En Chine, la situation des finances publiques se dégrade depuis plusieurs années et cette dynamique s’est accélérée en 2020 avec la crise liée à l’épidémie de Covid-19. Les réformes introduites depuis 2014 ont conduit à une plus grande transparence des comptes publics et permis d’améliorer la gestion des budgets et de la dette des collectivités locales. Ces changements n’ont toutefois pas empêché une montée des déséquilibres budgétaires. Par ailleurs, d’importantes opérations quasi- et extrabudgétaires coexistent avec le budget officiel, et les liens entre les différentes administrations et entités publiques sont multiples et parfois opaques – ce qui fait de l’analyse des finances publiques un exercice souvent compliqué.
Alors que le déficit « officiel » affiché par le gouvernement n’a enregistré qu’une hausse modérée depuis dix ans, l’analyse des données disponibles sur l’ensemble des administrations publiques met en évidence une détérioration beaucoup plus importante de la performance budgétaire. En outre, à l’augmentation des déficits et de la dette directe du gouvernement s’est ajoutée la hausse de l’endettement indirect des collectivités locales, notamment contracté par leurs véhicules de financement.
Si le risque souverain au sens strict (risque que le gouvernement central rencontre des difficultés de paiement) ne suscite aucune inquiétude à court et moyen terme, la dégradation structurelle des finances publiques a des conséquences de plus en plus visibles. D’abord, la marge de manœuvre de la politique budgétaire s’est réduite. Les autorités ont dû, dès cette année, donner la priorité à l’ajustement des finances publiques après la forte hausse des déséquilibres budgétaires en 2020, tout en prolongeant certaines mesures de soutien à la demande interne.
Autre conséquence, les interconnexions entre la santé financière du gouvernement et celle des entreprises publiques (dont les véhicules de financement) s’accroissent. L’excès de dette des entreprises publiques constitue un risque contingent de plus en plus élevé pour le gouvernement central et les collectivités locales, mais des liens inverses existent également. Ainsi, les collectivités locales les plus fragiles s’appuient-elles davantage sur leurs véhicules de financement pour prendre en charge une part des investissements publics. En outre, les conditions de financement des entreprises détenues par ces collectivités se durcissent - d’autant que, dans le même temps, l’idée d’un soutien implicite infaillible de l’État s’affaiblit. Les réformes visant à renforcer la santé financière des collectivités locales et des entreprises publiques en deviennent d’autant plus urgentes.
Evolution des déficits budgétaires avant et après le choc de la Covid-19
En 2020, la crise sanitaire, le ralentissement de la croissance économique et le plan de soutien mis en œuvre par les autorités ont conduit à une forte hausse des déficits budgétaires et de l’endettement public, après déjà plusieurs années de dégradation. Celle-ci a été généralisée, et concerne l’ensemble des administrations publiques inscrites au budget officiel ainsi que les entités quasi- et extra- budgétaires. Des efforts d’ajustement budgétaire sont devenus indispensables, et contraignent de plus en plus la politique économique chinoise.
La dégradation en cours depuis plusieurs années…
La forte hausse des déséquilibres budgétaires en 2020 a succédé à plusieurs années de détérioration progressive. Certes, la mise en œuvre de la nouvelle loi budgétaire de 20141 et les réformes qui ont suivi ont conduit à une amélioration de la transparence et de la gestion des budgets aux différents niveaux de l’administration publique. Toutefois, ces changements n’ont pas empêché la montée de vulnérabilités. Tout d’abord, les déficits budgétaires se sont accrus progressivement jusqu’au choc de la Covid-19 (cf. Encadré pour la définition des soldes budgétaires et leurs champs d’application). Entre 2015 et 2019, le déficit « officiel » ne s’est dégradé que légèrement de -2,4% du PIB à -2,8%, mais le déficit du budget général a augmenté de -3,4% du PIB à -4,9% et le déficit total de l’ensemble des administrations publiques a doublé, passant de -2,3% du PIB à -4,6% (cf. Graphique 1). D’une part, le ralentissement structurel de la croissance économique et du commerce extérieur et les réformes du système fiscal (généralisation de la TVA2, baisses de l’impôt sur les revenus et des droits de douane, réduction des cotisations sociales pour les entreprises, etc.) ont pesé sur les recettes budgétaires. L’assiette fiscale (recettes fiscales du gouvernement général) s’est réduite dans les années précédant la crise sanitaire, passant de 18,5% du PIB en 2014 à 16% en 2019 (elle est descendue à 15,2% du PIB en 2020)3.
