La croissance allemande devrait être soutenue, à court terme, par le rebond de son industrie qui comblerait une partie de la perte de production liée à la hausse du coût de l’énergie consécutive au déclenchement de la guerre en Ukraine. L’Allemagne devrait également, en tant qu’économie ouverte, bénéficier du rebond de la croissance en zone euro depuis début 2024. Toutefois, à plus moyen terme, le potentiel de croissance allemand devrait continuer de pâtir des pénuries de main d’œuvre, du poids de son industrie (fragilisée par la transition bas-carbone), ainsi que des conséquences d’un investissement insuffisant dans un contexte de montée en puissance de nouveaux concurrents.
L’Allemagne a renoué avec une croissance positive au 1er trimestre 2024, (+0,2 % t/t,comme en France), et à peine en deçà de la zone euro (+0,3% t/t). Toutefois, ce chiffre s’apprécie différemment quand on tient compte de la contraction du 0,5 % du PIB observée au 4e trimestre 2023. Le PIB du T1 2024 est donc inférieur de 0,3% à celui du T3 2023. Il est même 0,1% en deçà du niveau d’activité du 1er trimestre 2022 (c’est-à-dire avant le déclenchement de la guerre en Ukraine), soulignant que l’Allemagne est parmi les pays qui ont le plus souffert de la hausse du prix de l’énergie. Ce recul est largement le fait de l’industrie, dont la production restait en moyenne, au 1er trimestre 2024, inférieure de près de 5% à son niveau de février 2022.
2024 : l’année du rebond
Les enquêtes de climat des affaires signalent une embellie conjoncturelle assez claire. Le PMI composite, à 52,4 en mai 2024, est à son plus haut niveau depuis 12 mois. Et même si l’industrie allemande reste un maillon faible, la composante « production » du PMI manufacturier a rebondi à 48,9 en mai, un plus haut en 13 mois.
Le PMI des conditions à l’export (calculé à partir de la moyenne des PMI des pays clients de l’Allemagne, pondérée par leur part dans les exportations allemandes) a rebondi à 51,9 en mai, son niveau le plus élevé en plus de deux ans. Une amélioration qui fait suite à un 1er trimestre marqué par une contribution des exportations à la croissance à hauteur de 0,5 point de pourcentage, après un repli observé lors des trois trimestres précédents.
Il n’est pas surprenant qu’une économie dont les exportations représentent près de 50% du PIB bénéficie d’une amélioration des conditions globales d’activité. Les exportations vers les États-Unis sont d’ores et déjà un soutien pour le commerce extérieur allemand qui a pris sa part dans une évolution majeure : le retour de la zone euro en tant que premier fournisseur des États-Unis, devant la Chine. Concernant l’Allemagne, les exportations vers les États-Unis constituent un véritable relais de croissance : +5,6% a/a sur les quatre premiers mois de 2024 vers les États-Unis et +40,4% par rapport à la même période de 2019 (contre +3,2% vers la Chine vs. 2019). Un début de rebond des exportations vers la zone euro peut être observé en parallèle .
Le repli relatif des prix de l’énergie est un autre soutien, notamment le prix de l’électricité à destination de l’industrie (+42% en février 2023 par rapport à son niveau d’août 2021, la baisse récente n’ayant permis d’ « amortir » que le tiers de cette hausse). En conséquence, la production dans les secteurs énergivores, encore largement pénalisée en 2023, peut désormais rebondir : +7% en février-mars dans la chimie par rapport au niveau de production moyen observé en 2023. Et un potentiel additionnel de rebond existe puisque la production reste dans ce secteur de 7% inférieure à son niveau de février 2022.
Un potentiel de croissance qui s’est affaibli
L’économie allemande ne bénéficie plus aujourd’hui des mêmes soutiens que par le passé. Le pays s’est préparé à bénéficier pleinement de l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001 et de l’élargissement de l’Union européenne à l’Europe centrale en 2003 en adoptant les réformes Hartz (2003-05). En transformant le marché du travail, ces réformes ont permis de contenir le coût du travail et de parvenir progressivement au plein emploi (le taux de chômage atteignant 5% fin 2018).
Entre 2005 et 2018, l’Allemagne a créé près de 5,6 millions d’emplois, soit 430 000 emplois par an, contre 180 000 par an entre 2018 et 2023. Par ailleurs, la proportion d’entreprises considérant que le manque de main d’œuvre pénalise sa production a atteint 20% dans les services et 16,5% dans l’industrie en moyenne sur cette période (alors qu’elle était résiduelle auparavant) selon l’enquête de la Commission européenne.
En parallèle, l’investissement en machines et équipement était inférieur de 5% au 1er trimestre 2024 à son niveau de fin 2018. Toutefois, cela ne provient pas d’un effet « substitution » vers les services, puisque l’investissement en services marchands n’a pas progressé entre les deux dates. Un virage vers une demande accrue de services que l’économie allemande ne semble pas prendre non plus du point de vue de la consommation des ménages (au contraire de la France), qui était inférieure de 1,4% au T1 2024 à son niveau de fin 2018.
Si d’un point de vue comptable (moins d’apport de main d’œuvre et de capital), la croissance potentielle allemande s’est affaiblie, il en va différemment de la position compétitive du pays, pour l’heure plutôt préservée. Certes, l’Allemagne se heurte à une problématique de débouchés à l’exportation, avec la concurrence croissante de la Chine et des États-Unis. Si sa part de marché dans les exportations mondiales s’est maintenue à 8% entre 2010 et 2018, malgré la montée en puissance de la Chine, cette part est tombée à 7% en 2023, passant en deçà de celle des États-Unis (8,5%). Toutefois, cela s’explique notamment par la baisse, en partie temporaire, de la production industrielle (chimie notamment), alors que, dans le même temps, la compétitivité-prix allemande se serait maintenue, selon les calculs de la Bundesbank, un résultat robuste selon différentes méthodologies. En outre, les aspects de compétitivité hors prix (investissement en R&D, taux d’équipement en robots) demeurent favorables pour l’Allemagne. Le net rattrapage opéré par la Chine confirme cependant l’irruption de ce nouveau concurrent notamment dans les secteurs traditionnellement parmi les plus performants de l’industrie allemande (automobile, chimie).
Achevé de rédiger le 20 juin 2024