Les répercussions de la pandémie sur l’économie marocaine sont significatives. Après une chute historique de 6,3% de son PIB en 2020, les premiers signaux de reprise restent fragiles en dépit des avancées de la vaccination au Maroc et en Europe, de loin son principal partenaire économique. L’atonie de l’activité touristique en est la principale raison. L’appui des autorités restera donc crucial cette année.
Malgré la hausse de la dette publique, l’assainissement des finances publiques ne devrait commencer qu’à partir de 2022. Les agences S&P et Fitch ont relégué le pays en catégorie « spéculative ». Pourtant, la stabilité macroéconomique ne soulève pas pour l’instant d’inquiétudes majeures. En revanche, l’étroitesse des marges budgétaires pourrait à terme devenir problématique. Une intensification du programme de réformes apparaît d’autant plus indispensable que le ralentissement tendanciel de la croissance et son faible contenu en emploi interpellaient déjà avant la crise.
L’année 2020 a été éprouvante. Aux prises avec une récession sévère, le Maroc a vu sa notation dégradée par les agences de rating en raison de la forte hausse de l’endettement du gouvernement.
Depuis avril 2021, le pays est relégué dans la catégorie spéculative, et ce malgré une réaction des autorités au choc de la pandémie considérée comme justifiée et adéquate par les organisations internationales, en particulier le FMI. Les ressources déjà mobilisées représentent en effet plus de 6% du PIB, soit un niveau supérieur aux standards régionaux (graphique1).
Le programme de soutien à la reprise est également ambitieux (11% du PIB). Composé en grande partie de prêts garantis par l’État (60% de l’enveloppe), il comprend aussi la mise en place d’un fonds stratégique d’investissement (4% du PIB) avec comme double objectif le lancement de grands chantiers, essentiellement sous la forme de partenariats public-privé, et la recapitalisation d’entreprises. Plus significatifs, les efforts pour contenir la pandémie portent leurs fruits. La circulation du virus est à nouveau basse après un pic en fin d’année 2020 (graphique 2) et le Maroc s’est engagé très tôt dans sa campagne de vaccination. Avec presque un quart de la population ayant déjà reçu au moins une dose, il se démarque assez favorablement de ses pairs, même si la route est encore longue avant d’atteindre l’immunité collective, ce qui explique que de nombreuses restrictions subsistent malgré des allègements récents (graphique 3). Surtout, la saison touristique s’annonce mauvaise cette année après l’effondrement survenu en 2020. Malgré une campagne agricole exceptionnelle, l’économie marocaine ne devrait pas retrouver son niveau pré-pandémie avant 2022.
Au-delà des risques de court terme, la crise a aussi mis en lumière des fragilités structurelles qu’il faudra corriger. Si l’annonce de plusieurs réformes va dans le bon sens, leur mise en application s’avère d’autant plus importante que l’État va devoir assainir ses finances publiques. À court terme, néanmoins, les marges de manœuvre budgétaires et monétaires restent confortables.
Un rebond graduel de l’économie
Des séquelles encore visibles
Le Maroc est l’un des pays de la région Afrique du Nord Moyen-Orient qui a le plus souffert des conséquences de la pandémie. La récession a atteint 6,3% du PIB en 2020. Les chocs ont été multiples. En plus d’un confinement précoce et long, l’économie a été affectée par l’effondrement de l’activité de son secteur touristique et la baisse de la demande européenne (environ 70% des exportations). Fait aggravant, l’agriculture a également pâti de conditions climatiques défavorables. Contrairement aux précédents épisodes de récession, en 2020 la chute de l’activité a donc été générale avec une contraction des PIB agricole et non agricole de respectivement 8,6% et 6% (graphique 4).
Les composantes de la demande privée se sont toutes contractées en 2020 (graphique 5), en particulier la consommation des ménages (-4,1%) et l’investissement (-9%). Malgré la bonne tenue de la consommation finale des administrations publiques, la chute de la demande domestique a ainsi amputé la croissance de 6,5 points tandis que le repli de 12,2% des importations de biens et services a amorti celui des exportations (14,3%). Au final, la contribution du commerce extérieur à la croissance a été légèrement positive (0,2 point).
Selon le Haut-commissariat au Plan, l’économie aurait retrouvé le chemin de la croissance au T1 (+0,7% en g.a.) grâce à une très forte contribution du secteur agricole (+13%). Le secteur primaire compte pour 10-12% du PIB, sa dynamique influence donc fortement l’évolution de la croissance globale. En revanche, la valeur ajoutée hors-agricole aurait continué de se contracter au T1 de 1% en glissement annuel, soulignant la fragilité du rebond à venir.
Sur le front de l’emploi, la situation détériorée continue de peser sur la confiance des ménages malgré une amélioration au T1 2021 (graphique 6). Alors que le taux d’activité est revenu à son niveau d’avant-crise, à 45,5%, celui du chômage demeure supérieur de 2,3 points (graphique 7), notamment chez les jeunes de 15 à 24 ans (32,5% au T1 2021, soit +4,5 points) et les femmes (17,5%, soit + 4 points). Au total, plus de 220 000 personnes ont perdu leur emploi depuis le T4 2019 en raison des conséquences de la pandémie et de la mauvaise campagne agricole. En dépit d’éléments plutôt porteurs (campagne agricole favorable, inflation basse, bonne tenue des transferts de la diaspora marocaine), le redressement de la consommation risque d’être lent et graduel, tandis que l’investissement ne montre toujours pas de signes de reprise comme en atteste le recul persistant des crédits bancaires à l’équipement (-4% à fin avril 2021).
Sur le plan sectoriel, malgré le net rebond des ventes d’automobiles et de phosphates à l’étranger sur les quatre premiers mois de l’année, de nombreuses industries manufacturières continuent aussi de souffrir, en particulier dans l’aéronautique et, dans une moindre mesure, le textile (graphique 8).
Les exportations ont retrouvé leur niveau d’avant-crise. En revanche, les recettes du tourisme restaient toujours en repli de 67% en avril 2021 (graphique 9). Il s’agit d’un secteur-clé de l’économie marocaine, comptant directement pour 7% du PIB avec de nombreux effets indirects sur l’économie, notamment dans le transport. La chute combinée de la valeur ajoutée de ces deux activités explique ainsi presque 40% de la récession en 2020. Or, le contexte sanitaire en Europe, bien qu’en cours d’amélioration, ne permet pas d’entrevoir de franche embellie cette année même si le poids élevé de la diaspora marocaine dans le contingent de touristes (45% du total) devrait servir d’amortisseur. La banque centrale table d’ailleurs sur une hausse de seulement 5% des recettes touristiques en 2021 avant une quasi-normalisation espérée pour 2022.
La politique monétaire restera accommodante
Dans ce contexte, le soutien de la politique économique va continuer de jouer un rôle déterminant. En plus de mesures budgétaires, essentiellement des prêts garantis, les autorités monétaires ont été particulièrement actives en 2020 pour limiter le choc. Si la Banque centrale marocaine s’est refusée à intervenir directement dans le financement du Trésor, elle a en revanche baissé son taux directeur de 75 points de base à un niveau historiquement bas de 1,5% et augmenté ses injections de liquidités dans le secteur bancaire, à la fois en élargissant sa gamme de collatéraux éligibles et en allongeant les opérations de refinancement (graphique10). Combiné à un assouplissement temporaire des contraintes réglementaires, cela a contribué à soutenir le crédit bancaire grâce notamment aux mécanismes de prêts subventionnés pour répondre au besoin de fonds de roulement des entreprises.
