Jusqu’à maintenant, l’économie égyptienne a traversé la crise du Covid-19 sans dégradation significative de ses principaux indicateurs macroéconomiques. La croissance du PIB est restée positive et les soldes budgétaire et extérieur sont relativement stables. Ces bonnes performances résultent notamment de l’assainissement macroéconomique des années précédentes et du soutien financier extérieur. À court terme, les perspectives sont mitigées. La reprise de l’inflation, si elle persistait, pourrait enclencher un cycle de durcissement monétaire, avec des conséquences négatives pour les finances publiques. Par ailleurs, la vulnérabilité extérieure est entretenue par des déficits courants structurels et une dépendance aux flux d’investissements de portefeuille. Plus fondamentalement, le rythme de croissance ne suffit pas à absorber la hausse de la population active, alimentant l’économie informelle. La principale solution à ces défis réside dans l’accroissement de l’investissement (hors hydrocarbures) et de la productivité du secteur privé, qui constituent deux points faibles récurrents de l’économie égyptienne.
Une croissance économique soutenue mais sur des bases fragiles
Le rôle moteur de la consommation
Depuis la mise en place des réformes macroéconomiques en 2017, la croissance économique a atteint 4,4% par an en moyenne. Dans un contexte de consolidation budgétaire et de faible compétitivité des exportations, la consommation des ménages égyptiens et l’investissement en ont été les moteurs principaux. Toutefois, la consommation des ménages – qui contribue à plus de 85% de la formation du PIB – a été contrainte en 2018 et 2019 par les fortes pressions inflationnistes (respectivement 22% et 13% en moyenne annuelle) qui ont réduit le pouvoir d’achat. Durant cette période, l’investissement a pris le relai grâce aux transformations accélérées du secteur de l’énergie avec la construction de nouvelles capacités de production d’hydrocarbures et de génération d’électricité.
La croissance économique est restée soutenue depuis le déclenchement de la pandémie de Covid-19 en 2020 en raison des restrictions modérées imposée à l’activité, du soutien des dépenses publiques et, surtout, de la reprise de la consommation des ménages. La croissance réelle du PIB a atteint 3,6% et 3,3% respectivement au cours des années budgétaires (a.b.)[1] 2020 et 2021. L’Égypte est le seul pays de la région Afrique du Nord Moyen-Orient à n’avoir pas connu de récession durant cette période. Au cours de ces deux dernières années, la consommation intérieure (publique et privée) n’a pas enregistré un seul trimestre négatif. Au-delà des éléments démographiques structurels qui soutiennent traditionnellement la consommation, la réduction significative de l’inflation (5,6% et 4,5% en moyenne respectivement durant les a.b. 2020 et 2021) et la croissance du crédit aux ménages ont permis de réaliser une croissance totale du PIB de 3,6% et 3,3% (a.b. 2020 et 2021). A contrario, l’investissement a été la composante de la croissance la plus affectée par la crise. Il s’est contracté d’environ 26% en cumul sur les a.b. 2020-2021. Cette évolution est notamment due à la chute de 80% de l’investissement dans le secteur des hydrocarbures (environ 18% de l’investissement total) dans un contexte de forte baisse des prix du pétrole en 2020. La contribution des échanges extérieurs à la croissance a été positive en 2020 puis négative en 2021 (a.b.) et il est difficile de dégager une tendance claire. Les recettes du tourisme ont diminué de plus de 60% en cumul sur 2020-2021. La forte augmentation de la production de gaz depuis 2018, avec la mise en production du champ gazier Zohr, a permis de réduire les importations d’énergie et d’exporter une partie du surplus dégagé. En dehors du secteur de l’énergie, les exportations sont structurellement peu dynamiques et ce sont les importations, liées à l’évolution de la consommation et de l’investissement, qui déterminent la contribution extérieure nette des secteurs hors hydrocarbures.
Accélération attendue à court terme
À court terme, nous prévoyons une reprise de l’activité. Les indicateurs avancés (consommation électrique, indicateur de mobilité, indice de production industrielle) ont rebondi depuis le deuxième trimestre 2021. Le secteur touristique devrait progresser avec la réduction de la pression pandémique et la levée de l’interdiction pour les touristes en provenance de Russie de se rendre en Égypte. Néanmoins, cette reprise de la fréquentation restera graduelle étant donné la persistance de la menace épidémique au niveau mondial. L’immobilier et la construction continuent de bénéficier de la mise en œuvre de nombreux projets urbains et d’infrastructures publics. Du côté de la demande, la hausse annoncée des salaires et des retraites dans la fonction publique devrait continuer de soutenir la consommation des ménages. La hausse des prix de l’énergie depuis le début de l’année et les perspectives relativement favorables pour les producteurs devraient stimuler les dépenses d’investissement dans le secteur pétrolier. Dans ce contexte d’une reprise de la consommation et, dans une moindre mesure, de l’investissement, la hausse des importations devrait pénaliser la contribution extérieure à la croissance du PIB. Au total, nous prévoyons 5,5% de croissance du PIB durant l’année budgétaire 2022. Les deux principaux risques pesant sur ce scénario sont une accélération de l’inflation, qui pèserait sur la consommation des ménages, et une résurgence de l’épidémie qui remettrait en question la reprise du tourisme.