D’autre part, le total des dépenses et investissements publics (gouvernement général et autres administrations publiques) a fortement augmenté (il représentait 41,3% du PIB en 2019 puis 43,8% en 2020, contre 37% en 2014) afin de soutenir la demande intérieure (cf. Graphique 2). En outre, les « réserves » à disposition du gouvernement se sont érodées. Pour financer une partie du budget général, les autorités ont en effet recours à des transferts d’actifs en provenance des réserves des différents fonds publics (le fonds de stabilisation, des fonds gouvernementaux, ou encore le fonds financé par les bénéfices des entreprises publiques). Ces transferts ont fortement augmenté en 2020 après déjà plusieurs années de hausse soutenue (ils étaient estimés à environ 35% des recettes de l’ensemble des fonds concernés, contre 25% en 2019 et 15% en 2016-20174). Par exemple, les transferts du fonds de stabilisation vers le budget général sont passés de RMB 100 mds en 2014 à RMB 280 mds en 2019 et RMB 530 mds en 2020 (0,5% du PIB), et le solde cumulé de ce fonds pourrait s’approcher de zéro cette année. Les réserves des caisses de sécurité sociale atteignaient quant à elles près de 10% du PIB en 2019, après plusieurs années de hausse.
Le gouvernement n’est pas autorisé à y puiser pour financer le budget général, mais les mesures de soutien introduites en 2020 ont largement été prises en charge par ces réserves. La détérioration des finances publiques a surtout fragilisé les collectivités locales. Le déséquilibre structurel entre leurs revenus (recettes fiscales étroites, transferts de l’État central insuffisants et dépendants d’un système complexe) et leurs larges responsabilités en matière de services publics et d’investissements est à l’origine de déficits budgétaires élevés (en moyenne sur 2015-2019 de 9,9% du PIB avant transferts du gouvernement central, et de 2,1% après transferts), de la hausse continue de leur endettement, et de leur forte dépendance à des sources de financement alternatives moins contrôlées. Il s’agit principalement des revenus des ventes de terrains, ce qui a alimenté la spéculation sur les marchés immobiliers, de taxes locales diverses, et du recours à de la dette indirecte via des entités dédiées, les véhicules de financement (voir Encadré & Graphique 3).
… s’est accélérée en 2020
Le gouvernement a introduit des mesures de soutien budgétaire dès le début de la crise de la Covid-19 en février 2020, puis a publié l’ensemble de son budget pour 2020 en mai à l’issue de la session annuelle du Parlement.
L’objectif officiel de déficit budgétaire a été augmenté de RMB 2760 mds en 2019 à RMB 3760 mds en 2020, ce qui devait représenter -3,6% du PIB, contre -2,8% en 2019. Cela semblait indiquer, à première vue, un assouplissement modéré de la politique budgétaire. En réalité, l’objectif de déficit officiel annoncé au printemps de chaque année n’est pas un indicateur exhaustif des mesures envisagées. Il peut être considéré comme un signal de la direction prise par la politique budgétaire à court terme. Le déficit officiel affiché à la fin de l’exercice budgétaire est d’ailleurs toujours égal à l’objectif initial (en 2020, le déficit officiel réalisé a bien été de RMB 3760 mds, soit finalement -3,7% du PIB, la croissance du PIB ayant été légèrement inférieure à la prévision des autorités). Ainsi, le fait que le déficit officiel en 2020 ait été historiquement élevé (pour la première fois supérieur à 3%) et sa hausse inhabituellement forte (de RMB 1000 mds, soit près de 1 point de pourcentage de PIB) est un signal d’assouplissement budgétaire important.
