrogène décarboné.

L’après-pétrole reste incertain dans le Golfe

En se basant sur des ressources gazières importantes et à faible coût de production, et sur un potentiel de développement des énergies renouvelables (solaire et éolien) permettant de produire de l’hydrogène à faible coût, la production d’hydrogène décarboné a été identifiée comme un axe de développement important par les pays du Golfe. Les EAU ont été les premiers à exporter de l’hydrogène décarboné à destination de l’industrie chimique allemande. Des projets sont en cours de réalisation[12] en Oman, au Qatar, aux EAU et en Arabie saoudite, où la composante hydrogène vert du programme NEOM aura une capacité de 4GW et devrait être achevée en 2026.

Hydrogène gris, bleu ou vert

Cependant, pour le moment, il est difficile d’envisager la filière de l’hydrogène décarboné comme une alternative aux revenus générés par l’exportation de pétrole et de gaz.

En effet, selon les projections de l’AIE, le marché de l’hydrogène à horizon 2050 ne couvrira qu’une part réduite du marché actuel du pétrole et du gaz. Par ailleurs, la production d’hydrogène décarboné est potentiellement beaucoup plus largement répartie au niveau mondial que celle de pétrole et de gaz, ce qui empêche la formation de rente.

Dans le scénario STEPS à horizon 2050, l’hydrogène ne génèrera que 1% des revenus combinés du pétrole et du gaz pour l’ensemble de la région, ces derniers se maintenant à un niveau élevé, compatible avec le fonctionnement du système rentier. Dans le scénario APS, les revenus issus de l’hydrogène et des hydrocarbures représentent environ 90% des revenus issus du pétrole et du gaz générés en 2021. Les revenus de l’hydrogène sont supérieurs à ceux du pétrole et du gaz dans le scénario de neutralité carbone (NZE), mais à un niveau très inférieur aux revenus issus actuellement des hydrocarbures. Dans ce dernier scénario, les recettes d’exportation combinées de pétrole, de gaz et d’hydrogène sont plus de quatre fois inférieures (en termes constants) aux revenus de 2021.

Au-delà d’une structure du marché de l’hydrogène moins favorable aux pays du Golfe que celle du pétrole, la ressource en eau pourrait limiter son développement à grande échelle. Les pays du Golfe sont en effet parmi les plus exposés à la hausse des températures et à la baisse des ressources en eau. Quel que soit le mode de production, l’hydrogène décarboné requiert une quantité importante d’eau, ce qui nécessitera des capacités supplémentaires de dessalement d’eau de mer, qui sont elles-mêmes très intensives en énergie.

Conclusion

Les revenus issus du pétrole et du gaz restent structurants pour les économies du Golfe, en témoigne le rebond économique actuel tiré par la hausse des prix des hydrocarbures. Néanmoins, les gouvernements ont commencé de prendre des mesures pour réduire leur dépendance à la conjoncture pétrolière. Le contre-choc pétrolier des années 2015-20 a constitué un signal d’alarme qui a forcé les gouvernements à remettre de l’ordre dans les finances publiques pour en réduire la vulnérabilité à moyen terme.

Les bouleversements qu’implique la transition énergétique en cours sont d’une autre échelle. Ils remettent en cause la soutenabilité des économies du Golfe à long terme. Celles-ci disposent d’un certain nombre d’avantages pour faire face à ce défi, notamment des coûts d’extraction réduits, d’importants moyens financiers et des gouvernements et des entreprises publiques fortement impliqués dans les programmes de réformes et d’investissements. Néanmoins, la fin annoncée de la domination des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial est un élément d’incertitude très fort pour ces pays, et les alternatives envisagées pour le moment sont loin de répondre à toutes les interrogations concernant les perspectives économiques de long terme.

Pascal Devaux


[1] La croissance du secteur de la construction a atteint en moyenne 10% durant la période 2000-10 et 3,3% la décennie suivante.

[2] Iradian G, Chen S, “Limited US monetary policy spillovers to GCC”, IIF, June 2022.

[3] Cet indice est composé de trois sous-composantes évaluant le degré de diversification de la production, du commerce extérieur et des revenus du gouvernement.

[4] Prasad A., Refass S., Saidi N., Salem F., Shepherd B., “Global Economic Diversification index 2022”, Dubai: Mohammed bin Rashid School of Government. www.EconomicDiversification.com

[5] World Bank, 2022, “Gulf Economic Update. Green growth opportunities in the GCC”.

[6] International Energy Agency, 2022, World Energy Outlook.

[7] Net Zero Emissions (NZE)

[8] Stated Policies Scenario (STEPS)

[9] Announced Pledges Scenario (APS)

[10] Le coût des projets photovoltaïque a baissé de 85% entre 2010 et 2020.

[11] IAE, 2022, Global Hydrogen Review

[12] IEA, Hydrogen Projects Database (2022).

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE