D’après les deux indicateurs de santé financière des entreprises - le nombre de défaillances et le taux de marge - la situation des entreprises françaises s’est nettement améliorée entre 2016 et 2021. Le nombre de défaillances a baissé de moitié, permettant de sauvegarder 210 000 emplois sur la période, dont 170 000 au cours de la pandémie. Le taux de marge a augmenté de 1,4 point de pourcentage et le poids de la fiscalité a reflué. La politique budgétaire a joué un rôle majeur avec la baisse des impôts de production et de l’impôt sur les sociétés, ainsi que la hausse des subventions aux entreprises pendant la pandémie. L’année 2022 s’annonce moins favorable, notamment du fait des pressions inflationnistes. Le taux de marge serait en moyenne grevé de près de 1 point de pourcentage par la hausse du coût des matières premières, et davantage dans les transports, l’agroalimentaire ou encore la construction. Ces éléments sont préjudiciables alors que les entreprises ont engagé un effort d’investissement conséquent. Ce dernier doit permettre de rattraper le retard pris en matière d’équipement, qui pénalise l’industrie française face à ses concurrentes européennes.
De mémoire de statisticien, la France n’a jamais connu si peu de défaillances d’entreprises qu’en 2021 (les statistiques remontant à 1990) : seulement 27 500 entreprises ont fait l’objet d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire selon les données de la Banque de France. C’est près de la moitié de la moyenne historique (53 200 défaillances par an sur la période 1990-2021) ou de ce qui avait été observé en 2016, année qui marque le début de cette période de baisse (-15% entre fin 2016 et l’avant-Covid). Cette baisse s’est accélérée pendant la période de pandémie avec la mise en œuvre du « quoi qu’il en coûte ». Cette tendance est le signe d’une conjoncture plus porteuse depuis lors, mais également le reflet d’une amélioration globale de la situation des entreprises au cours des dernières années.
Des conditions plus favorables pour les entreprises françaises
Le contexte porteur dont les entreprises ont bénéficié se remarque par exemple dans la dynamique des chiffres d’affaires. Ces derniers ont en effet augmenté de 11% et de 30% dans l’industrie manufacturière et dans la construction, respectivement, entre 2016 et 2021 (malgré la pandémie), contre des baisses de 1% et 2,5% sur les cinq années précédentes.
La pandémie aurait pu enrayer cette dynamique, mais cela n’a pas été le cas. Le « quoi qu’il en coûte » a permis une nette baisse des défaillances. De plus, le rapport Coeuré[1] montre que le soutien budgétaire massif ne s’est pas porté sur des entreprises susceptibles de « zombification » (i.e. dont l’excédent brut d’exploitation ne permet pas de payer les frais financiers pendant trois années) au-delà de leur poids habituel dans l’économie. Cela relativise le risque d’une remontée massive des défaillances une fois le soutien public retiré.
La baisse du nombre de défaillances fait écho à la résilience du marché du travail en période de pandémie. En d’autres termes, les destructions d’emplois ont été modérées par le recul des défaillances d’entreprises (graphique 2), soit près de 170 000 emplois sauvegardés selon nos estimations sur le cumul des deux années 2020 et 2021 (et 210 000 emplois entre 2016 et 2021). Ce résultat est obtenu en comparant les destructions d’emplois liées aux défaillances effectivement survenues aux destructions liées à un scenario contrefactuel de défaillances qui se seraient stabilisées, et en utilisant les statistiques d’Altarès sur le nombre d’emplois menacés par les défaillances. On peut noter également que le recul ces dernières avant la pandémie a permis de sauvegarder des emplois, mais en moins grand nombre, contrairement à 2018-19 où les défaillances, bien que moins nombreuses, ont concerné davantage de grandes entreprises, avec un effet net plus négatif sur l’emploi.
En parallèle, une importante vague de créations d’entreprises a été observée ces dernières années. Leur cumul sur 12 mois a dépassé la barre symbolique du million en 2021. Certes, le statut d’autoentrepreneur en représente la majeure partie, mais les créations de sociétés ont également augmenté (+42% en 5 ans), y compris dans l’industrie avec deux fois plus de créations en 2021 qu’en 2016.
La diminution de la fiscalité qui pèse sur les entreprises (essentiellement les cotisations patronales versées sur les salaires, l’impôt sur les sociétés et les impôts de production), au cours du quinquennat qui s’achève, a également joué un rôle favorable. En 2016, ces prélèvements (défalqués des subventions d’exploitation) représentaient 70% de l’excédent brut d’exploitation (EBE) des sociétés non financières, contre 49% en Allemagne ou 40% dans les pays de l’OCDE à revenu élevé (selon la Banque mondiale). Une partie de l’écart a été comblé, les prélèvements n’atteignant plus que 56% de l’EBE en France en 2021. Les cotisations sociales prélevées sur les salaires ont été réduites de 6 points de pourcentage en 2019 pour remplacer le Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE), avec essentiellement un effet de simplification pour les entreprises. Le taux de l’impôt sur les sociétés a, lui, été réduit de 33% à 25% selon un calendrier étalé sur la totalité du quinquennat. Enfin, les impôts de production ont été réduits à partir de 2021, de EUR 10 mds.