Manque de relais de croissance à moyen terme
À moyen terme, les perspectives économiques sont plutôt favorables, mais certaines fragilités demeurent. La consommation des ménages restera le moteur principal de la croissance, même si la résurgence de l’inflation pourrait en ralentir la progression. La reprise graduelle du tourisme devrait mécaniquement soutenir l’emploi, tandis que la dynamique du crédit aux ménages, qui ne représente que 9% du PIB, devrait se renforcer avec l’arrivée sur ce marché d’acteurs non-bancaires. La contribution directe du secteur public à la croissance pourrait augmenter avec la mise en place de politiques plus structurelles (santé et éducation). La poursuite de la politique de grands travaux devrait continuer de soutenir les secteurs de la construction et de l’immobilier qui contribuent à environ 17% du PIB total, et ont continué de croître à un rythme soutenu durant la crise sanitaire.
Néanmoins, la dépendance de la croissance vis-à-vis de la consommation des ménages est un facteur de fragilité. Celle-ci a contribué à 87% de la formation du PIB durant l’année budgétaire 2021, contre 73% en moyenne durant la première décennie des années 2000. La dynamique de l’emploi reste médiocre dans un contexte d’assainissement budgétaire et les créations d’emploi dans le secteur privé restent concentrées dans les secteurs les moins productifs, et donc les moins rémunérateurs. Par ailleurs, les perspectives concernant l’investissement restent dépendantes du secteur de l’énergie. La production d’hydrocarbures et la génération d’énergie représentent pratiquement 30% de l’investissement total depuis une décennie. Même si l’investissement devrait rester soutenu à moyen terme dans ce secteur, avec notamment le développement des énergies renouvelables et le maintien des capacités de production existantes, le niveau d’investissement pourrait baisser par rapport à la décennie 2010. Concernant l’investissement hors du secteur des hydrocarbures, les perspectives demeurent très incertaines. En effet, l’investissement (en terme nominal) du secteur privé en pourcentage du PIB est en baisse continuelle depuis 2010. De plus de 10% du PIB en moyenne entre 2006 et 2010, il est retombé en moyenne à 6,3% du PIB durant les cinq dernières années (3,2% durant l’année budgétaire 2021). Du côté des investissements directs étrangers (IDE), ceux-ci ont été concentrés dans le secteur de l’énergie jusqu’en 2019 (au-delà de 60% du total des IDE).
Les défis de la croissance égyptienne
Une croissance qui ne répond pas au défi de la croissance démographique
Le contenu en emploi de la croissance ne permet pas de générer suffisamment de postes pour répondre à l’évolution du marché du travail égyptien. Alors que la population active (âgée de 15 à 64 ans) augmente de plus d’un million de personnes chaque année, le taux de participation (population active rapportée à la population d’âge actif) a tendance à décroître, de 42,8% entre 2011 et 2015 à 40,4% en moyenne au cours des cinq dernières années. Une part croissante de la population active s’est retirée du marché du travail ou, plus vraisemblablement, est employée dans le secteur informel. Ce gonflement du secteur informel est confirmé par les données de la Banque mondiale[2] basées sur les taux de souscriptions à une assurance sociale et à un contrat de travail, qui constate une hausse de la proportion de travailleurs occupés dans le secteur informel entre 2016 et 2019. Ce mouvement s’est vraisemblablement accéléré en 2020 (année pendant laquelle le taux de participation est tombé à 38,5%) et 2021 avec la réduction des opportunités d’emploi liées à la pandémie. La chute de la fréquentation touristique, secteur qui occupe au moins 10% de la population, a certainement amplifié cette tendance au travail informel.
Les faiblesses structurelles du secteur privé
La difficulté de l’économie égyptienne à générer une croissance soutenue et suffisamment inclusive est liée à la faiblesse de l’investissement, notamment dans le secteur privé, et de la productivité. Ce constat n’est pas nouveau, mais ces insuffisances se sont aggravées ces dernières années. Le taux d’investissement total (en terme réel) s’est élevé à 15% du PIB en moyenne ces dix dernières années, contre 19% durant la décennie précédente. Non seulement ce ratio est en baisse sur une longue période, mais il est significativement plus bas que dans les pays émergents équivalents où il a atteint en moyenne entre 25% et 30% du PIB au cours de la dernière décennie (par exemple 28% et 34% en Turquie et au Maroc respectivement). L’investissement privé est extrêmement bas, puisqu’il équivalait à 5% du PIB durant l’a.b. 2020 (dont 17% dans le seul secteur de l’énergie). Un certain nombre d’éléments liés au secteur public dans son ensemble peuvent expliquer cette situation : le niveau des taux d’intérêt réels maintenus à un niveau élevé pour préserver l’attractivité de la dette du gouvernement pour les investisseurs internationaux, la mobilisation de l’épargne pour couvrir le besoin de financement important du gouvernement, ou encore les distorsions de concurrence engendrées par le rôle croissant du secteur public au sens large dans l’économie.
D’autres éléments plus structurels peuvent jouer un rôle non négligeable. Ainsi, A. Adly[3] a montré que le secteur privé égyptien se trouve déséquilibré entre, d’une part, des grandes entreprises performantes, actives dans l’agroalimentaire, les biens d’équipement ou certains services, et présentes pour certaines sur les marchés internationaux, et, d’autre part, une multitude de très petites entreprises souvent à la lisière du secteur informel avec un recours très limité au salariat. Le tissu de petites et moyennes entreprises, nécessaires au développement économique, est très peu développé. L’auteur rappelle notamment le rôle de sous-traitants de ces « entreprises du milieu » dans l’intégration des plus grandes entreprises dans les chaînes de valeur internationales (en Asie par exemple). Or, ce sont ces entreprises de taille intermédiaire qui sont en mesure de créer des emplois d’une manière significative. Selon Adly, les difficultés d’accès au foncier et au crédit expliquent ce sous-développement du secteur des PME. Bien que ces deux facteurs de production abondent a priori (le système bancaire bénéficie d’un niveau de liquidité élevé et les ressources foncières sont abondantes[4]), l’auteur souligne le manque d’institutions intermédiaires qui permettraient aux très petites entreprises d’y accéder et, ainsi, de se développer en s’intégrant au marché.
Selon la Banque mondiale, la croissance de la productivité est l’une des plus faibles parmi les pays émergents de même catégorie, ce qui limite le potentiel de créations d’emploi. L’économie égyptienne est plutôt spécialisée dans des secteurs à faible productivité, tels que l’agriculture (24% de l’emploi total), et les secteurs ayant un niveau faible de productivité ont enregistré la plus forte progression de l’emploi, tels que la construction et le transport. Par ailleurs, l’économie est faiblement ouverte sur l’extérieur puisque les exportations de biens et services ne représentent que 15% du PIB en moyenne depuis 2016. Or, le développement des secteurs exportateurs (hors matières premières brutes) est généralement associé à une hausse de la productivité des entreprises exportatrices. En Égypte, les secteurs dans lesquels la croissance de l’emploi est la plus forte appartiennent à la catégorie des biens non-échangeables internationalement (services du secteur privé et commerce de détail notamment).
Secteur de l’énergie
Perspectives incertaines pour le pétrole
La production de pétrole brut a décliné de manière régulière depuis 2015. Les compagnies pétrolières privées ont réduit leurs dépenses d’investissement à mesure que les prix du pétrole baissaient sur les marchés internationaux. La production nationale de pétrole brut et de condensats a ainsi atteint 0,62 million de barils par jour (mbj) en 2020 contre 0,72 mbj en 2015. Le secteur de la production onshore est dominé par des compagnies assez petites, et la production égyptienne, qui est constituée de pétrole lourd, se négocie avec une décote importante par rapport aux pétroles de référence. La plupart des champs onshore sont matures et, de ce fait, leur taux de déplétion est élevé, ce qui implique des dépenses d’exploitation et d’investissement constantes afin de maintenir stable le niveau de production. Les capacités financières des petits producteurs étant limitées, la réduction de l’écart entre les prix de marché et le point mort entraîne une baisse des dépenses et donc une baisse de la production. La hausse récente des prix de marché semble avoir relancé les dépenses dans le secteur, ce qui permettra de ralentir la baisse de la production.
L’Égypte est devenue temporairement exportatrice nette de pétrole en 2020 en raison de la réduction de la demande intérieure dans le contexte pandémique. La hausse récente des prix de marché semble avoir relancé les dépenses dans le secteur, mais cela permettra juste de ralentir la baisse de la production. Le pays devrait rester structurellement un importateur net de pétrole brut. A contrario, grâce à la mise en place de nouvelles unités de production, le pays est actuellement exportateur net de produits pétroliers raffinés et pourrait le rester.
Hausse des exportations de gaz : pour combien de temps ?
Le gaz naturel est l’élément principal du mix énergétique égyptien depuis 2018 et la mise en production du champ gazier Zohr. Actuellement, la capacité de production dépasse la demande intérieure, ce qui renforce les volumes d’exportations depuis fin 2018. Ces dernières sont particulièrement dépendantes des conditions de marché. Ainsi, en 2020, elles ont été plus que divisées par deux (2,7 mds de m3 contre 5,9 en 2019) en raison de la chute des prix du gaz naturel liquéfié (GNL) sur le marché asiatique qui sert de référence au GNL égyptien. Les prix de vente du gaz égyptien sont déterminés sur le marché spot (par opposition aux contrats d’approvisionnement de long terme) et connaissent une volatilité importante. Avec l’effondrement de l’activité en 2020, le prix de marché est devenu inférieur au coût de revient égyptien (environ USD 5/million de British thermal unit (mbtu)). Le prix spot du GNL à destination de l’Asie (plus de 80% des exportations égyptiennes) était inférieur à USD 4 mbtu entre février et octobre 2020. Dans ce contexte, EGAS (l’organisation publique du marché du gaz), qui doit payer un prix contractuel de USD 4 mbtu aux exportateurs, a réduit temporairement les exportations de GNL. En 2021, l’augmentation de la demande asiatique et la remise en activité du deuxième terminal de liquéfaction de Damietta a permis un rebond des exportations qui, sur les sept premiers mois de l’année, ont été 2,1 fois supérieures à celles de l’année 2020 dans sa totalité. Par ailleurs, l’Égypte exporte aussi du gaz par gazoduc (0,19 md de m3 en 2020), notamment vers la Jordanie. Toutefois, il faut souligner que les importations de gaz, notamment en provenance d’Israël, en permettant d’augmenter la quantité de gaz exportable, expliquent le niveau élevé des exportations constaté depuis le début de l’année. Depuis début 2021, les importations de gaz sont équivalentes à 67% des exportations nettes, contre 13% pour l’ensemble de l’année 2020
La durabilité de la capacité d’exportation à moyen terme est incertaine. En effet, si la consommation intérieure a quasiment stagné en 2019 et 2020, elle devrait croître dans les prochaines années avec le développement du raccordement des ménages au réseau gazier national et les besoins importants en gaz naturel du secteur de la pétrochimie. Or, il n‘y a pas pour le moment de perspectives d’augmentation significative de la capacité de production.
Rebond modéré de l’inflation
L’inflation des prix à la consommation s’est significativement réduite depuis 2019 pour atteindre en moyenne 4,5% en 2021, contre 13,4% en 2019. Cette baisse s’explique par un certain nombre de facteurs : la fin du cycle de baisse des subventions, la modération de la consommation des ménages en 2019 et la stabilisation des prix alimentaires, traditionnellement le principal moteur de l’inflation.
Par ailleurs, bien que les prix de l’énergie soient en grande partie libéralisés, les prix des carburants restent soumis à l’influence des pouvoirs publics soucieux d’en limiter la volatilité. L’inflation d’origine monétaire (M2 a crû de 19% en moyenne en 2021) est a priori limitée en raison de la faible bancarisation des transactions.
Depuis fin 2020, les prix à la consommation sont repartis à la hausse, dans un contexte international de poussée des prix alimentaires et de l’énergie et de perturbation des chaines d’approvisionnement des produits industriels. Pour le moment, les biens alimentaires, qui contribuent pour un tiers à l’indice des prix, tirent les prix à la hausse. L’inflation sous-jacente reste contenue (+5,2% en glissement sur un an en octobre 2021) mais a augmenté régulièrement au cours des six derniers mois. C’est principalement la composante alimentaire sous-jacente, et dans une moindre mesure l’éducation (dont l’effet est très saisonnier), qui aliment cette inflation sous-jacente. À court terme, l’inflation devrait continuer d’augmenter modérément pour atteindre 9,0% en glissement sur un an à la fin de l’année budgétaire 2022 (+7,3% en moyenne sur l’année). Le niveau élevé des prix des matières premières, la reprise modérée de la consommation et, surtout, la hausse des coûts de production devraient soutenir cette hausse. Inchangé depuis mars 2020, le prix du gaz naturel pour le secteur industriel a crû de 28% en octobre dernier et pourrait continuer d’augmenter à court terme étant donné la volonté du gouvernement de revoir les prix du gaz plus fréquemment (actuellement tous les 6 mois). À court terme, les prévisions d’inflation restent contenues dans la zone cible fixée par la banque centrale (7% +/-2%), mais se rapprochent de la borne supérieure.
Une politique monétaire plutôt restrictive
Depuis le déclenchement de la pandémie en 2020, la Banque centrale égyptienne (BCE) a donné la priorité au soutien à l’activité économique par rapport à l’inflation, qui reste officiellement l’objectif principal. La BCE a réduit ses principaux taux d’intervention de 400 points de base en 2020. Cette baisse des taux directeurs s’est répercutée entièrement sur les taux des prêts au secteur privé mais son efficacité sur l’activité a été limitée étant donné le faible taux de pénétration du crédit bancaire. Si la croissance du crédit au secteur privé s’est maintenue à un niveau élevé depuis 2019, c’est grâce à la politique de taux d’intérêt bonifiés financés par l’État qui a été mise en place à destination de certaines catégories d’emprunteurs (prêts hypothécaires pour les classes moyennes, tourisme, agriculture, industrie et construction). L’assouplissement monétaire a pris fin en 2021 lorsque les pressions inflationnistes se sont accentuées.
Par ailleurs, la BCE mène des opérations d’open market afin de contrôler la liquidité monétaire. La croissance de l’agrégat monétaire M2 a légèrement ralenti depuis mars 2021 pour atteindre 17,2% en septembre 2021. La baisse du besoin de financement du gouvernement ainsi que la détérioration de la position extérieure nette des banques sont les principaux facteurs de ce ralentissement. Malgré cela, les opérations d’open market de la BCE se sont accrues. Elles représentaient 12,5% du PIB en septembre 2021 contre moins de 10% de M2 durant l’année 2020.
Parallèlement à la lutte contre l’inflation, la politique de taux réels élevés a pour objectif de maintenir l’attractivité du marché de la dette publique en livre pour les investisseurs étrangers. Pour le moment, la dette égyptienne reste attractive étant donné le taux de rendement nominal élevé et le niveau du risque souverain en devise qui reste inférieur aux signatures offrant des rémunérations similaires. Néanmoins, les flux de portefeuille sont volatiles par nature, et le passé récent a montré la faible discrimination des investisseurs quand il s’agit de faire face à des perturbations globales sur les marchés financiers. L’arrêt de la baisse des taux se justifie par la menace d’un durcissement des conditions monétaires aux États-Unis. À court terme, ces deux facteurs - hausse des pressions inflationnistes et durcissement monétaire international – pourraient favoriser le retour d’une politique de hausse des taux de la part de la BCE.