Ces chiffres sous-estiment toutefois l’ampleur réelle des mesures mises en œuvre en 2020. L’analyse des données disponibles pour l’ensemble des administrations et des fonds publics met en évidence un plan de soutien plus important, proche de 5% du PIB (ce qui reste très modeste par rapport aux plans budgétaires adoptés dans la plupart des pays développés) et une hausse plus marquée des déséquilibres budgétaires. Ainsi, le déficit total des comptes publics consolidés (des « quatre budgets ») a doublé en un an, passant de RMB 4600 mds en 2019 à RMB 9200 mds en 2020, soit de -4,6% à -9% du PIB. Il a été inférieur à la prévision initiale (de 11,4% du PIB) des autorités, le rebond de l’activité dès le T2 2020 ayant permis de modérer les dépenses de relance et de soutenir les recettes fiscales et quasi-budgétaires. Sur l’ensemble de l’année, la hausse des déficits budgétaires s’explique surtout par la chute des recettes totales (de -2,4% en 2020 par rapport à 2019), principalement due à la perte de recettes fiscales (-2,3%) et de cotisations de sécurité sociale (-13,3%). L’augmentation des dépenses totales (+9,2%) s’est avérée modérée. Elle a été essentiellement tirée par les investissements des collectivités locales (les dépenses des fonds gouvernementaux ont bondi de 28,8% en 2020) alors que le total des dépenses courantes a été très limité (+2,8%).
Par conséquent, le déficit du budget général a augmenté de -4,9% du PIB en 2019 à -6,2% en 2020. Avec une charge d’intérêts sur la dette en très légère hausse et estimée 1% du PIB en 2020, le solde budgétaire primaire du gouvernement général s’est établi à -5,2% en 2020 contre -4% en 2019 (cf. Graphique 1). Le solde des trois autres budgets est devenu déficitaire pour la première fois en 2020 (-2,9% du PIB), car le coût du plan de soutien à l’économie a été largement porté par les fonds quasi-budgétaires des collectivités locales (dont le déficit a atteint -2,4% du PIB en 2020) ainsi que par les caisses de sécurité sociale dont le déficit (exceptionnel et normalement temporaire) s’est élevé à -0,7% du PIB (cf. Graphique 4). Les mesures de relance ont consisté, pour environ 40% du montant total du plan de soutien, en de nouveaux investissements publics (principalement dans les infrastructures)5.
Le reste a consisté en des mesures ponctuelles (dont certaines sont maintenues en 2021) telles que : des dépenses de santé (contrôle de l’épidémie, équipements médicaux), des exonérations et réductions d’impôts et de cotisations sociales, des modifications de l’assurance-chômage pour accélérer les déboursements et étendre la couverture (de travailleurs migrants notamment), des baisses de charges et autres aides apportées aux entreprises et aux ménages les plus vulnérables. Au plan de soutien budgétaire se sont ajoutées les nouvelles dépenses engagées par les véhicules de financement des collectivités locales et les entreprises publiques (investissements, embauches). Le déficit extrabudgétaire qui en découle est difficile à estimer. Sur la base des données disponibles et d’estimations du FMI, on pouvait l’évaluer à environ 4%-5% du PIB en 2019. Il a continué à augmenter en 2020.
Financement des déficits sur les marchés obligataires locaux
Le gouvernement central et les collectivités locales couvrent la quasi totalité de leurs besoins de financement nets officiels (i.e. après transferts en provenance des divers fonds publics et hors endettement indirect extrabudgétaire) sur les marchés obligataires locaux. Les autorités prévoient dans le budget annuel des quotas (limites) de nouvelles émissions pour : i) les obligations « générales », qui sont émises par le gouvernement central (pour environ deux-tiers du total) et les collectivités. Elles financent habituellement le budget général à hauteur du déficit officiel prévu ; ii) les obligations « spéciales », qui sont essentiellement émises par les collectivités pour couvrir des dépenses spécifiques des fonds gouvernementaux.