Près de la moitié de la hausse des encours depuis mars 2020 provient ainsi des crédits de trésorerie (graphique 11), tandis que ceux à la consommation ou à l’équipement ont diminué. Les conditions d’emprunts des entreprises restent favorables avec un taux débiteur moyen de 4,5% au T1 2021 contre 4,9% au T4 2019. La transmission de la politique monétaire à l’économie réelle semble ainsi effective. Or, les pressions inflationnistes sont contenues (graphique 12). La progression de l’indice des prix à la consommation n’atteignait que 1,4% en avril malgré l’envolée des cours des matières premières importées. L’inflation sous-jacente était encore inférieure à 1%. Avec un taux directeur réel légèrement positif, la banque centrale dispose donc de leviers pour maintenir son biais accommodant dans les mois à venir.
Des contraintes conjoncturelles et structurelles
Malgré un environnement monétaire favorable et une montée en puissance des investissements publics, via le lancement du fonds stratégique d’investissement, l’économie marocaine ne retrouverait son niveau d’avant-pandémie qu’en 2022. Le redressement de la croissance, attendu à 5,3% pour 2021, résulterait en grande partie du fort rebond de la production agricole, portée par un effet de base favorable (les récoltes de 2020 avaient été particulièrement faibles) et de bonnes conditions météorologiques.
Hors agriculture, la croissance ne devrait pas excéder 4% en raison des difficultés que rencontre le secteur touristique à se relever, des conséquences profondes de la dégradation de la situation financière des ménages sur la consommation, et des freins induits par l’absence de visibilité sur l’investissement privé, même si les risques liés à l’évolution de la pandémie diminuent grâce aux progrès de la vaccination en Europe et au Maroc.
La crise a aussi mis en lumière de nombreuses fragilités structurelles. Le pays a réussi à développer des clusters industriels ces dernières années grâce à l’implantation de groupes étrangers, en particulier dans l’automobile (désormais première source d’exportation). De ce fait, le Maroc est aussi devenu plus dépendant de la demande extérieure et donc plus vulnérable aux chocs exogènes. En outre, les effets d’entraînement de ces nouvelles industries sur le reste de l’économie ont été limités. Notamment, la croissance était pauvre en emplois avant la crise. Depuis 2010, l’économie marocaine ne crée plus que 69 000 postes en moyenne par an (hors 2020) contre 144 000 entre 2000 et 2009. Plusieurs raisons peuvent être mises en avant.
Premièrement, l’intégration dans les chaines de valeur mondiales progresse mais demeure dans l’ensemble insuffisante (voir graphique13), malgré les atouts indéniables du pays (infrastructures de qualité, proximité avec l’Europe). Deuxièmement, l’économie marocaine souffre d’un manque de productivité. Parmi ses principaux concurrents, l’économie turque, qui se rapproche le plus de l’économie marocaine en termes d’investissement sur les dix dernières années, a enregistré une croissance supérieure de 2,5 points en moyenne par an par rapport au Maroc (graphique 14). Malgré une réorientation récente vers l’industrie, le processus d’accumulation du capital au Maroc reste largement dominé par le secteur du BTP (graphique 15), reflet des efforts significatifs entrepris par l’État pour améliorer les infrastructures. Pour autant, cela ne transparaît pas dans la croissance globale de l’économie.
Améliorer le potentiel de croissance, estimé à environ 3,5%, ne sera pas le seul défi à relever. Il faudra aussi rendre l’économie plus résiliente et inclusive. Les autorités marocaines en sont conscientes, comme en atteste le projet d’extension de la couverture maladie à partir de cette année à tous les Marocains (40% de la population en sont encore dépourvus). Il sera complété par une refonte complète du dispositif de protection sociale aujourd’hui très fragmenté et mal ciblé. Le processus s’étalera sur 5 ans. La réforme annoncée des entreprises publiques va également dans le bon sens. Elle vise à accroître leur efficacité au travers notamment d’une profonde restructuration de leur portefeuille. Le gouvernement pourra aussi s’appuyer sur le travail de la commission spéciale sur le nouveau modèle de développement, mise en place fin 2019, et dont le rapport vient d’être publié. La plupart des contraintes y sont identifiées, notamment les problèmes de productivité. Cependant, certaines seront longues à lever, en particulier la faiblesse du capital humain. En 2020, un peu plus de la moitié des actifs occupés n’avaient aucun diplôme et les retards pris par le Maroc par rapport à ses concurrents en termes d’apprentissage sont importants.