Finances publiques : stabilisation réussie mais encore coûteuse
La consolidation budgétaire pourrait s’interrompre
La situation des finances publiques s’est améliorée régulièrement depuis cinq ans avec la réduction de certaines dépenses (baisse des subventions et meilleur contrôle des salaires) qui a permis de compenser la stagnation, voire la réduction des recettes. Depuis l’année budgétaire 2020, les recettes budgétaires sont de nouveau orientées à la hausse grâce à l’augmentation des revenus fiscaux (introduction de nouvelles taxes et élargissement de la base fiscale) et à une amélioration de la collecte grâce à la mise en place de nouveaux outils par l’administration fiscale (notamment digitalisation des opérations fiscales) et une application plus stricte des règles fiscales.
Les conséquences de la pandémie sur les finances publiques ont été limitées. Le plan de soutien budgétaire à l’activité a été modeste et l’ajustement s’est poursuivi durant cette période. L’enveloppe budgétaire de soutien s’élevait à l’origine à environ EGP 100 mds (1,6% du PIB), mais le gouvernement ne l’aurait que partiellement utilisé. Les dépenses de subventions ont continué de réduire avec la hausse des prix de l’électricité (équivalant à environ 0,15% du PIB). Parallèlement, les revenus fiscaux ont augmenté en g.a. de 13% durant l’a.b. 2021. Il s’agit pourtant de la période pendant laquelle l’économie a été la plus affectée par les conséquences de la pandémie, l’impôt exceptionnel sur les salaires (1%) et retraites (0,5%) des fonctionnaires devant rapporter l’équivalent de 0,10-0,15% du PIB en année pleine.
Le solde primaire devrait afficher un excédent (+1,5% du PIB durant l’a.b.2021). Le paiement des intérêts sur la dette du gouvernement serait pratiquement stable en valeur, mais resterait très élevé en pourcentage des revenus budgétaires totaux (51% contre 58% l’année précédente). Au total, le déficit budgétaire du gouvernement général atteindrait 7,4% en 2021 (a.b.).
Le budget de l’année budgétaire 2022 est a priori plus expansionniste que les précédents, afin notamment de soutenir le pouvoir d’achat des ménages. L’augmentation attendue de 11% des dépenses salariales entrainerait une hausse d’environ 8% des dépenses totales. Par ailleurs, l’accent est mis sur les secteurs de l’éducation et de la santé, ce qui indique une modification des priorités budgétaires après cinq années de consolidation sous l’égide du FMI. Néanmoins, la persistance du risque épidémique pourrait amener le gouvernement à reporter certaines dépenses d’investissement. Du côté des recettes, la reprise économique devrait les faire progresser de 12% environ. Selon ce scénario, le déficit budgétaire total s’inscrirait en légère baisse à 6,8% du PIB.
À court terme, un des principaux risques pesant sur les dépenses provient de la hausse des prix des matières premières qui entrainerait celle des dépenses de subvention. Ainsi, la hausse actuelle des prix du blé sur les marchés internationaux (+13% depuis fin juin 2021) affecterait les subventions alimentaires qui représentent environ 6% des subventions totales. Le gouvernement envisage l’utilisation d’instruments de couverture afin de limiter le coût pour les finances publiques. Les conséquences de la hausse des prix de l’énergie sont plus difficiles à déterminer. Malgré les déclarations du gouvernement, le mécanisme d’ajustement automatique des prix du carburants (plafonné à 10% par trimestre) ne reflète pas entièrement les variations des prix de l’énergie sur les marchés internationaux. Il est difficile d’estimer le coût pour les finances publiques de la hausse des prix du pétrole, l’ajustement incomplet des prix ayant pu jouer positivement quand les prix mondiaux étaient inférieurs aux prix intérieurs durant l’a.b. 2020.
Le service de la dette reste une contrainte forte
Malgré la baisse des taux en 2020 et la réduction attendue du déficit budgétaire, le service de la dette restera très élevé dans les années à venir. C’est principalement l’allongement des maturités d’émission sur le marché local qui permettra une baisse du service annuel de la dette. Le potentiel de baisse des taux domestiques est faible à court terme, tandis spreads sur les eurobonds ont augmenté d’environ 150 points de base depuis septembre dernier. De plus, les émissions obligataires internationales sont volontairement plafonnées afin de contenir les sorties de devises liées au service de la dette extérieure. L’élargissement des instruments de financement par l’émission de sukuk[5] et d’obligations vertes resterait marginal par rapport au montant total des émissions. À court terme, la probabilité d’une hausse des taux de la BCE est assez élevée. Elle menace le processus de réduction du service de la dette. Selon nos estimations, ce n’est qu’à partir de 2023 que la charge d’intérêts redeviendra inférieure à 50% des revenus budgétaires totaux.