En 2020, le total des nouvelles obligations générales émises a dépassé le déficit budgétaire officiel de près de RMB 300 mds, atteignant RMB 4040 mds. De plus, les nouvelles émissions d’obligations spéciales des collectivités locales ont également été fortement accrues, pour atteindre RMB 3600 mds (un montant légèrement inférieur au quota initialement autorisé), et complétées par une émission exceptionnelle de RMB 1000 mds d’obligations spéciales par le gouvernement central (qui n’avait eu recours à ce type d’émission obligataire que deux fois dans le passé, en 1998 et en 2007). Le gouvernement central a en effet pris en charge une part plus importante du financement des déficits budgétaires en 2020, afin de compenser les pertes de revenus liées à la crise de la Covid-19 (cf. Graphique 5).
Le placement des titres sur les marchés obligataires se fait sans difficulté. La liquidité y est structurellement abondante, alimentée par une importante épargne disponible dans le secteur financier (l’épargne nationale représente 45% du PIB et est encore investie principalement localement). Après la période d’assouplissement important de la politique monétaire pour répondre au choc de la Covid-19 du premier trimestre 2020, la banque centrale a resserré prudemment les conditions de crédit à partir du quatrième trimestre, tout en maintenant des niveaux de liquidité confortables sur les marchés. Les conditions de financement du gouvernement sont restées stables. En moyenne, depuis 2019, les collectivités locales ont émis des titres avec des spreads environ 20 à 40 points de base (pb) au-dessus des rendements des obligations souveraines de même échéance (cf. Graphique 6).
La réduction de la marge de manœuvre exige un réglage plus fin de la politique budgétaire
Le gouvernement affichait l’an dernier des finances suffisamment solides pour absorber le choc de la Covid-19, mais sa marge de manœuvre s’est fortement réduite. La politique budgétaire est dorénavant contrainte par la nécessité de réduire les déficits et les sources de risque – dans le dernier rapport sur le budget, le ministre des Finances reconnaissait la « gravité » de la situation. Afin d’atteindre leurs différents objectifs pour 2021 (maintien partiel de mesures de soutien à la demande interne vs. consolidation budgétaire et modération de l’endettement public), les autorités sont donc amenées à ajuster plus finement leurs instruments avec, en particulier, une surveillance plus étroite des dépenses d’investissement public. Un recours plus large aux impôts est également attendu à moyen terme.
La programmation budgétaire 2021
Signal d’un resserrement prudent, la cible de déficit officiel pour 2021 a été abaissée de seulement RMB 190 mds à RMB 3570 mds, soit -3,2% du PIB, contre -3,7% en 2020. De plus, dans leur rapport sur le budget de mars dernier, les autorités envisageaient une réduction de moins de 10% du déficit total des comptes publics consolidés, qui atteindrait RMB 8470 mds en 2021, soit -7,6% du PIB (avec une hypothèse de croissance du PIB nominal de 10%) contre -9% en 2020. La hausse prévue des dépenses publiques totales a été abaissée à +5,6% en 2021 (contre +9% en 2020). Les recettes totales se redresseraient vigoureusement (+9% prévus après la contraction de 2020), soutenues par la reprise de l’activité et la suppression progressive des exonérations et reports d’impôts et de cotisations sociales pour les entreprises (même si certaines aides fiscales sont maintenues pour les petites sociétés). L’ajustement budgétaire envisagé repose donc sur les caisses de la sécurité sociale, qui dégageraient de nouveau un excédent. Le déficit du budget général se réduirait de -6,2% du PIB en 2020 à -4,6% en 2021, soit un déficit inférieur à son niveau d’avant-crise (-4,9% en 2019). Cf. Graphiques 1 & 4.
En revanche, le déficit enregistré par les fonds gouvernementaux continuerait de se creuser. Toujours selon les prévisions officielles annoncées au mois de mars, il s’établirait à -3,3% du PIB, contre un déficit réalisé de -2,4% en 2020 et de moins de -1% en 2018 et 2019. Cette projection se basait, d’une part, sur la stabilisation attendue des recettes issues des ventes de terrains, illustrant la volonté de Pékin de tempérer le secteur immobilier et, d’autre part, sur un ralentissement modéré des dépenses d’investissement.
