Ralentissement de la croissance
Le regain de confiance suscité par l’élection d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO) et la signature du nouvel accord commercial avec les Etats-Unis s’est vite essoufflé. Les hésitations de la politique gouvernementale et le ralentissement de la croissance mondiale ont déjà pesé sur la croissance : l’activité a ralenti au cours des deux derniers trimestres, la progression sur un an du PIB réel ralentissant de 2,6% au T3 2018 à 1,7% au T1 2019. Au cours du premier trimestre, la consommation privée a encore soutenu la croissance. En revanche, la contribution des exportations nettes était à peine positive et celles de l’investissement et des dépenses publics étaient négatives pour le deuxième trimestre consécutif.
La croissance devrait ralentir sensiblement en 2019 et rester faible 2020. Les données d’enquête envoient des signaux plutôt pessimistes pour les prochains trimestres. Même si la consommation continuerait de soutenir l’activité, la confiance des consommateurs diminue continument depuis le début de l’année. Surtout, la confiance des entrepreneurs se dégrade franchement depuis le début de l’année (notamment leurs perspectives d’investissement) et se situe depuis la fin 2018 à un niveau inférieur à la moyenne enregistrée au cours des cinq dernières années. Enfin, les prévisions de croissance recueillies chaque mois par la banque centrale auprès d’un large panel d’analystes sont révisées en baisse depuis le début de l’année. En moyenne, la prévision de croissance du PIB pour 2019 n’est plus que de 1,1% en juin, alors que celle-ci était de 1,8% en décembre.
La confusion autour de la réforme énergétique pèse sur le risque souverain
A l’image de la réforme du secteur de l’énergie, le manque de clarté de la politique économique devrait continuer à peser sur l’investissement. Au moment de son élection, AMLO avait en effet prévu une nouvelle réforme du secteur, avec pour ambition d’augmenter la production pétrolière à 2,4 millions de barils par jour d’ici la fin du mandat, en 2024 (contre environ 1,7 million aujourd’hui. Pour mémoire, la production avait culminé à 3,4 millions en 2004. La nouvelle administration prévoit de rénover les raffineries existantes, d’en construire une nouvelle, ainsi que d’apporter un soutien accru aux deux entreprises publiques (l’entreprise pétrolière Pemex et l’entreprise de production électrique CFE). Enfin, alors que les mesures prises depuis 2013 cherchaient à promouvoir la participation des investisseurs privés (étrangers et domestiques) dans le secteur, celle-ci devrait être très limitée dans les années à venir. Les mises aux enchères des lots pétroliers ont également été arrêtées (la quatrième vague devait débuter en février 2019) et les entreprises privées retenues à l’issue des précédentes enchères devront réaliser les investissements promis dans les trois ans, sous peine de voir leurs lots leur être retirés.
Pour le moment, plusieurs mesures ont été annoncées, notamment une recapitalisation et un allègement de la fiscalité pour Pemex, mais elles ont dans l’ensemble été jugées « ponctuelles » et insuffisantes pour enrayer le déclin du secteur. Le plan de développement de Pemex n’a toujours pas été dévoilé, et plus largement des mesures structurelles pour l’ensemble du secteur doivent toujours être annoncées (et financées).
Tensions avec les Etats-Unis
Par ailleurs, le sentiment des investisseurs a également été affaibli par les récentes tensions commerciales avec les Etats-Unis. Le gouvernement américain a pour le moment renoncé à appliquer des tarifs douaniers à l’ensemble des biens mexicains, alors que le gouvernement mexicain s’est engagé à aider les Etats-Unis à lutter contre l’immigration illégale. Cela dit, la menace de nouvelles tensions continuera de peser sur les perspectives de croissance au cours des prochains trimestres.
La volonté du gouvernement mexicain de maintenir de bonnes relations avec les Etats-Unis a toutefois été renforcée, fin juin, par le sénat mexicain qui a largement ratifié le nouvel accord de libre-échange nord-américain avec le Canada et les Etats-Unis (USMCA). Le Mexique est ainsi le premier des trois pays à avoir ratifié l’accord.
La discipline budgétaire en question
La politique économique est restée rigoureuse depuis le début du mandat. AMLO a en effet renouvelé à plusieurs reprises ses engagements de campagne : respecter la discipline budgétaire observée au cours des dernières années (en diminuant les dépenses notamment), tout en mettant en place des mesures visant à la fois à réduire les inégalités et la corruption, et stimuler la croissance. Cela étant, le contrôle des dépenses observé depuis le début de l’année s’explique plus par la nécessité de renflouer Pemex et les difficultés rencontrées pour mettre en place certains projets annoncés que par une réelle rigueur budgétaire.
Le dérapage budgétaire devrait être encore limité à cette année. Mais le risque souverain augmente. Début juin, l’agence de notation Fitch a dégradé la note souveraine du Mexique et Moody’s l’a placée sous surveillance négative. Les deux agences ont également dégradé la note de Pemex.
Les ressources allouées à Pemex et à la CFE s’avèreront probablement insuffisantes. D’après les estimations de l’agence Moody’s, les besoins de financement de Pemex représentent entre 1% et 2% du PIB annuellement. Si la situation financière de Pemex ne s’améliore pas dans les deux années à venir, et que les transferts de l’Etat devenaient récurrents, le déficit budgétaire pourrait doubler dès 2021, entraînant alors le ratio de dette publique à la hausse même avec une croissance nominale de 5%.
Par ailleurs, début mai, AMLO a mis fin aux appels d’offres privés relatifs au projet de construction de la nouvelle raffinerie. Le gouvernement envisage que la construction soit entièrement prise en charge par Pemex. Le ministère de l’Energie a annoncé début juin que le projet sera achevé d’ici mai 2022. Compte tenu du manque d’expérience de Pemex (et du ministère de l’Energie) dans le domaine, il est plus que probable que les délais et les coûts de construction soient beaucoup plus élevés qu’anticipé, exerçant une pression supplémentaire sur les finances publiques. Ces dernières annonces soulignent davantage la contradiction des priorités mises en avant par le gouvernement. Atteindre simultanément tous les objectifs fixés (la cible de déficit public est de 2,5% et 2,1% respectivement en 2019 et 2020, après 2,1% en 2018) semble impossible, d’autant que le gouvernement s’est engagé à y parvenir sans augmenter les impôts (ou sans en créer de nouveaux) dans les trois années qui viennent.
La stabilité financière n’est pas menacée à court terme
Le pays est exposé au retournement du sentiment des investisseurs, mais les conséquences pour sa vulnérabilité externe restent limitées à court terme. Au cours des quatre derniers trimestres, l’afflux de capitaux étrangers a diminué mais reste confortable. Surtout, le flux d’IDE est resté globalement stable sur cette période. Le pays dispose en outre de fondamentaux macroéconomiques solides : la politique monétaire est crédible, l’endettement extérieur est modéré, et le déficit courant est resté inférieur à 2% du PIB en moyenne depuis 2010 ; il est par ailleurs couvert par les entrées d’IDE. Le niveau des réserves de change est conséquent (près de USD 180 mds en juin 2019, soit environ 4 mois d’importations). Même si le sentiment des investisseurs se dégradait rapidement, le Mexique dispose des ressources nécessaires pour faire face à ses obligations extérieures.