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Commerce extérieur français : le poids d'une triple détérioration

03/03/2023
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En 2022, la contribution du commerce extérieur français à la croissance du PIB a été l’une des plus négatives de l’histoire (-0,8 point), sous le poids de trois détériorations.

La première, la hausse des coûts de l’énergie, a entraîné le déficit commercial (échanges de biens) vers un niveau jamais observé. Aux effets « prix » subis (hausse du cours des hydrocarbures principalement) se sont ajoutés des effets « volumes » avec notamment le basculement en déficit du solde sur l’électricité et le stockage de gaz. Nous estimons que ces effets « volumes » ont amputé la croissance française de près de 0,4 point en 2022.

La deuxième détérioration, plus structurelle, concerne les biens manufacturés. Elle s’est accentuée en 2022, en termes nominaux comme réels. La bonne performance de l’investissement des entreprises en France a pesé au travers du creusement du déficit sur les biens d’équipement.

La troisième détérioration tient aux services et, singulièrement, au fret maritime dont la dynamique favorable s’est renversée au cours de l’année 2022, avec un retournement à la baisse des effets « prix », en sus d’une dégradation en volume. Ainsi, alors que l’amélioration de l’excédent sur les services permettait de relativement équilibrer la détérioration du déficit sur les biens jusqu’au 1er trimestre 2022, cela n’a plus été le cas par la suite et a entraîné l’apparition d’un déficit courant significatif.

FRANCE : BALANCE COMMERCIALE PAR PRODUIT

La France a enregistré en 2022 son déficit commercial le plus élevé de l’histoire, à près de EUR 164 mds, marquant marque presque un doublement par rapport à 2021 (et un creusement de près de 100 mds par rapport à 2019), largement imputable à la balance énergétique (graphique 1).

En 2022, le prix moyen du baril de Brent a atteint 90 USD en moyenne, un niveau qui avait déjà été approché en 2012 (87 USD). La balance énergétique apparait toutefois beaucoup plus creusée qu’à l’époque (EUR 85 mds contre 50 mds) pour deux raisons principales : une hausse simultanée du prix du gaz (référence TTF), multiplié par plus de 5 sur la période, et un basculement en déficit du solde sur l’électricité (à hauteur de près de EUR 7,5 mds contre un excédent de près de 2,5 mds en 2021). De plus, le déficit concernant le pétrole raffiné (habituellement inclus dans la balance des biens manufacturés) s’accroit également (EUR 27 mds). Si le déclenchement de la guerre en Ukraine a eu un impact défavorable, il n’explique pas tout : la production d’électricité a baissé également en raison de divers problèmes techniques au sein des centrales nucléaires.

Par rapport à 2012, le point de détérioration le plus structurel reste toutefois le solde des échanges sur les biens manufacturés. Hors pétrole raffiné, le déficit a atteint EUR 54 mds en 2022, contre un solde proche de l’équilibre en 2012. Le recours plus important à des importations est allé de pair avec la réduction de la capacité de production de l’industrie française à la suite de la crise de 2008, capacité de production qui est encore inférieure, au 4e trimestre 2022, de près de 20% à son niveau de 2007, un phénomène davantage observé en France que dans les pays voisins1.

L’énergie a pesé sur la croissance du PIB

Outre une dégradation en valeur que l’on peut expliquer par des effets « prix », le creusement du déficit commercial provient également d’une détérioration en volume, notamment liée à la hausse des importations d’énergie. Cette dernière joue un rôle significatif dans la contribution négative du commerce extérieur (-0,8 point) à la croissance du PIB français en 2022.

Le calcul d’un PIB hors énergie (en excluant ce qui lui est directement imputable dans l’approche du PIB par la demande : exportations, importations et consommation des ménages d’énergie2) confirme que ces éléments exceptionnels ont grevé la croissance en 2022. D’après nos estimations, cette dernière aurait été de 3% « hors énergie» contre le chiffre de 2,6% observé en 2022.

Dans le détail, alors que la croissance trimestrielle du PIB « hors énergie » aurait été supérieure à la croissance «avec énergie» entre le 1er trimestre 2021 et le 3e trimestre 2022, elle devient inférieure au dernier trimestre de 2022 (graphique 2). En effet, si la croissance est ressortie légèrement positive au 4e trimestre 2022 (à +0,1% t/t), c’est largement grâce à la baisse des importations d’énergie (-9,1% t/t) liée au fort stockage préventif intervenu jusqu’au 3e trimestre.