Réajustements en cours d’année
Or, le fort rebond de la croissance économique à partir du deuxième trimestre 2020 jusqu’à la mi-2021 a conduit, d’une part, à un solide redressement des revenus du gouvernement et, d’autre part, a permis de réajuster rapidement les priorités de la politique économique. Les autorités ont resserré les conditions de crédit dès le dernier trimestre de 2020 et révisé les plans d’investissement public au premier semestre 2021.
Les recettes fiscales du budget général se sont redressées plus fortement que prévu au premier semestre 2021 (+22,5% en g.a.) et ont déjà dépassé leur niveau du premier semestre 2019, tandis que les recettes des collectivités locales issues de la vente de terrains ont également fortement progressé (+22,4% en g.a.), profitant du redressement du marché immobilier (cf. Graphique 7). Dans le même temps, les niveaux de dépenses courantes du budget général se sont normalisés au premier semestre 2021 et les collectivités locales ont ajusté fortement à la baisse leurs dépenses d’investissement par rapport aux prévisions. À fin juin, elles n’avaient émis que 35% de leurs quotas d’émissions obligataires autorisées pour l’année (le quota total prévu a en conséquence été légèrement réduit).
Cet ajustement a accompagné le durcissement des conditions de crédit, et l’investissement dans les infrastructures publiques a rapidement marqué le pas au premier semestre 2021 (cf. Graphique 8).
Pékin cherche en effet à mieux contrôler les dépenses des collectivités locales. La discipline plus importante qui leur est imposée et la surveillance plus étroite de leurs investissements au cours des derniers mois diffèrent largement de la stratégie mise en œuvre en 2008-2009 lorsque Pékin avait donné carte blanche aux régions pour dépenser et relancer la croissance en réponse à la crise financière internationale. L’investissement dans les projets d’infrastructures publiques reste un instrument privilégié de politique contra-cyclique, mais il devient davantage ajusté en fonction de l’évolution des données d’activité de court terme. Ces réglages visent à contenir au mieux la hausse des déficits et de la dette des collectivités, tout en gardant la possibilité de réagir en cas d’affaiblissement de la demande interne. De fait, face au ralentissement de l’activité plus marqué que prévu pendant l’été 2021, et généralisé à l’ensemble des secteurs, les autorités devraient opérer de nouveaux ajustements pour renforcer leurs mesures de soutien monétaire et budgétaire au cours des prochains mois.
Dette du secteur public : le problème de la dette indirecte et des risques contingents
En dépit de la dégradation générale des finances publiques des dernières années et du choc de la Covid-19, la santé financière de l’État central reste solide et son endettement très modéré. Le diagnostic des collectivités locales est plus complexe. Leurs opérations budgétaires ont gagné en discipline et en transparence grâce aux réformes introduites depuis 2014, et leur dette totale « officielle », explicitement budgétée, reste sous contrôle. Cependant, le recours des collectivités à des véhicules de financement « hors-budget » pour prendre en charge certains investissements publics est toujours très important. Il aide à pallier l’insuffisance des ressources des collectivités locales mais alimente, dans une grande opacité, la hausse de leur dette « implicite » ou indirecte, contractée par les véhicules de financement. Cette dette est élevée, et les situations sont très différentes d’une province/ municipalité à l’autre. L’État central et les collectivités font également face à des risques contingents élevés associés à l’endettement des entreprises commerciales qu’elles détiennent. Les interconnexions entre finances publiques et risques de crédit se sont accrues.
Solvabilité toujours solide du gouvernement central
La solvabilité du gouvernement central reste solide, étant donné sa dette à la fois très modérée et soutenable, ses actifs importants et une couverture très aisée de ses besoins de financement sur les marchés obligataires. Le risque souverain au sens strict ne suscite donc aucune inquiétude à court et moyen terme.
La dette totale du gouvernement central a augmenté rapidement en 2020, de 24% en termes nominaux alors que sa hausse annuelle avait oscillé entre 11% et 13% sur la période 2015-2019. Étant donné l’important ralentissement de la croissance du PIB nominal, le ratio de dette/PIB est passé de 17% en 2019 à 20,6% en 2020, un niveau toujours très modéré. La charge d’intérêts sur la dette est faible : sur la base des données disponibles pour le gouvernement général, les paiements d’intérêts ne représentaient que 4,4% des recettes totales en 2019 (0,9% du PIB) et 5,4% en 2020 (1% du PIB).