La profitabilité des entreprises françaises s’est également améliorée, contribuant à diminuer le nombre de défaillances. Une hausse de près de 1,5 point du taux de marge est intervenue entre fin 2016 et fin 2019. De plus, ce taux de marge a dépassé de près de 2 points de pourcentage son niveau d’avant-Covid sur le 4e trimestre 2020 et le 1er semestre 2021, ce qui a permis d’atténuer l’impact des restrictions sanitaires sur la situation des entreprises. Toutefois, cet effet a été largement expliqué par un décalage entre la masse salariale versée par les entreprises (en partie prise en charge par l’État) et la production, qui a rebondi avant même que les aides au titre du chômage partiel soient pour l’essentiel retirées. À partir du 2e semestre 2021, ce retrait a annulé l’essentiel du gain observé sur le taux de marge, qui est revenu à son niveau d’avant–Covid, à 32,8% pour les sociétés non financières (graphique 4).
Une année 2022 moins favorable
L’année 2022 devrait marquer un rebond de la fiscalité et des défaillances, ainsi qu’une contraction des marges.
L’élément le plus certain tient dans la fiscalité. Une partie de la baisse constatée au moment de la pandémie est une traduction du « quoi qu’il en coûte », avec une augmentation des subventions de production pendant cette période (y compris au 1er semestre 2021) et donc en année pleine des versements projetés pour 2022 en baisse par rapport à 2021. Des aides devraient subsister, notamment celles accordées en réaction à la guerre en Ukraine, mais leur ampleur devrait rester plus réduite qu’en temps de Covid-19. Au total, la pression fiscale devrait remonter de 56% à 60% de l’EBE en 2022, sans préjuger de réformes fiscales mises en œuvre après la prochaine élection présidentielle.
Le taux de marge, quant à lui, devrait pâtir en 2022 d’un effet inflation dû à une répercussion incomplète de la hausse du coût des intrants sur les prix de vente. Nous estimons à 1 point de pourcentage l’érosion potentielle au regard de l’impact d’évolutions passées comparables du prix du pétrole. Cet effet négatif devrait être le plus important dans les transports, l’agroalimentaire, l’hébergement-restauration et la construction (graphique 5), là encore sur la base de l’impact d’augmentations comparables passées du prix du pétrole (toutes choses égales par ailleurs).
Pour finir, les défaillances d’entreprises devraient marquer un début de rebond en 2022, avec la poursuite du retrait progressif du soutien exceptionnel dont elles ont bénéficié durant la pandémie. Les deux premiers secteurs en termes de sinistralité (43% du total des défaillances), le commerce de détail et la construction, devraient être les plus impactés. En effet, les entreprises du commerce de détail connaissent des difficultés de trésorerie structurelles, bien qu’en deçà de leur moyenne historique. Dans la construction, les retards de paiement sont certes relativement bas historiquement, mais ils restent significatifs (concernant près de 25% des entreprises du secteur selon l’Insee).
Sur les premières semaines de 2022, une première hausse des défaillances a été observée (+18% a/a). Elles restent toutefois inférieures de 40% à leur niveau de 2019.
Une transformation en cours, qu’il est important d’accompagner
Les niveaux atteints restent intermédiaires au regard de la situation des grands voisins européens. Les entreprises françaises continuent de vivre avec un taux de marge inférieur à leurs consœurs allemandes et italiennes (38,9% et 42,7% respectivement au 3e trimestre 2021, contre 32,8% en France), ce qui implique un coussin plus réduit pour absorber des chocs.
Sur la fiscalité, le niveau attendu à 60% de l’EBE en France en 2022 sous-tend des impôts de production plus élevés qu’ailleurs en Europe. Ils représentent encore près de 15 points d’EBE pour les sociétés non financières françaises : une situation, de plus, inégalitaire, puisqu’elles représentent un peu moins de la moitié de l’EBE des entreprises françaises, mais payent près des deux tiers des impôts de production.
En parallèle, les cotisations sociales employeurs représentent près de 70% de la contribution fiscale (cotisations + impôts de production + impôts sur les sociétés – subventions d’exploitation) des entreprises.
Le poids élevé de la fiscalité s’avère pénalisant dans un contexte où les entreprises ont accusé un certain retard dans leur transformation, comme en témoigne un chiffre de 194 robots pour 10 000 employés, contre 371 en Allemagne, 224 en Italie et 203 en Espagne, selon l’International Federation of Robotics. Un signe positif tient dans une hausse de cette densité, avec +17 robots en France par rapport à 2019, contre +12 en Italie ou en Espagne, ce qui montre que les efforts faits en matière d’investissement commencent à porter leurs fruits, mais qu’ils doivent être poursuivis.
Cette transformation a un coût. L’automatisation et la digitalisation nécessitent des investissements conséquents. Or, une partie de ces investissements doit être renouvelée plus fréquemment du fait de leur obsolescence rapide. Cette dépréciation, singulièrement dans le digital, fait que la valeur croissante de l’investissement brut des entreprises ne se retrouve pas nécessairement dans leur investissement net (graphique 6). Or, les sommes en jeu sont conséquentes : en particulier, l’investissement dans le numérique des entreprises devrait atteindre la barre symbolique des EUR 100 mds en 2023 selon nos prévisions.
En sus d’une nouvelle baisse éventuelle de la fiscalité, les entreprises bénéficient d’aides publiques, dans le cadre du plan France Relance, avec un soutien financier à l’investissement. Selon des chiffres du gouvernement, des aides de EUR 3,5 mds ont été versées à fin 2021 (pour des projets cumulés de EUR 13 mds). Le plan France 2030 est venu le compléter avec des priorités affichées dans la transition écologique, devant bénéficier principalement à l’énergie et aux transports.