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Chine : Relance et adaptation

16/10/2023
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Après quelques hésitations, les autorités chinoises ont finalement multiplié les mesures de relance pendant l’été. Le léger redressement de la croissance économique récemment observé devrait se poursuivre au T4 2023. Cependant, l’action de la banque centrale et du gouvernement reste contrainte, prudente et mesurée, alors que les freins internes et externes pesant sur l’activité sont toujours puissants. Dans le secteur immobilier, même si de l’activité parvient à se stabiliser grâce aux mesures de soutien, elle devrait rester entravée par la fragilité financière des promoteurs et la faiblesse du sentiment des acheteurs. Dans le secteur exportateur, les entreprises sont affectées par l’important ralentissement de la demande mondiale et les tensions sino-américaines, alors que les multinationales commencent à repenser leurs stratégies de production.

Multiples freins sur la croissance

PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES

Le ralentissement tendanciel de la croissance économique chinoise, en cours depuis une quinzaine d’années, s’est accentué en 2022 et 2023. La croissance du PIB réel s’est établie à 3% en 2022, et devrait à peine dépasser 5% en 2023 malgré des effets de base favorables liés à la fin des restrictions sanitaires (la croissance moyenne était de 6,7% par an sur la période 2012-2021).

L’activité économique a été affaiblie depuis deux ans par une accumulation de puissants freins internes et externes : crise sans précédent du secteur immobilier, vague de resserrement réglementaire dans les services, stricte politique zéro Covid appliquée jusqu’en décembre 2022, important recul de la confiance des ménages et des investisseurs, manque de marge de manœuvre des autorités monétaires et budgétaires, affaiblissement de la demande mondiale et tensions avec les États-Unis. Ces freins se sont ajoutés aux facteurs structurels de long terme du ralentissement chinois : déclin de la population en âge de travailler, modération des gains de productivité, épuisement du modèle de croissance tiré par l’investissement et la dette.

CHINE : REPRISE ACCIDENTÉE DANS LES SERVICES

Ainsi, le rebond post-Covid de la croissance économique chinoise, observé au T1 2023, s’est essoufflé dès le printemps, et les autorités n’y ont apporté qu’une réponse très prudente et progressive. Elles ont toutefois multiplié les mesures de relance depuis le mois de juillet, et quelques signes d’amélioration sont apparus (graphique 1). En août déjà, l’activité dans les services s’est renforcée légèrement (+6,8% en glissement annuel contre +5,7% en juillet), soutenue par les ventes au détail (+4,5% en g.a. en volume contre +2,8% en juillet). La croissance dans l’industrie s’est, elle aussi, un peu redressée (+4,5% en g.a. en août contre +3,7% en juillet). Les tout derniers indicateurs d’activité avancés et les PMI signalent la poursuite d’une légère amélioration au mois de septembre.

Le secteur immobilier est en revanche resté enfoncé dans la crise. Le secteur a connu une contraction sans précédent depuis deux ans : sur la période janvier-août 2023, le volume de ventes immobilières et les mises en chantier représentaient 65% et 46%, respectivement, de leurs niveaux sur la même période en 2021 (les projets immobiliers achevés sont quant à eux revenus à 94% de leur niveau de 2021). Le prix moyen des logements des 70 principales villes chinoises n’a baissé que 6% entre août 2021 et août 2023, mais des écarts notables existent entre les différentes provinces.

Difficile relance de l'économie chinoise

Au cours des derniers mois, la banque centrale a légèrement abaissé les taux d’intérêt directeurs (entre fin mai et fin septembre, le taux MLF à 1 an a été réduit de 2,75% à 2,5%, les taux préférentiels sur les prêts à 1 et 5 ans respectivement de 3,65% à 3,45% et de 4,3% à 4,2%) ainsi que les coefficients de réserves obligatoires (le coefficient moyen pour l’ensemble des banques est passé de 7,6% à 7,4% en septembre). Cet assouplissement monétaire accompagne, d’une part, les mesures visant à limiter la crise immobilière et, d’autre part, l’accélération des émissions obligataires par les collectivités locales au S2 2023 afin de financer de nouvelles dépenses publiques. Le gouvernement central a également prorogé quelques aides fiscales bénéficiant aux PME et aux ménages.

Dans le secteur immobilier, la contraction continue de l’activité (et ses effets de contagion sur le reste de l’économie et la confiance des ménages), la multiplication des défauts de paiements des promoteurs et la diffusion des risques dans le secteur financier ont conduit les autorités à ajuster leur politique ces derniers mois, tout en conservant leurs objectifs d’assainissement du marché (désendettement des promoteurs, modération du coût du logement). Les mesures prises ont, dans un premier temps, principalement visé à financer l’achèvement des chantiers démarrés. Depuis le mois d’août, les autorités renforcent leur action pour restaurer la demande de logements. Elles ont annoncé un assouplissement des règles prudentielles relatives à l’achat de logements et à l’octroi de prêts hypothécaires (avec notamment une baisse des montants minima d’apports personnels), ainsi qu’une réduction des taux d’intérêt sur les crédits hypothécaires (nouveaux prêts et prêts existants). Ces changements sont mis en œuvre de façon différenciée par le gouvernement de chaque province en fonction de la situation du marché immobilier local.

Grâce à ces mesures, l’activité du secteur immobilier pourrait atteindre un point bas pour se stabiliser, voire se redresser légèrement, d’ici la fin de l’année. Cela devrait aider la poursuite au T4 2023 de l’amélioration conjoncturelle observée depuis le milieu de l’été.

Cependant, le redressement de l’activité pourrait rester fragile. Les ménages sont encore méfiants, les promoteurs immobiliers demeurent confrontés à de sévères difficultés financières, et la marge de manœuvre des autorités pour accroître leur soutien à la croissance est étroite. Alors que l’inflation des prix à la consommation est très faible (+0,3% en g.a. en août et 0% en septembre), la marge de manœuvre de la banque centrale est de plus en plus limitée par les pressions à la baisse sur le yuan. Celui-ci s’est déprécié de 13% contre le dollar US depuis avril 2022 (dont 5% entre fin mars et fin septembre) en raison du différentiel croissant entre les taux d’intérêt américains et chinois et des larges sorties d’investissements de portefeuille.

Par ailleurs, la politique économique reste fortement contrainte par la dette excessive du secteur privé et des collectivités locales. La dette intérieure totale a atteint 284% du PIB mi-2023 contre 247% à fin 2019. Cette dette limite la possibilité pour la banque centrale d’encourager de nouveaux crédits, et décourage à la fois l’offre de prêts des banques et la demande des ménages et des entreprises. L’érosion de la confiance pèse également sur l’activité de crédit. La croissance du total des crédits domestiques (social financing) n’a de fait pas accéléré au T3 2023 (elle a atteint 9,3% en g.a. en septembre, comme en juin).

La politique budgétaire est, de son côté, contrainte par la fragilité des collectivités locales liée à leur dette propre (30% du PIB mi-2023) et à celle de leurs véhicules de financement (estimée à environ 50% du PIB).

Enfin, l’action des autorités chinoises est dictée par des objectifs de plus long terme. Pékin cherche à construire un modèle de croissance plus équilibré, à renforcer la discipline financière, à promouvoir la « prospérité commune » et à stimuler l’innovation et les secteurs de haute technologie. La priorité n’est pas de soutenir la croissance à court terme mais de garantir la « sécurité nationale » avec des mesures visant à réduire les risques internes (d’instabilité financière, notamment) et les risques externes (les tensions avec les États-Unis expliquent ainsi les efforts visant à atteindre l’auto-suffisance en technologies avancées).

Défis dans le secteur manufacturier

CHINE : DIFFICULTÉS DU SECTEUR EXPORTATEUR

Après l’important rebond enregistré pendant la pandémie, la croissance des exportations de marchandises s’est rapidement dégradée en 2022 et 2023. Mesurées en dollars courants, elles se sont contractées de 2% en g.a. au S1 2023 et de 10,8% au T3 2023 (graphique 2). Les perspectives de très court terme restent sombres.

L’industrie exportatrice fait face à l’affaiblissement de la demande mondiale (le FMI prévoit un ralentissement des volumes d’échanges mondiaux de biens et services à +0,9% en 2023 contre +5,1% en 2022 et +10,1% en 2021). Elle subit également les répercussions des tensions commerciales et de la guerre technologique avec les États-Unis. Les ventes de biens chinois sur le marché américain ont ainsi chuté de 16% en g.a. sur les neuf premiers mois de 2023 (les États-Unis achetaient 16% du total des exportations chinoises en 2022).

Le « découplage » commercial entre la Chine et les États-Unis est, de fait, devenu une réalité comme en témoigne le recul de la part chinoise dans les importations totales des États-Unis de 22% en 2018 à 17% en 2022. En revanche, la Chine a beaucoup mieux maintenu sa part de marché mondial totale, notamment parce que les exportateurs ont redirigé certains produits destinés aux États-Unis vers d’autres pays aux tarifs douaniers moins élevés. La part de la Chine dans le total des exportations mondiales est redescendue à 14,4% au S1 2023 contre 15,2% en 2021, mais elle est toujours bien au-dessus de son niveau d’avant-Covid (de 13,3% en 2019).

Dans les prochaines années, l’industrie manufacturière chinoise restera pénalisée par sa moindre compétitivité coût et par la réorganisation des chaines de valeur mondiales. Les perturbations dans les chaines de valeur et l’approvisionnement de biens essentiels provoquées par la pandémie de Covid puis par la guerre en Ukraine, la hausse des tensions géopolitiques et la montée du risque politique et des incertitudes réglementaires en Chine ont conduit les multinationales à repenser leurs stratégies de production. Certaines entreprises s’orientent ainsi vers une stratégie de production « en Chine pour la Chine » ou vers une stratégie de « Chine+1 », c’est-à-dire en relocalisant une partie de leur production dans des pays d’Asie du Sud-Est ou en Inde, ou dans des pays plus proches géographiquement de leur pays d’origine comme le Mexique ou l’Europe centrale (nearshoring). Les gouvernements occidentaux encouragent par ailleurs le reshoring de certaines productions stratégiques. En 2021, la Chine n’avait déjà reçu que 5% du total des investissements directs étrangers (IDE) greenfield (contre 11% en 2018). Au S1 2023, les entrées brutes d’IDE enregistrées dans la balance des paiements ont connu une baisse importante.

Cependant, si les changements dans l’organisation de la production et des chaines de valeur mondiales sont devenus évidents et devraient se poursuivre, il est peu probable qu’ils induisent un recul significatif du rôle de la Chine dans les échanges commerciaux à court et moyen terme. D’abord, parce que les exportations de marchandises chinoises sont aujourd’hui essentiellement le fait d’entreprises locales. Ensuite, parce que le secteur manufacturier chinois, soutenu par l’État, garde une solide capacité à s’adapter, poursuivre sa montée en gamme, et développer des produits de haute technologie et de technologie verte.

Achevé de rédiger le 13 octobre 2023

Christine Peltier

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