Financement et endettement du secteur public : un lourd fardeau difficile à alléger
Besoin de financement important du gouvernement général
Même si le déficit budgétaire baisse de façon régulière et que la dynamique de dette s’améliore lentement, le besoin de financement du gouvernement reste important. En plus du déficit budgétaire, l’équivalent de 45 à 50% du PIB en dette intérieure de court terme arrive à maturité chaque année. En raison de l’importance du besoin de financement et de la forte proportion de dette à court terme, la sensibilité du service de la dette aux variations de taux d’intérêt est forte. La dette du gouvernement a atteint 90% du PIB durant l’a.b. 2020 et devrait culminer à 95% du PIB durant l’a.b. 2021, avant de ne commencer à se réduire qu’à partir de 2023 (a.b.). Environ 80% de la dette totale est domestique, composée à parts égales entre les bons du Trésor (principalement à un an) et les obligations à moyen et long terme. Les Eurobonds représentent environ 36% de la dette extérieure du gouvernement (25% en 2017), le reste étant constitué de prêts multilatéraux (notamment FMI et Banque mondiale) qui offrent des conditions de financement plus favorables en moyenne que les Eurobonds.
La part de la dette extérieure ne devrait pas augmenter significativement à moyen terme étant donné la limite imposée aux émissions obligataires internationales et à la réduction progressive du soutien financier du FMI. Néanmoins, la dette extérieure du gouvernement est significative : 34% du PIB selon le critère de la devise d’émission (principalement l’USD), mais 42% du PIB si l’on ajoute la dette en monnaie locale détenue par les investisseurs étrangers.
Le profil de la dette du gouvernement s’améliore. La maturité moyenne de la dette s’accroît mais reste relativement courte (3,2 années). La maturité moyenne de la dette négociable (environ la moitié de la dette intérieure) est seulement de 1,7 année. Avec l’allongement des maturités sur le marché local et les émissions internationales, le taux d’intérêt apparent de la dette[6] a tendance à se réduire. Il était de 9,4% environ durant l’a.b. 2021 (contre 11,9% en 2019), dont 3,6% pour la dette extérieure (3,5% en 2019), mais 6,5% en prenant le critère de la résidence, et 11,1% pour la dette domestique (14,3% en 2019). Ces taux de rendements attractifs expliquent la forte proportion de la dette domestique détenue par les investisseurs étrangers et ont, de ce fait, contribué à accroître la vulnérabilité extérieure du pays. Le paiement des intérêts de la dette extérieure (selon le critère de résidence) est actuellement équivalent à environ 10% des revenus totaux du compte courant, contre 1% environ en 2015.
Dette du secteur public et dette contingente
La dette publique non strictement gouvernementale est non négligeable, mais ne semble pas être une source significative de vulnérabilité pour les finances publiques. Une partie du passif en devises de la BCE est constitué des dépôts de certains États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), effectués afin de soutenir la liquidité en devises du pays. Ces dépôts s’élèvent à USD 15 mds (3,9% du PIB à juin 2021) et sont formellement des prêts. Le statut particulier de cette dette extérieure (c’est notamment un moyen de soutien politique) lui confère un degré d’exigibilité bien moindre qu’une dette de marché. En effet, ils sont dans leur majorité renouvelés à échéance. Un remboursement a été effectué vis-à-vis de l’Arabie Saoudite en 2020, mais cette dernière a effectué un nouveau dépôt de USD 3 mds en octobre 2021 et a étendu la maturité du dépôt existant.
La dette garantie par le gouvernement (incluant les entreprises publiques et les autorités économiques) constitue sa principale dette contingente. Elle est estimée à 18% du PIB durant l’année budgétaire 2020. Les entreprises du secteur public sont actives dans un grand nombre de secteurs économiques. Selon le FMI[7], en incluant les entreprises du secteur public stricto sensu et les celles détenues par l’armée, on compte environ 300 entités totalement publiques et 645 entreprises conjointes avec le secteur privé. À ces entreprises s’ajoutent une cinquantaine d’autorités économiques qui peuvent jouer un rôle macroéconomique significatif dans les secteurs des transports, de l’énergie ou de l’habitat. Les entreprises publiques contribuent à environ 16% du PIB et 6% de l’emploi total. D’une manière générale, leur niveau de rentabilité est assez faible, et les entreprises et autorités économiques financièrement les plus saines sont celles où le gouvernement exerce un monopole (Canal de Suez, hydrocarbures) ou détient un avantage compétitif fort (télécommunications).
Le gouvernement a pour volonté d’accélérer le rythme des privatisations, et le fonds souverain égyptien a annoncé des mises sur le marché de quelques actifs publics appartenant notamment à l’armée. Le montant de ces opérations est pour le moment limité et ces cessions ne devraient pas modifier significativement la solvabilité du gouvernement à moyen terme.
Comptes extérieurs : le nouveau talon d’Achille ?
Les comptes extérieurs sont une source importante de vulnérabilité pour l’économie égyptienne. Les raisons tiennent à des évènements particuliers, comme les conséquences de la situation politique sur le secteur du tourisme, ou des tendances plus structurelles comme la dégradation progressive du solde énergétique. Les déficits courants sont récurrents depuis 2009 et résultent de l’affaiblissement de certaines rentes traditionnelles. La volatilité (flux de portefeuille) ou l’insuffisance (Investissements directs étrangers, IDE) des flux de capitaux ont mis plusieurs fois en danger la liquidité en devises du pays, et a nécessité le soutien de créanciers internationaux. Malgré les niveaux apparemment satisfaisants de réserves en devises de la BCE, l’importance de la facture des importations et la dépendance aux flux de capitaux volatils ont montré que ce soutien international reste indispensable.