Les risques de refinancement sont quasi inexistants. La dette du gouvernement central est à plus de 80% à long terme, presque entièrement constituée de titres obligataires en monnaie locale et principalement détenus par des investisseurs chinois (surtout les banques commerciales) qui constituent une base stable de créanciers. La part de bons du Trésor détenus par les investisseurs étrangers reste modeste mais augmente néanmoins progressivement ; elle a atteint 10% en 2020, contre 3% fin 2014. Le gouvernement central recourt également un peu plus aux marchés obligataires internationaux depuis cinq ans, mais les montants sont toujours très faibles : sa dette en devises représentait 0,9% de sa dette totale en 2020 (RMB 193 mds), ou 0,2% du PIB6.
Enfin, la dynamique de dette du gouvernement bénéficie d’un différentiel entre croissance du PIB et taux d’intérêt très favorable, et cela restera le cas à moyen terme malgré le ralentissement attendu de la croissance économique7. Le taux d’intérêt apparent sur la dette (paiements d’intérêts sur stock de dette, calculé pour le gouvernement général) était estimé à 2,5% en 2019-2020 et est en baisse cette année. Dans un scénario macroéconomique central à moyen terme (supposant une très légère tendance à la baisse du déficit budgétaire et du taux d’intérêt apparent sur la dette), la dette du gouvernement central devrait augmenter lentement et rester inférieure à 25% du PIB d’ici 2025 (cf. Graphique 9).
Dette des collectivités locales : contours flous, risques élevés
Les collectivités locales sont plus lourdement endettées que l’État central, avec une dette aux contours flous, principalement contractée indirectement au travers des véhicules de financement. Depuis l’adoption de la nouvelle loi budgétaire en 2014, les collectivités sont autorisées à s’endetter directement dans la limite de quotas d’émissions de nouvelle dette déterminés par les autorités centrales, et précisés dans le rapport annuel sur le budget. Le stock de dette officielle explicitement budgétée des collectivités a donc augmenté à partir de 20148. Elle a atteint 21,6% fin 2019 puis 25,3% du PIB fin 2020 (cf. Graphique 9). Prise dans son ensemble, la dette officielle des collectivités locales bénéficie des mêmes facteurs favorables que celle de l’État central, qui la rendent soutenable à moyen terme : large différentiel entre taux de croissance du PIB et taux d’intérêt, profil très favorable et charge d’intérêts modérée. Elle est quasi-exclusivement constituée d’obligations émises sur les marchés locaux, majoritairement à long terme et détenue à 80% par les banques commerciales, principalement régionales.
Cependant, les situations financières sont extrêmement variables d’une région à l’autre, et certaines collectivités font face à un service de la dette déjà excessivement lourd. Ainsi, le ratio de dette en pourcentage des recettes budgétaires des provinces variait de 60% à 140% en 2019, et s’établissait à 83% en moyenne. Surtout, les financements par endettement obligataire direct sont insuffisants pour couvrir l’entièreté des besoins des collectivités locales. Une majorité d’entre elles continuent donc d’avoir recours à des véhicules de financement.
Si ces véhicules ont officiellement interdiction de s’endetter au nom d’une collectivité depuis la loi de 2014, leur dette constitue bien en réalité une dette indirecte/implicite pour les collectivités locales. Cette dette est une source de vulnérabilité importante pour les finances publiques, d’abord parce qu’elle a continué d’augmenter rapidement ces dernières années et atteint des niveaux élevés. Ensuite, cette dette est contractée dans un cadre réglementaire flou et parfois dans une grande opacité. Elle est constituée principalement de prêts bancaires, ainsi que d’obligations (la portion la plus « visible » de la dette, estimée à 20%-25% du total en 2020) et autres financements des institutions non bancaires du secteur du shadow banking. Son montant est difficile à évaluer.
