Edito

Zone euro : L’inflation à travers le prisme des enquêtes de conjoncture – Le cas des services

24/07/2023
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La dernière enquête trimestrielle de la Commission européenne relative aux facteurs qui limitent la production le montre : les sociétés de services sont peu nombreuses à faire état d’une demande insuffisante. Le poids du facteur financier est en hausse mais il reste inférieur à la moyenne, tandis que les facteurs liés à l’offre se maintiennent à des niveaux exceptionnellement élevés. On pourrait s’attendre a priori à ce qu’une demande forte, combinée à des restrictions de l’offre, influence le comportement des entreprises en matière de fixation des prix. Or, une analyse de régression montre que ces facteurs n’expliquent qu’une infime partie des fluctuations de l’inflation dans les services. La croissance des salaires et l’indice PMI des prix des intrants sont, à cet égard, bien plus pertinents. Or, leur repli devra être significatif pour permettre à l’inflation dans les services de s’approcher des 2,0 %, un processus qui prendra du temps.

L’enquête trimestrielle de la Commission européenne sur les facteurs limitant la production des entreprises — demande insuffisante, goulets d’étranglement du marché du travail, pénurie de matériaux et/ou d’équipements, contraintes financières — apporte un éclairage intéressant sur les moteurs de l’inflation dans la zone euro. Dans le précédent numéro d’EcoWeek, ces données ont permis d’analyser les évolutions dans l’industrie[1]. Nous concluions que si les facteurs liés à la demande et à l’offre permettaient d’expliquer la hausse annuelle des prix à la production, une grande partie de la variation de cette hausse restait inexpliquée. Cela étant, le rythme de la désinflation pourrait être lent car les facteurs liés à l’offre limitant la production restent bien supérieurs à leur moyenne de long terme, tandis que le facteur lié à la demande est proche de la normale.

Que nous apprend cette enquête sur le secteur des services?? Le graphique 1 présente les résultats exprimés en z-score pour tenir compte des différences de volatilité entre les différentes séries. Peu de sociétés de services citent une demande insuffisante comme facteur limitant leur production. Le resserrement de la politique monétaire, qui a commencé l’année dernière, explique que davantage d’entreprises mentionnent les facteurs financiers comme constituant une contrainte pesant sur la production, mais le résultat global reste inférieur à la moyenne de long terme. Les facteurs liés à l’offre — difficultés de recrutement, problèmes en termes d’espace et d’équipement — se maintiennent en revanche à des niveaux exceptionnellement élevés. A priori, on pourrait s’attendre à ce qu’une demande forte, conjuguée à des restrictions de l’offre, influence le comportement des entreprises en matière de fixation des prix et alimente la hausse des prix dans le secteur des services.

Les régressions univariées du tableau 1 font ressortir une relation significative entre la hausse des prix dans le secteur des services et les facteurs liés à la demande et à l’offre influant sur les niveaux de production dans ce secteur. Cependant, la très grande faiblesse des coefficients R² montre qu’une grande partie des fluctuations de l’inflation reste inexpliquée. Dans une régression multivariée, le coefficient R² s’améliore mais reste bas (tableau 2). De plus, l’inflation exceptionnellement élevée en 2022 influence les résultats de la régression. Lorsqu’on se limite aux données jusqu’à fin 2021 (deuxième partie du tableau 2), les variables de la demande et de la main-d’œuvre sont significatives, mais lorsqu’on utilise l’ensemble des données (première partie du tableau 2), seul le facteur lié aux équipements et/ou à l’espace est important.

Comme nous l’avons indiqué, la faiblesse du coefficient R² montre qu’une grande partie des variations de l’inflation reste inexpliquée. D’autres variables doivent, par conséquent, être prises en compte. Les salaires semblent tout désignés car leur coût est plus important pour les sociétés de services que pour les entreprises industrielles[2] ; les coûts des intrants jouent également un rôle. On peut les représenter en utilisant l’indice des prix des intrants du PMI (S&P Global).

L’utilisation de ces deux variables donne des résultats intéressants (tableau 3) : toutes deux sont statistiquement significatives et le R² est de 0,46. C’est mieux que les résultats obtenus dans le tableau 2 basés sur l’enquête de la Commission européenne. Le graphique 2 présente l’inflation observée et estimée dans le secteur des services ainsi que les résidus de régression. La valeur de ces derniers a tendance à être faible dans les périodes sans chocs, mais elle est élevée pendant la crise financière mondiale, la pandémie de Covid-19 et en 2022 notamment. L’équation peut également être utilisée pour effectuer une analyse de scénario (tableau 4). Pour que l’inflation revienne à 2,0 % dans le secteur des services, et en supposant que l’indice des prix des intrants du PMI recule à 50,0 — il s’est établi à 61,3 en juin -, la croissance des salaires devrait baisser à 3,4 % contre 5,1 % en décembre 2022 (dernières données disponibles).

Au vu de la fourchette historique des salaires et des prix des intrants, un tel objectif est tout à fait atteignable, mais compte tenu des écarts respectifs constatés avec les dernières données, cela prendra probablement du temps.

[1] Zone euro : l’inflation à travers le prisme des enquêtes de conjoncture – le cas de l’industrie, Ecoweek, BNP Paribas, 17 juillet 2023.

[2] D’après une étude réalisée par la BCE, «?les coûts de main-d’œuvre représentent environ 40 % de la structure des coûts dans les services et environ 20 % dans l’industrie hors énergie et construction en 2008 et en 2016?». Source : Quels sont les facteurs à l’origine de l’évolution de l’écart entre la hausse des prix des services et celle des prix des biens?? Bulletin économique de la BCE, numéro 5 / 2019.

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