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Du rebond à la rechute

03/11/2020
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Un rebond plus fort qu’anticipé mais un rattrapage toujours incomplet

CROISSANCE TRIMESTRIELLE DU PIB (EN %)

Les mesures sanitaires mises en place pour endiguer la pandémie de Covid-19 ont provoqué une récession historique dans l’ensemble des pays européens. Les mesures de confinement généralisé des populations, aux mois de mars et avril 2020, ont constitué un triple choc d’offre, de demande et d’incertitudes. Le PIB de la zone euro a, dans ce contexte, chuté de 11,8% au T2 2020 en variation trimestrielle (après -3,7%, t/t, au T1). Par pays, l’Espagne a connu la plus forte baisse d’activité (-17,8%) suivie par la France et l’Italie (autour de -13%) et l’Allemagne (-9,8%)[1].

PIB TRIMESTRIEL (BASE 100 = T4 2019)

Les mesures sanitaires concernent certains secteurs plus que d’autres. Les services, et plus précisément ceux liés au tourisme, à l’hébergement ou à la restauration sont plus affectés que le secteur manufacturier. Ainsi, l’ampleur du choc et la capacité de rattrapage post-crise dépendent notamment de la structure économique des pays. La dureté du confinement et la réponse économique apportée jouent également. S’il est vrai que le profil de la reprise dépend en partie de l’intensité de la baisse qui le précède, le rebond de la croissance au T3 2020 en zone euro a toutefois nettement surpris à la hausse, à +12,7% t/t contre +9,4% selon le consensus, et +10,5% selon notre prévision. Ce constat se vérifie dans les quatre plus grands pays de la zone, en particulier en Italie (+16,1% contre +11,2%) et en France (croissance du PIB de +18,2% contre +15,4% selon le consensus).

FRANCE : DISPARITÉS SECTORIELLES

L’amplitude du choc de la Covid-19 sur les économies de la zone euro invite à raisonner en niveau d’activité plutôt qu’en taux de croissance. La question prioritaire est donc de savoir à quel moment les États membres vont retrouver les niveaux d’avant-crise en termes de PIB. Au T3 2020, le niveau du PIB de la zone euro demeure plus de 4% inférieur à son niveau de fin 2019, soit avant la crise sanitaire. L’Allemagne, la France et l’Italie sont globalement au même stade du rattrapage. Seule l’Espagne prend du retard avec un niveau d’activité encore inférieur de 9% à son niveau pré-crise. Au-delà de la sévérité des mesures sanitaires mises en place, l’économie espagnole pâtit aujourd’hui de sa structure sectorielle et notamment de sa forte exposition au secteur du tourisme[2] , très affecté par les mesures sanitaires instaurées à travers toute l’Europe.

FRANCE : ILLUSTRATION DE L’EFFET AMORTISSEUR DES MESURES D’URGENCE

Le rebond du PIB français est porté par l’ensemble des composantes de la demande. Il est seulement atténué par la contribution très négative des variations de stocks qui était attendue après l’important stockage involontaire du premier semestre. Les rythmes de progression en variation trimestrielle sont impressionnants : +17,3% pour la consommation des ménages (ce qui explique la moitié de la croissance du trimestre), +30,3% pour leur investissement, +15,4% pour la consommation publique et +20,2% pour l’investissement des entreprises non financières. On retiendra également que le rebond de la consommation de services est plus important que celui de la consommation de biens (+20,2% et +16,4%, respectivement). Mais comme il intervient après une chute également plus importante, la première reste 5% en-deçà de son niveau du T4 2019 quand la seconde se situe 1% au-dessus. Avec la consommation publique, ce sont les deux seules composantes du PIB qui sont revenues à la normale. L’investissement total se situe encore 5% sous son niveau d’avant-crise et ce sont les exportations qui accusent le retard le plus important (-15%). Par branche d’activité, le rebond de la valeur ajoutée du T3 2020 est également généralisé en France mais l’hétérogénéité sectorielle reste importante et révélatrice de l’impact différencié du choc (cf. graphique 3).

Un rebond mécanique mais pas seulement

FRANCE : CONSOMMATION, POUVOIR D’ACHAT ET TAUX D’ÉPARGNE DES MÉNAGES

Le rebond de l’activité au T3 2020 était attendu mais l’incertitude était grande quant à son ampleur. La certitude du rebond tenait à son caractère mécanique, dès lors que l’économie se remettait en marche après l’arrêt forcé pendant le confinement. L’incertitude sur son ampleur avait des origines multiples. Elle tenait d’abord aux interrogations concernant l’évolution de la situation sanitaire. Ensuite, la particularité du choc et la réaction des ménages et des entreprises étaient difficiles à anticiper dans ce contexte inédit. Aussi, l’incertitude venait du caractère progressif et partiel du déconfinement et donc du redémarrage de l’économie : l’ensemble des secteurs n’ont, en effet, pas les mêmes capacités de retour à la normale. Une partie de l’incertitude sur l’ampleur du rebond pouvait, enfin, être mise sur le compte des interrogations sur l’efficacité des mesures budgétaires d’urgence prises durant le premier confinement. La réponse a été rapide et massive, combinant divers dispositifs (chômage partiel, aides directes, moratoires, reports et exonérations de charges, prêts garantis par l’État). Il s’agissait d’amortir autant que possible le choc, en temps réel, du confinement sur les revenus (des ménages, des entreprises) et, ce faisant, de mettre en place les conditions d’un redémarrage de l’économie le plus rapide possible une fois le déconfinement engagé.

