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20/07/2020
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Des atouts face à la crise de la Covid-19

L’économie ukrainienne a abordé l’année 2020 avec des risques mieux contrôlés que lors de récessions antérieures. La maitrise croissante des déficits (public et courant), ainsi que de l’inflation, ont permis de limiter l’influence des incertitudes politiques récurrentes sur le taux de change et d’entrevoir une trajectoire de réduction de la dette (publique et extérieure).

Dans ce contexte, la Covid-19 a touché le pays de façon plus atténuée que ses voisins, avec près de 1000 cas pour 1 million d’habitants (contre près de 4500 en Russie). Toutefois, le gouvernement a maintenu un confinement strict à partir de la mi-mars, avant de le relâcher progressivement à la mi-mai. La production manufacturière n’accusait plus qu’un repli de 15,6% en glissement sur un an en mai contre 20,3% en avril.

En parallèle, les autorités ont su éviter une interruption brutale des financements extérieurs comme ce fut le cas en 2008 ou 2014. La demande s’est, en conséquence, contractée moins soudainement et fortement qu’alors. Le gouvernement a apporté les gages demandés afin d’obtenir l’aide internationale et a pu éviter une crise de confiance et les sorties de capitaux associées. Ces gages sont :

i/ l’adoption d’une loi bancaire de nature à permettre la poursuite de la consolidation du système bancaire, et notamment des créances douteuses

ii/ une loi mettant fin à une interdiction de vente des terres agricoles.

La période de Covid-19 s’est traduite par un recentrage de la demande des ménages dans le Monde vers les biens essentiels, et une volonté des clients de l’Ukraine de sécuriser leurs approvisionnements plus qu’à l’accoutumée, ce dont le pays a bénéficié au travers de ses exportations de céréales. Ainsi, la baisse des exportations ukrainiennes a été bien plus modérée que chez ses voisins (-6% en avril, contre -30% en Pologne).

PRÉVISIONS

Pour autant, le premier trimestre a déjà marqué une croissance négative (-1,3% année sur année) et le deuxième trimestre devrait encore amplifier le repli. Mais sur l’ensemble de l’année, la récession sera moins sévère que dans la plupart des pays d’Europe

Autre élément favorable, la politique monétaire a été fortement assouplie avec des baisses de taux directeur de 750 points de base depuis le début de l’année 2020. La baisse du prix du pétrole a en effet renforcé la désinflation en cours (1,7% année sur année en mai 2020).

ÉVOLUTION DES EXPORTATIONS EN AVRIL 2020 (G.A.)

L’apparition d’un déficit courant de 1,5% du PIB en 2020, performance qui n’avait plus été enregistrée depuis 2005 et l’aide internationale devraient limiter les besoins de capitaux privés. et soutenir le change. Après quelques tensions en mars-avril le taux de change USD/UAH s’est stabilisé et devrait se réapprécier modérément vers 26 UAH par USD d’ici à fin 2020 (contre 24 UAH par USD début 2020), en raison du rendement élevés des obligations ukrainiennes (le taux sur les obligations publiques à 3 ans en UAH est à 10,75%).

Une aide internationale bienvenue

Les finances publiques ont été mises à contribution, principalement en raison d’un moratoire sur le paiement des cotisations sociales à fin mai, un accroissement des pensions de retraite et un soutien financier aux professions médicales. Un programme existant de prêts subventionnés et de prêts garantis a été étendu. Les allocations chômage ont été revalorisées et un mécanisme de chômage partiel a été créé.

Le déficit public devrait se creuser en conséquence, à 7% du PIB, puis 5% du PIB en 2020. Ceci implique que la dette publique devrait augmenter à nouveau. La forte baisse de ce ratio ces dernières années (à 55% du PIB en 2019) est un atout. Les apports du programme FMI (2 mds USD décaissés en juin, sur un total de 5 mds USD d’ici à fin 2021) et des autres bailleurs (Commission Européenne, BERD principalement) devraient permettre de financer l’augmentation du déficit budgétaire. Ils devraient également soutenir les réserves de change qui pourraient atteindre 27 mds USD fin 2020 (contre 25 mds USD fin 2019), réduisant le risque de pénurie de devises pour le secteur non financier.

