Dans un précédent article[1], nous évoquions le défi de taille consistant, pour l’Union européenne (UE), à accélérer sa transition écologique tout en faisant face aux conséquences de son vieillissement. Il se trouve que les termes de l’équation viennent d’être précisés dans le rapport « Draghi » sur la compétitivité et l’avenir de l’Europe[2]. Pour préserver leur modèle social ou encore ne pas décrocher face à la concurrence chinoise et américaine, les Vingt-Sept devraient augmenter d’au moins 800 milliards d’euros par an leurs investissements productifs, ce qui implique un effort sans précédent (équivalent à 4,7 points de PIB soit, au minimum, deux plans Marshall). Les États se trouvant financièrement contraints, le rapport en appelle à l’endettement commun ainsi qu’à l’union des marchés de capitaux, seule manière de libérer une épargne privée abondante, mais encore trop cloisonnée.
Qualifiée « d’existentielle », la principale cause défendue est celle de la productivité. Sur ce terrain, où prime l’innovation, l’UE se fait distancer par les États-Unis[3], alors même que le rapport démographique ne lui est pas favorable. Effet combiné de l’allongement de l’espérance de vie et du déclin de la natalité, la population européenne en âge de travailler (celle des 15-64 ans) a chuté de près de 9 millions depuis le début de la décennie 2010, alors que celle des séniors (les 65 ans et plus) a augmenté de près de 20 millions. Bien que vieillissant aussi, les États-Unis sont loin de connaître le même sort, notamment parce que les taux de fécondité (1,7 enfant par femme) et d’immigration (3,6 entrées nettes pour 1.000 habitants) y sont plus hauts que sur le Vieux continent (cf. graphique, partie gauche)[4].
Il n’est de richesse que d’hommes[5]. Pour compenser le manque de bras, la plupart des pays de l’UE mènent, depuis longtemps déjà, des politiques visant à maximiser les taux d’emploi (recul de l’âge légal de la retraite, durcissement des règles d’indemnisation du chômage, incitations à l’embauche des jeunes, renforcement de la formation professionnelle, etc.). La part des Européens de 15 à 64 ans participant au marché du travail ne cesse par conséquent d’augmenter ; à 75% (en 2023) elle dépasse désormais la moyenne américaine (cf. graphique, partie droite). Quant au taux de chômage (6%), il est à un point bas historique.
S’arrêter en chemin n’est pas une option, eu égard aux projections démographiques d’Eurostat, qui ne font qu’accentuer l’attrition. Ceteris paribus (i.e. à gains de productivité constants et sans effort supplémentaire d’inclusion dans la population active), 3 à 4 millions d’emplois seraient perdus dans l’UE d’ici à 2030, tandis que la croissance potentielle, actuellement proche de 1,5% par an, se verrait amputée d’un point.