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Inde : Dégradation malgré la croissance soutenue

16/10/2023
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Au deuxième trimestre 2023, la croissance économique indienne restait solide. Mais depuis l’été, la situation s’est légèrement dégradée. Au-delà de la contraction des exportations, la demande rurale ralentit. L’inflation a rebondi et les pressions à la baisse sur la roupie se sont légèrement accentuées avec la forte décélération des entrées de capitaux. Les comptes extérieurs devraient rester sous tension jusqu’à la fin de l’année. La forte hausse des prix du pétrole et une mousson inférieure à la normale pèsent sur le déficit commercial et entretiennent les tensions inflationnistes. Par ailleurs, le rétrécissement de l’écart de rendement entre les obligations indiennes et américaines limite les investissements de portefeuille. Jusqu’à présent, le secteur bancaire a bien résisté à la hausse des taux. Les risques de crédit ont reculé même si le secteur privé est très exposé à un choc de taux d’intérêt. Enfin, la situation financière des banques publiques s’est renforcée.

Croissance encore robuste au T2 2023

PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES

Au deuxième trimestre de l’année calendaire (premier trimestre de l’exercice budgétaire 2023/2024), la croissance économique indienne est restée robuste (+7,8% en glissement annuel). Elle a été soutenue par le dynamisme de la demande intérieure alors que les exportations se contractaient conjointement au ralentissement économique mondial.

Bien qu’en légère décélération, la croissance des investissements est restée solide (+8% en g.a.). Après s’être légèrement dégradée en 2022, en raison de l’augmentation des charges d’intérêt et des coûts de production, la situation financière des entreprises cotées s’est redressée au premier semestre 2023.

La hausse de leurs profits nets a permis de compenser l’augmentation de leur charge d’intérêts. Fin juin 2023, leurs revenus avant impôts couvraient 5,2 fois le paiement des intérêts sur leur dette (contre 4,9 fois un an auparavant). Dans ces conditions, la hausse des taux d’utilisation des capacités de production au premier trimestre 2023 (à 76,3% alors que la moyenne de long terme atteint 74,3%) plaide en faveur d’une augmentation des investissements privés sur le reste de l’année 2023, bien qu’ à un rythme moins soutenu qu’au cours des précédents trimestres compte tenu des risques baissiers sur la croissance mondiale et du durcissement monétaire. Les taux d’intérêt sur les nouveaux crédits ont augmenté de 126 pb au cours des douze derniers mois (+210 pb en termes réels). Fin juillet, la croissance des crédits aux entreprises restait cependant encore robuste (+13,7% en g.a. contre une moyenne de 9,7% sur l’année 2022).

Les investissements du gouvernement, eux aussi, sont restés soutenus au cours des quatre premiers mois de l’année budgétaire 2023/2024 (+51,9% par rapport à la même période l’année dernière). Sur l’ensemble de l’année, le gouvernement prévoit une augmentation de ses investissements de 0,6 pp à 3,3% du PIB.

Même si la confiance des entrepreneurs reste particulièrement bien orientée, celle des consommateurs semble avoir commencé à se retourner après une hausse ininterrompue depuis le T3 2021. Selon la Banque centrale indienne, les salaires des ménages urbains et ruraux ont baissé au cours des derniers mois. Par ailleurs, les ménages ruraux redoutent des récoltes hivernales inférieures à celles des années précédentes. Fin septembre, dernier mois de la mousson, le déficit pluviométrique par rapport à la normale était encore estimé à 5,6%.

Fort rebond des pressions inflationnistes

INDE : PRIX À LA CONSOMMATION ET TAUX D’INTÉRÊT

Après plusieurs mois de ralentissement, l’inflation a rebondi au cours des deux derniers mois. La hausse des prix à la consommation a atteint 7,1% en moyenne en glissement annuel (g.a.) en juillet et août 2023, alors qu’elle avait ralenti à 4,3% en mai 2023. Cette hausse est le reflet des tensions sur les prix alimentaires et plus spécifiquement sur les prix des légumes (+26,1% en g.a.). Pour contenir cette augmentation (45,9% des biens de consommation des ménages), le gouvernement a décidé fin juillet d’interdire les exportations de riz non basmati (comme il l’avait fait en septembre 2022 sur le riz brisé) et a imposé des taxes supplémentaires sur les exportations de riz étuvé.

À ce jour, cette hausse des prix alimentaires ne s’est pas propagée à l’inflation des prix hors produits alimentaires et énergie, qui est restée élevée mais a poursuivi sa décélération (+4,8% en g.a. au mois d’août).

La récente hausse des prix place néanmoins la Banque centrale indienne dans une position inconfortable. En effet, l’inflation excède sa cible fixée à 4% +/- 2pp, alors même que l’activité économique montre des signes de ralentissement et que les tensions à la baisse sur la roupie restent fortes. En outre, compte tenu des tensions sur les prix alimentaires et de la hausse des prix internationaux du pétrole, les risques inflationnistes restent importants.

Légère dégradation des comptes extérieurs

INDE : LÉGÈRE HAUSSE DU DÉFICIT COMMERCIAL

Au premier semestre 2023, le déficit du compte courant a diminué de 0,8pp du PIB par rapport au semestre précédent pour s’établir à seulement 0,6% du PIB alors qu’il avait atteint 2,3% sur l’ensemble de l’année 2022. Mais cette consolidation, reflet de la baisse du déficit commercial induite par la contraction des prix des matières premières importées, ne devrait pas perdurer. D’après les données du ministère du Commerce, le déficit commercial a significativement augmenté aux mois de juillet et août par rapport au trimestre précédent. Les exportations ont marqué le pas alors que les importations ont de nouveau accéléré. Le ralentissement économique aux États-Unis, premier partenaire commercial de l’Inde (17,7% de ses exportations en 2022), explique en partie cette détérioration. Les exportations à destination des États-Unis ont baissé de 9,7% en g.a. au premier semestre 2023.

En outre, la récente hausse des prix du pétrole devrait accroître le déséquilibre commercial, même si au S1 2023, 34,2% du pétrole provenait de Russie et était importé à un prix inférieur d’un tiers à celui du brent.

Dans le même temps, les entrées nettes de capitaux, déjà modestes sur l’ensemble de l’année 2022, ont sensiblement ralenti depuis le mois de juillet d’après les données publiées par l’Institute of International Finance (IIF). Ce mouvement s’explique par l’effet de ciseau entre la baisse des rendements sur les obligations indiennes à 10 ans, mesurés en USD, et la hausse des rendements américains. Les tensions à la baisse sur la roupie se sont légèrement accentuées au cours des trois derniers mois. Les interventions de la banque centrale (Reserve Bank of India, RBI) pour contenir le mouvement de dépréciation de sa monnaie ont été limitées et les réserves de change, bien qu’en baisse depuis la mi-juillet (USD -16,7 mds), restent très confortables. Elles s’élevaient fin septembre à USD 523 mds, l’équivalent de 1,7 fois les besoins de financement extérieurs à court terme du pays. La dette extérieure nette du pays représente seulement 10,8% du PIB.

Les principaux risques qui pèsent sur les comptes extérieurs et la croissance sont, d’une part, le maintien à des niveaux élevés des prix du pétrole et, d’autre part, l’accentuation du mouvement de sorties de capitaux. Ces deux phénomènes pèseraient sur la roupie et accentueraient les pressions inflationnistes.

Le secteur bancaire plus solide

Au cours des cinq dernières années, le secteur bancaire indien s’est sensiblement consolidé. La dette du secteur privé est pratiquement stable à 90% du PIB depuis la fin 2021 (la dette des ménages et des entreprises non-financières était estimée au T4 2022 à respectivement 36,4% et 53,6% du PIB par la Banque des Règlements Internationaux).

La qualité des actifs s’est amélioré et les ratios de solvabilité se sont renforcés. Les banques publiques, bien que toujours plus fragiles que les banques privées, sont aujourd’hui suffisamment solides pour faire face à un choc macroéconomique sans injection de capital supplémentaire. La consolidation de leur position leur a notamment permis d’accroître leur offre de crédit. Bien que toujours modeste, l’encours du crédit octroyé par les banques commerciales a augmenté de 2,6pp en un an pour atteindre 53,3% du PIB en juillet 2023.

Dans l’ensemble du secteur bancaire, le ratio de créances douteuses a diminué de deux points de pourcentage (pp) au cours des douze derniers mois pour atteindre seulement 3,9%. Dans les seules banques publiques, les créances douteuses constituaient 5,2% des prêts octroyés contre 15,6% cinq ans plus tôt. C’est dans le secteur agricole que les crédits restent les plus fragiles. Selon la RBI, les actifs à risque constituaient 8% des crédits en mars 2023. Ce ratio s’élevait à 6,8% dans l’industrie, 5,1% dans les services et 2,9% pour les prêts aux ménages. Dans l’industrie, les secteurs les plus fragiles sont la construction et la joaillerie. Même si les provisions restent modestes, elles couvrent désormais 74% des créances douteuses (contre 48,1% cinq ans plus tôt).

Dans le même temps, les ratios de solvabilité se sont améliorés. Fin mars 2023, le Capital Adequacy Ratio (CAR) était de 17,1% dans l’ensemble du secteur bancaire et de 15,5% dans les banques publiques.

Le principal risque sur le secteur bancaire tient à l’importance des crédits octroyés à taux variables. Selon la RBI, 72% des prêts octroyés par les 14 plus grandes banques commerciales (lesquelles détiennent 81% des actifs bancaires totaux) le sont à taux variables. Ce type de prêts constitue 79,4% des crédits dans l’agriculture, 82,3% dans l’industrie, 76,3% dans les services et 60,2% pour les crédits aux particuliers (hors biens de consommation). Les crédits hypothécaires (51,3% des crédits aux ménages, soit 16,4% des crédits bancaires) sont les plus vulnérables à une hausse des taux d’intérêt car 94,8% d’entre eux sont octroyés à taux variables.

En outre, la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle a sensiblement augmenté sur la dernière période de durcissement monétaire par rapport aux périodes précédentes. Sur la période d’avril 2022 à juillet 2023, la hausse des taux directeurs (+250 pb) s’est traduite par une augmentation des taux moyens sur les nouveaux crédits de 193 pb.

Par ailleurs, le marché immobilier montre des signes de ralentissement dans certains États, comme en témoigne la contraction des prix de vente dans les principales villes du Gujarat, du Bengale occidental et du Rajasthan. Les risques de crédit dans le secteur immobilier sont partiellement limités par des contraintes réglementaires. Ainsi, le montant du crédit hypothécaire (pour tout achat d’un bien dont la valeur est supérieure à INR 3 millions) ne doit pas excéder 80% de la valeur du bien acquis (90% dans le cas des crédits pour les prêts inférieurs à INR 30 millions).

Achevé de rédiger le 29 septembre 2023

Johanna Melka

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