La période actuelle est très favorable à l’économie saoudienne : les revenus pétroliers sont élevés et de vastes programmes de réforme et d’investissement sont mis en place. Néanmoins, malgré de réels efforts de diversification, le pays demeure vulnérable aux aléas du marché pétrolier et à la politique de production de l’OPEP. Un rebond modéré de l’activité est prévu en 2024 après une légère récession cette année. La manne pétrolière reste déterminante pour le maintien des équilibres budgétaires et la mise en œuvre des investissements du programme Vision 2030. L’importance des besoins de financement et la faible attractivité du royaume vis-à-vis des investisseurs étrangers rendent toutefois nécessaire le recours massif à l’endettement et à la vente d’actifs publics. Cette transformation économique très gourmande en capitaux devra continuer malgré la vulnérabilité persistante à l’aléa pétrolier, que la transition énergétique pourrait accroître.
Fort ralentissement de l’activité
En 2023, l’économie saoudienne est attendue en récession (-0,3%) en raison du recul du PIB pétrolier. Ce dernier, qui représente environ 40% du PIB total, devrait enregistrer sa plus forte baisse depuis plus d’une décennie (-7,5%). Dans le cadre de la politique de l’OPEP+ (pays membres de l’organisation et Russie), l’Arabie saoudite a décidé de réduire sa production au-delà de l’accord conclu avec le cartel. Avec une réduction à environ 9 mb/j jusqu’à la fin de l’année, la production annuelle devrait atteindre en moyenne 9,6 mb/j, soit une baisse de 0,9 mb/j par rapport à 2022.
L’activité hors hydrocarbures a accéléré depuis deux ans, tirée principalement par le secteur privé, qui a atteint 6,4% en 2022. Au premier semestre 2023, elle a légèrement ralenti mais est restée assez dynamique (5,6% en g.a.), notamment grâce aux secteurs du commerce de détail et de la restauration, et, dans une moindre mesure, à celui de la construction. À court terme, la consommation et l’investissement continueraient de soutenir la croissance mais à un rythme plus lent qu’en 2022. Ainsi, la progression de l’investissement a fortement ralenti au T2 (+2,4% en g.a. contre +18% au T1), tandis que celle de la consommation des ménages n’a que légèrement fléchi (+3,3% en g.a. contre 3,9% au T1).
La croissance du crédit au secteur privé (entreprises) et aux entreprises publiques ralentit mais reste soutenue (respectivement +11% et +21% en g.a. en août 2023). Par contre, le crédit aux ménages a amorcé une phase de repli (-0,4% en g.a. au T2 2023). Néanmoins, le niveau modéré de l’inflation (+2% en août 2023) et la poursuite de la baisse du chômage (8,3% au T2 2023 contre 8,5% au T1 pour la population nationale) devraient continuer d’influer favorablement sur la consommation des ménages.
Timide rebond attendu en 2024
En 2024, la croissance du PIB devrait repartir à la hausse tout en restant contrainte par l’activité du secteur pétrolier.
En effet, nous n’anticipons qu’une modeste augmentation de la production pétrolière en 2024. Les prévisions de croissance sont en repli dans les pays de l’OCDE et en Chine. Pour le moment, ce sont les contraintes au niveau de l’offre de pétrole et la baisse des stocks dans les pays OCDE qui maintiennent les prix à un niveau élevé. En 2024, l’Arabie saoudite pourrait maintenir sa production au niveau actuel pendant une partie de l’année afin de soutenir les prix. Nous anticipons une hausse du PIB pétrolier de 2,4% sur l’ensemble de l’année.
Concernant le PIB hors hydrocarbures, les premiers signes d’essoufflement de la consommation des ménages pourraient s’intensifier l’année prochaine. La hausse des taux d’intérêt (le taux directeur de la SAMA a augmenté de 500 pb depuis février 2022) devrait peser sur le dynamisme du crédit. Dans ce contexte, les dépenses gouvernementales seront un facteur de soutien à l’activité et le projet de budget 2024 s’oriente dans cette direction. Après une hausse significative des dépenses en 2023 (+8% en g.a. selon les prévisions budgétaires), celles-ci resteront élevées malgré une conjoncture pétrolière moins favorable aux finances publiques.
La diversification dépend de la manne pétrolière
La diversification de l’économie saoudienne se poursuit, bien qu’assez lentement. La part des hydrocarbures dans le PIB diminue (40% en 2022 contre 45% en 2012) au profit du secteur privé hors hydrocarbures (de 38% à 41% sur la même période), grâce notamment à la croissance des industries manufacturières hors raffinage et aux activités de commerce de détail et d’hôtellerie-restauration. Néanmoins, l’impulsion publique, et donc les revenus pétroliers, reste déterminante dans le soutien à l’activité, que ce soit au travers des programmes d’infrastructure (les différents projets liés à Vision 2030) ou du soutien budgétaire. Cela est dû notamment à la faible attractivité de l’économie saoudienne pour les investissements directs étrangers (IDE). Depuis 2017, les IDE sont inférieurs à 1% du PIB (le niveau plus élevé de 2021, de 2,2% du PIB est lié à une cession d’actif exceptionnelle de la part d’Aramco). Le pays doit ainsi recourir massivement à l’endettement pour mettre en œuvre les programmes de diversification de l’économie.