Outre l‘abaissement de son taux directeur, la banque centrale a diminué les réserves obligatoires, libérant ainsi de la liquidité en hryvnia. Elle a fourni de de la liquidité supplémentaire au travers de nouveaux instruments et en élargissant la gamme des collatéraux à la dette des municipalités à celle des entreprises garantie par l’Etat. L’introduction de diverses surcharges en capital (notamment pour risque systémique) a été reportée à octobre 2020 au plus tôt et les prêts en défaut sur la période de Covid-19 et restructurés avant septembre ne seront pas considérés comme des créances douteuses.

Enfin, la loi simplifiant les procédures de restructuration et de recapitalisation des banques ukrainiennes a été prorogée jusqu’à août 2024. Cet élément est important, dans la mesure où le système bancaire est toujours porteur d’un volume de créances douteuses très conséquent, hérité de la crise de 2014. Une partie a déjà été annulée, mais les créances douteuses représentaient encore 49% du total des prêts au 3ème trimestre 2019 (bien qu’en baisse par rapport à un pic de 58% au 2ème trimestre 2017).

Pérenniser et stabiliser la croissance

Alors que la Covid-19 continue de faire des victimes dans de nombre de pays, il est encore tôt pour imaginer le retour à une trajectoire stable de croissance sans risque de décrochage. Toutefois, le fait que l’Ukraine se sorte de cette crise de la Covid-19 sans instabilité financière marquée pourrait lui valoir un attrait supplémentaire des investisseurs internationaux.

Les risques à éviter sont que ces financements :

1/ alimentent davantage l’appréciation du taux de change, que le potentiel de croissance de l’économie

2/ augmentent la vulnérabilité extérieure au travers de financements courts et en devises.

INFLATION ET TAUX DIRECTEUR DE LA BANQUE CENTRALE

Une première série de progrès doit ainsi être faite afin de favoriser une dé-dollarisation de l’économie. La part de la dette publique en devises est encore élevée (60%). Les dépôts en devises des ménages représentent 42,8% des passifs bancaires et la position ouverte en devises des banques représente 47,4% de leurs fonds propres, ce qui les expose à un risque en cas de dépréciation conséquente du taux de change.

La courbe des taux reste atrophiée par la faible liquidité sur les maturités longues, ce qui réduit l’effectivité de la politique monétaire et conduit le gouvernement vers les maturités courtes ou vers les émissions en devises. Dans le même temps, la réduction de la dette publique doit être un objectif, d’autant plus que la dette de 3 mds USD due à la Russie (4 mds en valeur actuelle) et échue en 2015 n’a toujours pas été remboursée. Enfin, la résolution des défaillances d’entreprises doit être améliorée, le pays étant classé 146ème en matière de résolution de l’insolvabilité dans le classement Doing Business de la Banque Mondiale.

Au-delà des réformes financières, l’Ukraine devra éviter de tomber dans le syndrome néerlandais, à savoir, le renforcement de la spécialisation du pays sur les matières premières (agriculture, métaux industriels) au détriment du secteur manufacturier. La qualification de la main d’œuvre n’est pas le facteur pénalisant dans le relatif retard de développement de l’industrie ukrainienne, puisque les migrants ukrainiens travaillent aujourd’hui dans l’industrie polonaise.

C’est l’attractivité du site de production ukrainien qui doit être améliorée. La stabilité économique (réduction du risque pays, résolution de l’insolvabilité) est un prérequis essentiel sur lequel capitaliser, mais elle ne suffit pas. Des réformes mises en œuvre ces dernières années sont une première étape, améliorant l’accès au crédit, simplifiant les procédures liées aux permis de construire et à l’enregistrement des droits de propriété. Toutefois, l’Ukraine manque d’infrastructures physiques pour attirer davantage d’investissement : le stock de capital s’est érodé de plus de 20% en volume depuis l’indépendance du pays, selon les Penn World Tables.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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