Finances publiques : dégradation marquée mais gérable
Choc fiscal
À l’image de nombreux pays, la dégradation des comptes publics marocains en 2020 a été sévère, à tel point qu’une loi de finances rectificative a dû être votée pour la première fois depuis 1990. Initialement attendu à 3,7% du PIB, le déficit budgétaire a atteint 7,7% du PIB, essentiellement en raison de la perte de 7% des recettes fiscales.
Du côté des dépenses, le choc a été en partie amorti par les contributions significatives du secteur privé et public au fonds « Covid ». Un tiers seulement des 34,6 milliards de dirham (MAD), soit 3,2% du PIB, a transité par le budget de l’État. Par ailleurs, les dépenses courantes ont plutôt été bien maîtrisées (+3,4%) grâce, entre autres, aux économies sur les subventions énergétiques. Par ailleurs, la progression de 19% des investissements publics s’explique quasi-exclusivement par la dotation de MAD 15 mds de l’État au fonds stratégique d’investissement dont le rôle sera d’appuyer la relance. En d’autres termes, il s’agit de dépenses engagées non encore décaissées. Hors dotations, les investissements publics seraient restés stables à 6,6% du PIB.
La dette du gouvernement a fortement progressé (+12 points de PIB) pour atteindre 77% fin 2020. Elle continuera de croître au moins au cours des deux prochaines années (graphique 16) pour culminer à 82% du PIB.
La réduction du déficit ne devrait réellement débuter qu’à partir de 2022, sous réserve d’un redressement tangible de l’économie. En 2021, le volume des dépenses restera élevé, en particulier les investissements publics (6% du PIB). L’extension de la protection sociale devrait générer un surcoût de 0,8 point de PIB, tandis que les recettes continueraient de pâtir des effets de la crise. Bien qu’en hausse par rapport 2020, elles seraient inférieures de 6% à leur niveau de 2019.
Malgré le rebond attendu de la croissance, le déficit budgétaire atteindrait 6,6% du PIB en 2021 avant de se résorber graduellement pour revenir à 4,6% en 2024 grâce à une réduction de la masse salariale des fonctionnaires et de meilleures rentrées fiscales. L’État table aussi sur des recettes de privatisations de l’ordre de 1,3% du PIB sur la période 2021-2024 pour réduire ses besoins d’emprunt.
Selon le FMI, le rythme de consolidation apparaît crédible mais appelle à la vigilance, en particulier compte tenu du niveau élevé des garanties de crédit accordées par les autorités. Ces dernières pourraient dépasser 10% du PIB d’ici fin 2021, qui s’ajoutent aux garanties déjà accordées aux entreprises publiques (11% du PIB fin 2019, constitué essentiellement de la dette extérieure).
Si les transferts directs du budget aux entreprises publiques commerciales sont en général contenus (0,4% du PIB en 2019) et si le projet de réforme visant ces entreprises doit améliorer leur gouvernance et leur efficacité, elles font peser un risque sur la trajectoire des finances publiques au travers de leurs investissements (18% de l’investissement total entre 2015 et 2019). Or, l’État ne disposera plus des mêmes marges de manœuvre pour faire face à un éventuel second choc.
Conditions de financement et profil de dette favorables
La dégradation des comptes publics reste supportable grâce aux bonnes conditions de financement. Alors que les taux des bons du Trésor sur le marché local n’ont jamais été aussi bas, en dépit d’un gros volume d’émissions en 2020, les autorités ont réussi à s’endetter sans trop de difficultés sur les marchés internationaux avec deux émissions, en septembre et décembre, pour des montants respectifs d’1 milliard d’euro et de 3 milliards de dollars US.
Avec un coût apparent de la dette de seulement 4%, le Maroc a ainsi pu contenir le poids de la charge d’intérêts à 12% des ressources budgétaires, soit l’un des niveaux les plus faibles parmi les économies importatrices de pétrole de la région. En outre, la courbe des taux a continué de baisser au premier trimestre (graphique 17). En plus du biais accommodant de la politique monétaire, le gouvernement bénéficie, en effet, d’une base large et captive d’investisseurs locaux dont beaucoup se positionnent sur des maturités de long terme. La perte de son statut « Investment grade » ne semble pas non plus avoir altéré les conditions d’emprunt du Royaume sur les marchés financiers internationaux. Après avoir culminé à 400 points de base en mars 2020, le spread souverain du Maroc est seulement revenu à son niveau modéré d’avant crise (200 points de base, cf. graphique 18).
La structure de la dette constitue aussi un élément de support. Constituée à 76% en monnaie locale (graphique 19), elle est modérément exposée au risque de change. De plus, la composition de la dette en devise est proche du panier actuel de cotation du dirham (60% euro et 40% dollar US). Fin 2020, 61% du stock de la dette en devise était libellé en euros et 34% en dollars US.
En outre, sa durée de vie moyenne est assez longue (7,5 ans), l’intégralité de l’endettement du Trésor sur le marché local est à taux fixe, et la dette en devise est encore détenue à plus de 60% par des créanciers officiels malgré les récentes sorties du Maroc sur les marchés financiers internationaux.
Dans l’ensemble, la trajectoire de la dette est donc peu sensible aux chocs exogènes, hormis ceux sur la croissance et le déficit primaire. Le niveau bas du stock d’eurobonds (8% du PIB), et plus généralement de la dette extérieure du Trésor (18,4% du PIB), offre également des marges de manœuvre aux autorités en cas de tensions de liquidité sur le marché domestique. Ce pourrait être le cas si la persistance d’un besoin de financement élevé venait à peser sur l’investissement du secteur privé (effet d’éviction), même si ce scénario est peu probable à court terme. En outre, le soutien des bailleurs de fonds reste solide.
Position extérieure solide
Matelas de liquidité confortable
Malgré la dégradation des finances publiques, la stabilité extérieure n’apparaît pas menacée. En tirant intégralement début avril 2020 sur la ligne de précaution et de liquidité du FMI pour un montant de USD 3 mds, les autorités ont cherché à protéger l’économie d’éventuelles pressions. Elles y sont parvenues. Combinée à une mobilisation importante d’emprunts extérieurs par le Trésor (émissions euro-obligataires, prêts des institutions bi-multilatérales), cette opération a en effet permis de reconstituer le stock de réserves de change à un niveau très confortable. Fin 2020, elles atteignaient USD 33,7 mds, soit l’équivalent de 9 mois d’importations de biens et services (graphique 20).
En outre, l’impact de la chute des recettes touristiques sur les comptes extérieurs a été moins sévère qu’attendu car en partie compensé par la bonne tenue des transferts financiers de la diaspora marocaine (12-15% des recettes courantes), en hausse de 5% par rapport à 2019. La contraction plus prononcée des importations (-14,1%) que celle des exportations (-7,5%) a aussi permis un allègement substantiel du déficit commercial. Tous les principaux postes d’importations, à l’exception des produits alimentaires, se sont nettement repliés en raison de la faiblesse de la demande domestique. La baisse des prix du pétrole y a également fortement contribué. Au final, le déficit courant s’est réduit à seulement 1,5% du PIB contre 4,1% en 2019 et une moyenne de 3,9% du PIB sur les cinq dernières années avant la crise (graphique 21).
À fin avril 2021, le déficit commercial continuait encore de s’alléger de 4,2% grâce à un redressement beaucoup plus rapide des exportations (+22,3% en v.a.) que celui des importations (+10,7% en v.a.) en dépit de la franche remontée des cours du Brent.