S’agissant du cas français, pour lequel nous disposons de plus d’informations, l’efficacité de ces mesures a été au rendez-vous, comme en atteste en particulier la baisse considérablement amortie du pouvoir d’achat des ménages par rapport à la chute du PIB (cf. graphique 4). La forte hausse du taux d’épargne des ménages au T2 2020 et sa rechute au T3 illustrent également l’importance de la préservation globale de leurs revenus (cf. graphique 5). Les estimations de Bercy de la répartition du choc entre agents économiques montrent aussi l’ampleur de l’effet amortisseur des mesures d’urgence[3]. Avant intervention de la sphère publique, les entreprises sont les plus directement et massivement affectées puisqu’elles subissent près de 80% des pertes de revenus, les administrations publiques un peu plus de 10% et les ménages un peu moins de 10%. Après intervention, ce sont les administrations publiques qui supportent l’essentiel du choc (63%) contre 23% pour les entreprises et 14% pour les ménages.

Un rebond sans suite

La bonne nouvelle du rebond marqué au T3 2020 dans la zone euro a été vite occultée par la mise en place de nouvelles restrictions sanitaires dans la plupart des pays membres pour faire face à la deuxième vague épidémique. Ces mesures vont freiner la reprise et donc le rattrapage économique. La plupart des prévisionnistes ont revu sensiblement à la baisse la croissance du PIB au T4 2020 pour les pays de la zone euro, qui passerait assez largement en territoire négatif.

L’ampleur de la rechute de l’activité et les effets à moyen terme des nouvelles restrictions sont difficiles à appréhender. Les mesures de reconfinement des populations mises en place apparaissent moins strictes qu’aux mois de mars et avril. Le choc d’offre pourrait ainsi être de moindre ampleur (par exemple, le maintien des écoles ouvertes permet aux parents de poursuivre leurs activités professionnelles). Toutefois, certaines entreprises déjà fragilisées par la première vague, et faisant face à une hausse de leur endettement, se trouvent aujourd’hui dans une situation financière plus délicate, ce qui constituerait un nouveau frein à l’investissement. Du côté de la demande des ménages, malgré le maintien du soutien budgétaire, le niveau d’incertitude reste élevé face à l’évolution de l’épidémie – et aux difficultés quant à sa maîtrise – et à celle relative aux conditions sur le marché du travail (jusqu’à présent, le chômage en zone euro a augmenté de manière relativement limitée compte tenu de l’ampleur du choc, à 8,3% de la population active).

Des aléas positifs autour du scénario macroéconomique demeurent. Le secteur manufacturier, moins exposé aux mesures de restriction sanitaire, poursuit son rattrapage à un rythme soutenu. L’indice des directeurs d’achats[4] (Purchasing Managers Index, PMI) de ce secteur pour la zone euro a continué de se redresser en octobre, ce qui est de bon augure pour la fin de l’année. Point important, l’économie chinoise est en meilleure santé économique que lors de la première phase de confinement en Europe, ce qui devrait profiter au secteur manufacturier exportateur de la zone euro. Enfin, la politique économique va rester largement expansionniste.

La Banque centrale européenne devrait mettre en place avant la fin de l’année 2020 un stimulus monétaire additionnel afin, notamment, de garantir aux États des conditions de financement particulièrement favorables et limiter les risques de fragmentation financière (c’est-à-dire un écartement des taux d’intérêt souverains entre les États membres, spreads). Les États devraient, de leur côté, maintenir le soutien budgétaire et compenser partiellement le déficit de demande privée.


[1] La comparaison des estimations de croissance entre les États membres de la zone euro est à prendre avec précaution, des différences de traitement dans la comptabilisation de certaines activités (administrations publiques, par exemple) ont en effet été relevées par les instituts statistiques.

[2] H. Baudchon et al., Zone euro : à chaque pays, sa reprise, BNP Paribas, mai 2020

[3] Cf. Rapport économique, social et financier (2021), octobre 2020 (p. 142-158).

[4] Cette enquête est réalisée auprès de chefs d’entreprises et offre une image de la santé économique des différents secteurs d’activité (manufacturier, services marchands et construction).

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE