La présentation du budget le 30 octobre constituera le premier véritable test pour Rachel Reeves. La situation dégradée des comptes publics et la crise du mini-budget de septembre 2022, qui est dans tous les esprits, laissent a priori peu d’espace budgétaire à la Chancelière de l’Échiquier. La croissance britannique ralentirait au second semestre 2024 (+0,3% en rythme trimestriel). Les deux baisses de taux directeurs par la Banque d’Angleterre que nous entrevoyons en 2024 (août et novembre) permettraient à la croissance d’évoluer proche de son niveau potentiel cette année et en 2025.
La conjoncture britannique s’améliore toutefois timidement. L’activité domestique (consommation, investissement) reste peu vigoureuse, malgré la baisse de l’inflation. Le recul de cette dernière depuis le début de l’année 2024 est provenu essentiellement des biens industriels, quand la déflation sur l’énergie, alimentée par les baisses du plafond des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité, est restée supérieure à 10% sur un an.
Ces deux effets devraient se dissiper. Si elle reste à ce stade encore limité, la désinflation dans les services se poursuivrait au cours de l’année 2025, permettant à l’inflation headline de se stabiliser à terme autour de la cible des 2%.[1]
Le redémarrage de l’activité immobilière semble bien enclenché, avec des perspectives de ventes au plus haut depuis la crise sanitaire (enquête RICS) et des indices de prix (Halifax, Nationwide) qui ont rebondi de 2,5% en moyenne au premier semestre 2024. Le socle de cette reprise est toutefois fragile. Les effets de la hausse des taux ne se sont pas encore pleinement répercutés – les prêts à taux fixe ont notamment vu leur taux continuer d’augmenter cet été. La remontée des arriérés de paiements sur les crédits immobiliers s’est également poursuivie au deuxième trimestre (1,32%, plus haut niveau depuis 2016). Par ailleurs, les baisses de taux à venir ne règleront pas le problème de fond que constitue la hausse de l’endettement des ménages britanniques. En part de PIB, ce dernier a atteint 91,9% au T1 2024, soit 10 points de plus que le pic atteint avant la crise financière de 2008. À l’inverse des États-Unis et de nombreux pays de la zone euro où ce ratio agrégé a nettement reculé au cours des quinze dernières années, les ménages britanniques continuent de recourir assez largement au crédit, pour faire face notamment aux coûts élevés des logements dans le pays.
Du côté de la politique budgétaire, le chemin est étroit pour la Chancelière de l’Échiquier, qui cherchera à rassurer les marchés sur la capacité du parti travailliste à préserver la soutenabilité des finances publiques, tout en délivrant le surcroît d’investissements et de dépenses promis pendant la campagne législative. Un entre-deux pourrait passer par la modification des mesures de solde budgétaire et de dette publique ciblées par le gouvernement. Cela pourrait consister à sortir des dépenses de l’État certains investissements, notamment liés aux programmes créés par le Labour Party (National Wealth Fund, GB Energy). La mesure de dette publique pourrait aussi être modifiée, afin d’extraire les pertes de la BoE, au titre de son portefeuille d’actifs, qui sont couvertes par le Trésor britannique. L’OBR tablait en mars sur une réduction du déficit à 3,1% du PIB sur l’année fiscale 2024-25 (avril 2024-mars 2025), contre 4,4% l’année précédente[2]. Cette amélioration proviendrait en partie du recul de la charge de la dette, qui s’était alourdie avec l’envolée des taux d’intérêt et de l’inflation en 2022-2023, du fait de la part importante de titres d’États britanniques indexés sur l’indice des prix (RPI)[3].
Rapport Draghi : un constat qui résonne aussi outre-Manche
Le rapport Draghi sur le futur de la compétitivité européenne a suscité de nombreuses réactions au sein de l’UE, mais le constat de l’ancien président de la BCE, n’en demeure pas moins transposable au cas du Royaume-Uni. Avec un taux d’investissement productif (hors investissements en logements), de près de 4 points de PIB inférieur à celui des États-Unis, des gains de productivité de l’ordre de 25 points de pourcentage inférieurs depuis le début des années 2000[4], auxquels s’ajoute une démographie moins porteuse, les leviers de croissance semblent plus limités qu’outre-Atlantique.
Si le traité d’Échange et de Coopération entre Londres et Bruxelles, qui a pris effet en janvier 2021, n’a pas conduit à un recul des investissements étrangers au Royaume-Uni[5], un plafonnement s’est opéré. Le Brexit aurait également réduit les débouchés dans les secteurs à plus faible valeur ajoutée et fortement exposés à la concurrence internationale (textile, agriculture)[6]. Les exportateurs britanniques pâtissent, eux aussi, du ralentissement voire du recul de l’activité parmi certains de leurs grands partenaires commerciaux (Allemagne, Pays-Bas, France, Chine). En volume, les exportations de biens du Royaume-Uni ont ainsi reculé de près de 20% par rapport à leurs niveaux d’avant pandémie. Mais le tableau n’est pas totalement noir : si certains pans du secteur manufacturier semblent effectivement en difficulté, le Royaume-Uni conserve des atouts importants dans certaines industries (aéronautique, pharmaceutique) et surtout dans les services de haute valeur ajoutée que sont la finance, et les services d’information et de communication.
Achevé de rédiger le 07 Octobre 2024.