Des déficits courants persistants
Le solde des comptes courants est structurellement déficitaire étant donné la forte dépendance de l’économie égyptienne aux importations et la faible compétitivité des exportations hors hydrocarbures. Dans ce contexte, le déficit commercial est élevé (en moyenne environ 13% du PIB entre 2016 et 2020). D’une manière générale, le solde courant est dépendant des performances des trois principales rentes d’exportation : les hydrocarbures (hausse des exportations de GNL, mais à partir d’un volume très réduit, et déclin structurel des exportations de pétrole brut), le tourisme et les transferts provenant des travailleurs expatriés. Les exportations de GNL sont une source incertaine de revenu à moyen terme compte tenu de l’évolution attendue de la consommation et de la volatilité des prix sur le marché spot. La fréquentation touristique est très dépendante d’évènements externes tels que les tensions politiques ou, plus récemment, une dégradation de la situation sanitaire mondiale. Plus que le tourisme, les transferts privés constituent le socle des revenus du compte courant (environ 30% des revenus courants totaux) et sont relativement stables dans le temps.
Le déficit courant est resté modéré durant l’année budgétaire 2020 (3,1% du PIB), conséquence de la chute des importations (-6%) et la hausse des transferts (+10%). Au cours de l’a.b. 2021, le déficit s’est creusé à 4,5% du PIB avec la forte hausse des importations (+13%) et la chute des revenus issus du tourisme (-51%). C’est la hausse inattendue des transferts privés (+14%) qui a évité au déficit courant de dépasser 5% du PIB. On peut avancer deux explications au dynamisme de ces transferts dans un contexte de faible activité économique dans le Golfe : 1/ des expatriés égyptiens ayant quitté les pays du Golfe (en raison de la baisse de croissance et de politiques de l’emploi défavorables aux non-résidents) peuvent avoir vendu leurs biens avant de revenir en Égypte, 2/ les restrictions de mouvement engendrés par la pandémie pourraient avoir contraint les expatriés à utiliser des canaux officiels pour effectuer des transferts monétaires, ce qui a permis de les enregistrer comme des flux dans la balance des paiements.
À court terme, le déficit courant resterait supérieur à 4% du PIB. La reprise de la fréquentation touristique devrait demeurer graduelle car le risque pandémique devrait continuer de peser au moins durant l’année 2022. La reprise des exportations de GNL n’aura qu’un effet limité sur la balance de l’énergie étant donné la quantité non négligeable de gaz importé. Il en sera de même pour les prix du pétrole, puisque le pays est un importateur net de pétrole brut mais exporte des produits raffinés. Le risque principal réside dans le dynamisme des importations, poussées par la reprise de la croissance économique et la hausse des prix de nombreuses matières premières hors énergie (alimentaire notamment). Nous prévoyons que le déficit courant atteindra en moyenne 4,5% du PIB durant l’a.b. 2022 et 2023.
Liquidité en devises renforcée mais vulnérable
La liquidité en devises est restée satisfaisante depuis plusieurs années grâce aux prêts bi- et multilatéraux, aux émissions d’eurobonds par le gouvernement, aux flux d’investissements portefeuille, et ce malgré la faiblesse des IDE en dehors du secteur de l’énergie. Les réserves de change de la BCE ont atteint USD 40,6 mds à fin 2021 (a.b.), ce qui équivaut à 6,2 mois d’importations de biens et services. En y ajoutant les dépôts des réserves tier II (des actifs en devises de la BCE non inclus dans les réserves officielles, qui servent notamment à faire face à la volatilité des flux de portefeuille), le montant total des réserves atteignait USD 50,7 mds, soit 7,5 mois d’importations.
Les tensions sur les marchés financiers en mars 2020 ont démontré la vulnérabilité à la volatilité des investissements de portefeuille. Durant le deuxième trimestre 2020, la détention de dette en monnaie locale par les non-résidents a chuté de USD 18 mds environ, pour atteindre USD 10 mds en juin 2020. Parallèlement, durant les cinq premiers mois de 2020, les réserves de change de la BCE baissaient de USD 9 mds, tandis que la position extérieure nette des banques commerciales se détériorait significativement. En plus de la volatilité intrinsèque des investissements de portefeuille, la volonté de la BCE de préserver la stabilité de la livre égyptienne contribue à la volatilité des réserves de change. La couverture de la dette de court terme en devise (somme de la dette extérieure de court terme et des bons du Trésor détenus par les non-résidents) par les réserves de change se dégrade régulièrement, à 48% en juin 2021 contre 65% fin 2019 et 140% fin 2016 quand il y avait très peu d’investisseurs étrangers sur le marché local de la dette.
Un besoin de financement extérieur élevé
Le besoin de financement extérieur est important compte tenu du niveau assez élevé du déficit courant, des amortissements de dette à moyen et long terme (mais il n’y a pas de « mur de dette » à moyen terme), et surtout du remboursement de la dette extérieure à court terme qui compte pour 60% du total des remboursements selon le FMI. Durant l’année budgétaire 2021, l’amortissement total de la dette extérieure s’élevait à USD 16 mds, pour un besoin de financement total de USD 33 mds. Cette estimation du FMI ne tiens pas compte des dépôts des pays du Golfe auprès de la BCE renouvelés chaque année. Selon nos estimations, le besoin de financement (incluant la dette extérieure de court terme) sera compris entre USD 25 mds et 30 mds par an jusqu’en 2025 (environ 7% du PIB de 2021).