Selon les estimations du FMI9, le stock total de la dette des véhicules de financement et autres fonds extrabudgétaires en charge des investissements publics pour le compte des collectivités locales a augmenté de 15% à 20% par an depuis 2018. Il aurait atteint 43% du PIB fin 2019 et 48% du PIB fin 2020. L’endettement total (direct et indirect) des collectivités locales s’élèverait donc à 73% du PIB fin 2020 – un niveau excessivement élevé, y compris en comparaison avec les autres économies émergentes ou les pays de l’OCDE (cf. Graphique 10). Enfin, les risques que certains véhicules de financement rencontrent des difficultés pour refinancer et, à terme, rembourser leur dette sont élevés. Les investissements (essentiellement dans les infrastructures) sont en effet souvent longs à rentabiliser et leurs rendements souvent insuffisants pour couvrir le remboursement des crédits. Le FMI estime ainsi qu’au moins les deux-tiers de leur dette sont destinés à devenir une dette inscrite directement au passif des collectivités locales.
Dette des entreprises publiques : nouvelle hausse en 2020 après trois années d’amélioration
L’État central et collectivités locales font face à des risques contingents importants associés à l’excès de dette des entreprises publiques (dont les véhicules de financement)10 et aux risques de crédit élevés qui pèsent sur le système financier. La dette totale du secteur des entreprises non financières était estimée à 162% du PIB fin 2020, contre 152% fin 2019 et 158% fin 201611. La détérioration en 2020 succède en effet à trois années de légère baisse. Elle s’explique à la fois par le ralentissement de la croissance du PIB et par la plus forte hausse nominale du stock de dette (+10% en 2020 contre +7,2% par an en moyenne en 2016-2019). Or, cette hausse a été principalement tirée par le secteur public. Sur la base des estimations du CNBC chinois12, la dette des entreprises publiques (dont les véhicules de financement) représenterait environ 70% du total de la dette des entreprises chinoises, soit 114% du PIB fin 2020 contre 106% fin 201913. Les véhicules de financement seraient donc responsables d’environ 40% de ce total. Ainsi, l’ensemble de la dette du secteur public (gouvernement + entreprises non financières) atteignait environ 160% du PIB en 202014.
Interconnexion croissante entre risque souverain et risques de crédit
À la dégradation des finances publiques s’est donc ajoutée la nouvelle augmentation de la dette des entreprises publiques en 2020. En outre, ces dynamiques s’accompagnent d’une interconnexion croissante entre la performance financière des collectivités locales et les risques de crédit des entreprises. D’un côté, l’excès de dette des institutions publiques constitue un risque contingent pour le gouvernement. De l’autre, la fragilité de certaines collectivités locales commence à peser sur les conditions de financement et les risques de défaut de leurs entreprises. Elle pourrait également commencer à pénaliser la performance des institutions financières, notamment les banques commerciales régionales qui sont les principaux créanciers des collectivités. Les difficultés de paiements des entreprises publiques ont, de fait, récemment augmenté sous l’effet conjugué de la détérioration de leur performance financière, et d’un affaiblissement des garanties du gouvernement. À cela s’est ajouté le resserrement des conditions de crédit à partir du quatrième trimestre 2020. La fragilité de la santé financière du secteur des entreprises publiques est un problème ancien en Chine (mauvaise gouvernance, faible rentabilité, excès de dette).
Le choc de la Covid-19 sur l’activité et les revenus des entreprises a encore aggravé la situation. Leur capacité à servir leur dette s’est dégradée, d’autant que les nouveaux crédits en 2020 ont été davantage octroyés aux institutions qui étaient déjà le plus lourdement endettées à la veille de la crise sanitaire. Selon le FMI, les entreprises (dont les véhicules de financement) qui ont enregistré des pertes en 2018-2019, ou dont la dette nette représente plus de 15 fois leur résultat opérationnel avant impôts (EBIT), concentreraient plus de la moitié de la hausse du stock de dette aux entreprises sur les trois premiers trimestres de 202015. Les entreprises publiques appartenant aux collectivités locales (en particulier dans les secteurs des transports et de l’immobilier) présentent la capacité à assurer le service de leur dette la plus limitée ; au premier trimestre 2021, environ 10% d’entre elles affichaient un ratio de couverture des intérêts (ICR) par leurs bénéfices inférieur à 1 (selon les estimations de la Banque mondiale).