Malgré une détérioration prévisible de la dynamique dans les prochains mois sous l’effet d’un redressement de la demande (lancement de grands chantiers en infrastructure), le déficit courant devrait rester modéré, inférieur à 4% du PIB en 2021-2022. Des poches de fragilités demeurent.
Premièrement, les recettes touristiques devraient rester encore inférieures de 3,5 points de PIB cette année par rapport à 2019 et l’amplitude du redressement du secteur à partir de 2022 est incertain.
Deuxièmement, la résilience des transferts de fonds des Marocains résidant à l’étranger (essentiellement en Europe) pourrait s’éroder même si l’élan de solidarité de la diaspora est indéniable.
Néanmoins, l’économie marocaine dispose aussi de solides fondamentaux pour attirer les capitaux. Après avoir touché un point bas à 0,5% du PIB en 2019, les flux nets d’investissements directs étrangers se sont quelque peu redressés en 2020 pour atteindre 1,1% du PIB malgré la crise.
Si cela reste nettement inférieur au niveau atteint entre 2010 et 2015 (2,4% du PIB en moyenne), lorsque les grands projets industriels se sont mis en place, le regain de dynamisme du secteur manufacturier à l’échelle mondiale, Europe incluse, aura des retombées positives sur l’économie marocaine.
Même en retenant des hypothèses conservatrices, en raison des incertitudes liées aux effet de la pandémie sur le secteur immobilier (deuxième récipiendaire après l’industrie), les flux nets d’IDE pourraient atteindre 1,3% du PIB en 2021 et 1,5% en 2022, soit plus du tiers du déficit courant. En outre, même si la dette extérieure s’est alourdie pour atteindre un peu moins de 60% du PIB, la maturité est longue à 90% (graphique 22), et compte tenu à la fois du bon accès aux marchés financiers internationaux et du soutien des bailleurs, couvrir les besoins de financement restants ne devrait pas trop poser de difficultés.
Régime de change : flexibilisation accrue mais contrôlée
La solidité de la position extérieure se reflète également dans l’évolution du dirham. En élargissant en mars 2020 la marge de fluctuation du MAD à +/- 5% contre +/- 2,5% auparavant, les autorités monétaires ont laissé la monnaie marocaine s’ajuster au choc initial de la pandémie avant de se renforcer par la suite (graphique 24) grâce au gonflement des réserves de change et à l’allègement du déficit commercial. Le MAD a même tendance à tutoyer la borne haute depuis plusieurs mois, soulignant des pressions à l’appréciation contre le dollar US, qui devraient néanmoins s’apaiser compte tenu de la détérioration attendue des comptes extérieurs.
Le FMI considère le moment opportun pour flexibiliser encore plus le régime de change. Les prérequis sont en place : l’inflation est basse et maîtrisée, l’endettement extérieur modéré, et les réserves de change sont confortables. Selon les autorités monétaires, en revanche, il est plutôt urgent d’attendre.
Sans remettre en cause les gains d’une telle réforme, le contexte reste trop instable pour engager une nouvelle étape de la transition vers un régime de change flexible. Après tout, la stabilité du taux de change effectif réel sur longue période (graphique 24) ne semble pas attester d’un désalignement du MAD par rapport aux fondamentaux de l’économie, en particulier l’inflation qui permet de compenser la lente appréciation du taux de change effectif nominal (+0,7% par an en moyenne depuis 2010).
Secteur bancaire : résilient malgré la pression
Le secteur bancaire a bien résisté jusqu’à présent grâce à une position initiale robuste et aux mesures mises en place par les autorités monétaires. Pourtant, le choc a été sévère, comme le reflète la hausse de 14,5% des créances en souffrance à fin 2020 (graphique 25). La dégradation a été plus marquée du côté des ménages (+18,2%) mais les impayés des entreprises ont aussi bondi de 12,3%. Point positif, cette dynamique de détérioration s’est stabilisée depuis le début de l’année. En outre, le moratoire sur le remboursement des prêts ayant pris fin dès le mois de juin 2020, la dégradation de la qualité des actifs serait déjà en partie enregistrée dans les bilans.