Malgré un soutien extérieur qui reste important, en témoigne le récent dépôt supplémentaire de USD 2 mds de l’Arabie Saoudite auprès de la BCE, la dépendance du pays aux flux de portefeuille restera importante à moyen terme. En effet, on peut s’attendre à un déclin progressif des flux provenant des institutions internationales, notamment de la part du FMI dont le soutien deviendra plus technique que financier. Par ailleurs, les émissions d’obligations souveraines internationales devraient rester inférieures à USD 10 mds par an. Après un niveau bas atteint en durant l’année budgétaire 2021 à 1,3% du PIB, les IDE devraient croître lentement dans un contexte de modération des investissements étrangers dans le secteur des hydrocarbures (par rapport au point haut de USD 10 mds ou 3,3% du PIB atteint en AB 2019) et de hausse très graduelle dans les secteurs hors hydrocarbure, pour atteindre au total 2,5% du PIB en AB 2023. En parallèle, la pression sur les actifs extérieurs nets des banques devrait se poursuivre. Selon ce scénario, les réserves de la BCE devraient augmenter de USD 2,5 mds en 2022 (a.b.) pour atteindre USD 43,3 mds et rester stable en 2023. Cela signifie une légère détérioration de la liquidité en devises puisque les réserves de change de la BCE s’élèveraient à moins de 6 mois d’importations.
Des banques publiques exposées au risque souverain
Le secteur bancaire égyptien est dominé par les banques publiques (environ la moitié de l’actif total du secteur). La politique de prêt est traditionnellement prudente, ce qui favorise la liquidité bancaire, et l’exposition des banques à l’État représente environ 40% des actifs bancaires totaux. L’économie égyptienne reste dominée par les transactions en liquide, et la dette des ménages ne représente que 9% du PIB. De plus, le gouvernement a mis en place une politique d’incitation à accroître les prêts bancaires aux PME.
Les conséquences de la pandémie sur l’activité bancaire et sur la qualité des actifs ont été limitées pour le moment. Cela est dû à la politique traditionnellement prudente de distribution des prêts, à la résistance de l’activité économique au choc, ainsi qu’aux mesures de soutien spécifique (prêts à taux subventionnés, report de paiement de service de dette, etc.) aux débiteurs les plus fragiles. Le crédit au secteur privé est dynamique depuis fin 2019 avec une hausse en moyenne supérieure à 23% en 2020.
Les prêts aux ménages (20% des crédits totaux) et ceux au gouvernement (36% des crédits totaux) sont les segments les plus dynamiques depuis mi-2019. Cependant, la progression du stock de créances nettes totales sur le gouvernement (prêts et titres) a sensiblement ralenti depuis environ un an (+5% en août dernier contre +44% un an auparavant) grâce notamment à l’amélioration des finances publiques et au recours aux financements extérieurs. Les prêts aux entreprises restent le segment le moins dynamique en l’absence de reprise de l’investissement productif. Malgré un environnement économique dégradé, le risque de crédit reste maîtrisé ; le ratio des créances douteuses est ainsi passé de 4,2% en 2019 à 3,5% en juin 2021 selon les données de la BCE.
En revanche, la position extérieure nette des banques s’est significativement détériorée depuis le début de l’année, passant d’un surplus de USD 6,8 mds en février à un déficit de USD 3,8 mds en septembre dernier. Cette situation n’est pas due à une tension sur la liquidité bancaire qui nécessiterait un recours à des ressources extérieures. Les dépôts continuent d’évoluer au même rythme que le crédit au secteur privé, tandis que traditionnellement la position extérieure nette des banques a tendance à évoluer en sens inverse de leurs créances sur le gouvernement. De même, cette dégradation de la position extérieure est en rupture avec les évolutions antérieures qui liaient une situation de détention élevée de titres par les non-résidents avec une position extérieure nette bancaire excédentaire (ces derniers cédant ou procédant à des swaps de devises avec les banques pour acquérir les titres en monnaie locale). Ce déficit est vraisemblablement lié au creusement du déficit courant qui réduit les flux de devises vers les banques, et il pourrait être corrigé par une intervention de la BCE.
Conclusion
Depuis 2016, la réforme des finances publiques et un soutien financier extérieur significatif ont permis de contenir le déficit budgétaire, de stabiliser la dette publique et de restaurer la liquidité en devises. Néanmoins, certains déséquilibres macroéconomiques persistent, et le soutien extérieur demeure indispensable pour faire face à des chocs exogènes.
Le modèle actuel de développement basé essentiellement sur l’impulsion du secteur public a permis un équipement accéléré en infrastructures et le maintien de la croissance malgré un environnement difficile. Mais il ne semble pas en mesure de réduire certaines faiblesses de l’économie égyptienne. Si le risque souverain paraît maintenant sous contrôle, la vulnérabilité extérieure augmente. Les moyens de la réduire sont connus. Ils résident principalement dans l’augmentation de l’investissement privé national et international qui reste à des niveaux structurellement bas, et dans l’amélioration de la compétitivité de la production égyptienne.