Dans le même temps, alors que la dette des entreprises publiques a longtemps bénéficié d’une entière garantie (explicite ou implicite) de la part du gouvernement (que ce soit de l’État central ou des collectivités locales), ce soutien inconditionnel a commencé à s’éroder. Cela a d’abord résulté des efforts de réformes des autorités pour assainir les pratiques du secteur financier et des entreprises publiques et réduire l’aléa moral. Mais l’affaiblissement des garanties apportées par les collectivités locales est aussi la conséquence de la dégradation des finances publiques. Certaines collectivités n’ont tout simplement plus la capacité de soutenir leurs entreprises en cas de besoin.
Les défauts des entreprises publiques se sont donc multipliés depuis un an. Jusqu’à maintenant, ils ont davantage concerné la dette obligataire que les crédits bancaires (sur lesquels les défauts sont également moins « visibles »). Sur le marché obligataire local, le nombre de défauts des entreprises publiques est ainsi passé d’un total de 43 sur la période 2017-2019 (pour un total de dette en défaut de RMB 41 mds) à 80 en 2020 (soit RMB 98 mds). Le montant de la dette tombée en défaut atteignait environ RMB 38 mds pour le seul premier trimestre 2021 (cf. Graphique 11).
Le montant total de la dette des entreprises en défaut reste limité (1% du stock d’obligations des entreprises en 2020), mais la multiplication des événements de défauts indique bien à la fois une détérioration de la situation financière des entreprises et un changement de comportements sur le marché chinois. Alors que la plupart des défauts obligataires ont, dans un premier temps, été le fait d’entreprises privées (le premier défaut n’a eu lieu qu’en 2014), les défauts des entreprises publiques sont devenus majoritaires depuis 2020, et ont en outre concerné plusieurs grandes sociétés.
Par ailleurs, si les véhicules de financement n’ont connu aucun défaut sur le marché obligataire pour le moment, leurs difficultés de paiements ont commencé à apparaître sur des dettes dues à des institutions du shadow banking. La montée du risque de défaut et les inquiétudes des créanciers se sont traduites par une hausse des taux d’emprunt sur les marchés obligataires, avec une moindre distinction entre entreprises publiques et entreprises privées et la prise en compte d’une moindre garantie implicite du gouvernement – en particulier dans les provinces aux finances les moins solides. Selon les calculs de la Banque mondiale, entre début 2020 et mi-2021, le surplus de prime de risque appliqué aux obligations des entreprises privées s’est réduit de 20 pb environ par rapport aux titres des sociétés détenues par l’État central et de 40 à 50 pb par rapport aux titres des sociétés détenues par les collectivités16.
La multiplication des défauts des entreprises publiques et la dégradation des finances des collectivités locales ont, à leur tour, contribué au resserrement des conditions de crédit dans les régions les plus fragiles. La part des nouveaux crédits alloués aux entreprises et aux ménages des provinces les plus endettées s’est ainsi fortement réduite au cours du second semestre 202017.
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Les interdépendances croissantes entre collectivités locales, leurs entreprises et les banques régionales alimentent donc une dynamique défavorable, à la fois, des risques de crédit, qui fragilisent le secteur financier, et des finances publiques. Cette dynamique devrait persister et les défauts des entreprises publiques pourraient se multiplier dans les prochains mois. L’assainissement des pratiques sur les marchés financiers est une avancée positive, qui doit permettre à moyen terme d’améliorer l’allocation du capital. À court terme, cependant, l’enjeu pour les autorités est de garder le contrôle des événements de défauts, pour contenir leurs effets de contagion sur les conditions de financements des autres agents économiques et prévenir tout risque d’instabilité dans le système financier (risques de crise de confiance et de réajustement brutal des taux d’emprunts sur les marchés, conduisant à d’autres défauts de paiement). L’État devrait donc continuer d’apporter son soutien aux entreprises les plus sensibles ou les plus stratégiques. Dans le même temps, les autorités devraient poursuivre les réformes visant à réduire la dette des entreprises publiques et des collectivités locales, car améliorer la soutenabilité des finances publiques aidera à réaliser les ambitions de leur plan de développement des prochaines années.