Néanmoins, la prudence reste de mise. Alors que le taux de créances douteuses est déjà élevé, à 8,6% en avril 2021, la reprise reste fragile et l’offre de crédit durant la crise a été essentiellement tirée par les différents mécanismes de prêts subventionnés destinés à soutenir la trésorerie des entreprises. Avec 37% des prêts aux entreprises alloués à des PME en 2019, de loin le segment le plus fragile, les banques sont particulièrement exposées. Compte tenu des pressions baissières sur les marges d’intérêts (graphique 26), une hausse importante des défaillances aurait des conséquences néfastes sur la rentabilité du secteur après une année 2020 difficile. Selon Moody’s, les bénéfices nets cumulés des quatre principales banques marocaines (65% des encours de prêts à fin 2020) ont chuté de plus de 50% l’an dernier malgré la diversification de leur source de revenus à l’international. En 2019, ¼ des actifs consolidés de ces dernières provenaient de leurs filiales à l’étranger, essentiellement en Afrique sub-saharienne où la crise a été moins sévère. Or, les perspectives de cette zone sont fragiles également en raison des retards pris dans la vaccination. En d’autres termes, il s’agit d’une source de vulnérabilité supplémentaire.
Avec des ratios de capitalisation supérieurs aux normes prudentielles (15,6% pour les fonds propres réglementaires et 11,5% pour les fonds propres de catégorie 1 à fin 2019), les amortisseurs apparaissent, cependant, suffisants pour faire face à la monté du risque de crédit. Le taux de provisionnement est aussi considéré comme adéquat (68% en juin 2020) et la base de financement est solide.
Deux tiers du passif du système bancaire proviennent des dépôts de la clientèle dont la collecte n’a pas été altérée par la crise. En hausse de 5% en 2020, les dépôts couvrent 104% des crédits à l’économie, un niveau satisfaisant. La présence relativement importante de banques étrangères (16% des actifs) est a priori aussi un facteur de support pour la stabilité du système. Par le passé, les maisons mères n’ont, en effet, pas hésité à soutenir la liquidité de leurs filiales, voire à les recapitaliser. Surtout, les autorités monétaires se sont montrées particulièrement réactives durant la crise et il est fort à parier qu’elles le resteront si de nouvelles tensions venaient à émerger.
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L’impact du choc de la pandémie sur le tissu socio-économique marocain a été sévère et laissera des traces. Alors que les progrès de la vaccination laissent espérer une sortie de crise pour 2022, les autorités ne peuvent pas se contenter d’appuyer la reprise au moyen de stimuli budgétaires et monétaires. L’économie a aussi besoin d’un nouveau programme de réformes pour devenir plus résiliente et générer plus d’emplois.
Point positif, les risques macro-financiers sont faibles à court terme. La dette a certes fortement augmenté mais sa structure reste favorable et les conditions de financement avantageuses limitent les risques de refinancement. La solidité du secteur financier marocain, le niveau élevé des réserves de change, ou encore l’appui des partenaires étrangers sont autant d’autres atouts. Surtout, les autorités marocaines sont conscientes des faiblesses de l’économie (faible productivité, etc.). Or, par le passé, elles ont démontré leur capacité à entreprendre des réformes d’envergure. L’émergence de clusters industriels, en particulier dans le secteur de l’automobile, en est l’illustration. Dans un contexte international en pleine reconfiguration, le pays dispose d’avantages comparatifs indéniables pour y prendre part. Mais il faudra faire en sorte qu’à côté de grands groupes étrangers et nationaux se développe un tissu d’entreprises marocaines plus compétitives pour assurer de meilleures retombées sur l’ensemble de l’économie.