Déficit budgétaire modéré attendu
En 2023, la baisse des revenus pétroliers (effets prix et volume de la production de pétrole) et le niveau soutenu des dépenses devraient entraîner un déficit budgétaire modéré, d’environ 2,1% du PIB. En 2024, bien que nous anticipions une quasi stabilité des revenus pétroliers et un légère hausse des dépenses, le solde budgétaire devrait excéder environ 2% du PIB. Cela est dû à la distribution d’un « dividende de performance » de la part d’Aramco (dont le gouvernement détient directement 90% du capital), qui s’élèvera à environ USD 10 mds (environ 1% du PIB) par trimestre entre T3 2023 et T4 2024.
Ces prévisions attestent de la solidité des finances publiques malgré la volatilité du marché pétrolier. Cependant, cela relativise les progrès accomplis en matière de diversification des revenus. Si la fixation d’un taux élevé de TVA (par rapport aux standards régionaux) à partir de 2020 avait significativement contribué à augmenter la part des revenus non-pétroliers dans le budget, la dépendance budgétaire aux hydrocarbures reste élevée.
Accélération des émissions de dette publique
Dans le cadre du programme de transformation économique, le besoin de financement du secteur public est très important, et va bien au-delà de la couverture du déficit budgétaire (environ USD 21,5 mds) et de l’amortissement de la dette du gouvernement (environ USD 25 mds selon le FMI). La gestion active de la dette se traduit par des rachats d’obligations en cours et des émissions de titres sur des maturités plus longues afin de lisser dans le temps le risque de refinancement. En 2022, l’équivalent de USD 1,3 md a été émis à ce titre.
Depuis le début de l’année, les émissions internationales du gouvernement (Eurobonds et Sukuk) ont totalisé USD 21 mds tandis qu’environ USD 11 mds ont été émis localement, soit plus de 3% du PIB en totalité. Par ailleurs, les avoirs du gouvernement auprès de la banque centrale se sont réduits de USD 51 mds au cours des huit premiers mois de l’année (plus de 5% du PIB). Enfin, le gouvernement envisage d’emprunter USD 11 mds sous forme de prêts syndiqués. Au final, les émissions dépasseront largement la couverture du besoin de financement du gouvernement.
La dette totale du gouvernement général est à un niveau modéré (28% du PIB attendu en 2023, la dette extérieure représentant 37% du total) tandis que les avoirs gouvernementaux auprès de la banque centrale représentent actuellement 11% du PIB. Les intérêts sur la dette ne représentent qu’environ 3% des revenus budgétaires totaux. Le profil de la dette est favorable : la maturité moyenne est de 9,3 années (7,9 en 2018) et le taux moyen était de 2,95% en 2022 (contre 2,91% en 2018). La prime de risque sur les obligations souveraines en devises à 5 ans est basse (environ 50 pb).
La solvabilité du gouvernement est donc solide et ne devrait pas se détériorer à moyen terme. Néanmoins, il convient de souligner que le rôle grandissant des fonds souverains dans la politique publique (sous forme d’investissements dans l’économie locale) se traduit par une hausse de l’endettement du secteur public. Selon le FMI, l’endettement des fonds souverains était équivalent à 33% du PIB en 2021, soit un niveau supérieur à celui du gouvernement. Les actifs détenus par le Public Investment Fund équivalent à environ 53% du PIB, dont 68% sont investis dans l’économie locale et sont donc, a priori, moins liquides que des titres côtés sur les marchés internationaux.
Par ailleurs, la position extérieure du pays est très solide grâce à des excédents courants importants et à une récente hausse des flux de portefeuille. Les réserves de change de la SAMA hors avoirs du gouvernement s’élèvent à USD 308 mds (août 2023), soit une année d’importation de biens et services.
La situation des finances publiques reste donc confortable. Cependant, elles présentent deux facteurs de fragilité majeurs : d’une part, sa vulnérabilité persistante à la volatilité du marché pétrolier (le budget n’a été qu’une seule fois en excédent depuis 2014), et, d’autre part, des besoins de financement très importants au moins jusqu’en 2030 – même si les projections du gouvernement en matière d’investissement semblent surestimées (environ USD 300 mds par an jusqu’en 2030). Ces besoins financiers devront être couverts en majeure partie par la dette, notamment auprès de créanciers internationaux (dans un environnement de taux d’intérêt beaucoup plus élevés depuis début 2022) et, dans une moindre mesure, par la monétisation d’actifs publics.
Par ailleurs, la transition énergétique au niveau mondial (la demande mondiale de pétrole devrait commencer à structurellement se réduire avant 2030 selon l’Agence internationale de l’énergie) pourrait peser sur les finances publiques plus rapidement que prévu.
Achevé de rédiger le 6 octobre 2023
Pascal Devaux