L’économie française a de ce fait, pour l’heure, échappé à une contraction de son PIB et à une entrée potentielle en récession. Même si ces facteurs exceptionnels (stockage préventif de gaz, risque de contraintes sur la production d’électricité) venaient à se répéter en 2023, une diminution probable de leur ampleur pourrait créer une surprise positive sur la croissance par rapport à notre prévision actuelle (croissance nulle en 2023).

FRANCE : CROISSANCE RÉELLE DU PIB, AVEC ET HORS ÉNERGIE

Industrie manufacturière : la détérioration continue

Le creusement du déficit sur les biens manufacturés provient pour partie de l’aéronautique (l’un des secteurs générant habituellement les plus grands excédents de la France) qui pâtit d’une baisse d’activité par rapport à l’avant Covid. L’excédent du secteur aéronautique a ainsi diminué de près de EUR 10 mds entre 2019 et 2022, notamment en raison de la baisse de la demande chinoise, ainsi que de contraintes d’offre (difficultés d’approvisionnement et de main d’œuvre).

La détérioration du solde sur les échanges de biens (barre verte du graphique 1) a également d’autres causes, mises en évidence par l’examen des données de comptabilité nationale d’exportations et d’importations de biens et services en volume.

La balance sur les biens manufacturés (hors pétrole raffiné) se dégrade même encore un peu plus en 2022 (graphique3), conjointement à la hausse de la production manufacturière (+1,9% en 2022) et de l’investissement des entreprises (+3,5% en 2022). Ces progressions ont eu pour contrepartie un creusement des déficits sur les biens d’équipement et les autres produits industriels, au travers des importations qu’elles ont nécessité.

La détérioration des capacités de production dans l’industrie, à la suite de la crise de 2008 (graphique 4), a favorisé un accroissement du contenu en importations de la croissance française, qui peut permettre d’expliquer ce creusement structurel de la balance sur les biens.

FRANCE : BALANCE COMMERCIALE DES BIENS ET SERVICES À PRIX
CONSTANTS

FRANCE : CAPACITÉ DE PRODUCTION DANS L'INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE

Services : fin des effets « exceptionnels »

L’excédent sur les services a très nettement augmenté en 2021 et au 1er semestre 2022. Jusqu’au 1er trimestre 2022, cela a permis de largement contrebalancer la détérioration de la balance des biens. Le solde courant (qui incorpore également les services et les revenus des facteurs) est donc resté proche de l’équilibre.

Or, cet équilibre relatif s’est détérioré tout au long de l’année 2022 : d’abord avec le gonflement du déficit sur les biens (graphique 1), ensuite, parce que l’excédent sur les services s’est étiolé (graphique 5) :

- les effets de rattrapage post-Covid sur les entrées de touristes s’étaient majoritairement matérialisés dès le 2e trimestre (hors touristes asiatiques). Ils ont entrainé un accroissement temporaire de l’excédent sur le tourisme. Celui-ci s’est par la suite normalisé, avec l’accroissement des sorties de touristes à partir du 3e trimestre.

- l’excédent sur les services de transport, apparu à partir de 2020, a commencé à fortement diminuer à partir du 4e trimestre 2022 avec le retournement à la baisse des effets « prix » (ce que confirment les données du début d’année 2023, avec notamment une nouvelle baisse du Baltic Dry Index).

Il en résulte un creusement du déficit courant au cours de l’année, qui a atteint EUR 54 mds en 2022, après un excédent de EUR 10 mds en 2021. Les autres composantes du solde courant (revenus et transferts) ont été, en parallèle, relativement stables.

FRANCE : SOLDE SUR LES ÉCHANGES DE SERVICES

1 Voir Stéphane Colliac, « L’industrie française : un défi de taille », EcoFlash, BNP Paribas, février 2022

2 Les variations de stock par produits ne sont publiées par l’Insee qu’en valeur, pas en volume, ce qui ne permet pas de corriger également notre estimation de l’évolution des variations de stocks en énergie.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE