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L'économie indonésienne résiste bien

16/10/2023
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En dépit du ralentissement économique mondial, la croissance économique indonésienne est restée solide. Les pressions inflationnistes demeurent contenues malgré la hausse des prix du riz. Les finances publiques se sont consolidées et le déficit budgétaire est retourné sous le seuil règlementaire de 3% du PIB un an plus tôt que prévu. Même si la dette est supérieure au niveau d’avant-crise, elle reste modeste et son refinancement est moins dépendant des investissements de portefeuille. L’augmentation de la charge d’intérêts sur la dette est à surveiller car elle réduit les marges de manœuvre budgétaire du gouvernement pour soutenir l’économie. En dépit d’une hausse des pressions sur les comptes extérieurs, en raison de la baisse des prix des matières premières exportées et des sorties de capitaux, les réserves de change restent suffisantes pour couvrir les besoins de financement à court terme du pays. À horizon des deux prochaines années, le déficit du compte courant devrait rester modeste et être couvert par les IDE.

Croissance tirée par la demande intérieure

PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES

Au deuxième trimestre 2023, la croissance économique est restée solide : elle a atteint 5,2% en glissement annuel (g.a.) et 5,1% sur l’ensemble du premier semestre. L’activité a été soutenue par la demande intérieure (+5,9% en g.a.) alors que les exportations se sont contractées de 2,7% en g.a. La consommation des ménages a renoué avec son rythme de croissance de long terme (5-5,2%), soutenue par le rebond du tourisme et la décrue du chômage.

Bien que toujours légèrement supérieur au niveau d’avant la crise de la Covid-19, le taux de chômage s’est établi à 5,5% en février 2023.

Les investissements sont restés solides, en particulier les investissements publics dans les infrastructures. L’activité a été particulièrement soutenue dans le secteur de la construction, les transports, le commerce et les services.

Les perspectives de croissance pour le deuxième semestre sont favorables même si des risques baissiers restent élevés, notamment en raison de l’environnement économique mondial. La contribution des échanges extérieurs à la croissance devrait passer en territoire négatif dès le troisième trimestre. Un rebond significatif des exportations est très peu probable en raison du ralentissement économique de la Chine, premier partenaire commercial de l’Indonésie (22,6% des exportations en 2022), et des États-Unis (9,7% de ses exportations).

INDONÉSIE : LA HAUSSE DES PRIX RESTE CONTENUE

La consommation des ménages devrait rester dynamique, bien qu’en légère décélération. Les ventes au détail ont déjà commencé à ralentir aux mois de juillet et août. Même si les indices de confiance des ménages restent positifs, ils semblent avoir légèrement marqué le pas. De même, la croissance du crédit bancaire aux ménages s’est stabilisée. De leur côté, les entrepreneurs restent confiants si l’on en croit les derniers résultats d’enquête. En revanche, l’évolution des importations de biens d’investissement a sensiblement ralenti au mois d’août, laissant présager une décélération des investissements par le secteur privé.

En outre, la forte hausse des prix du pétrole depuis le mois de juillet 2023 devrait peser sur les marges des entreprises comme sur le pouvoir d’achat des ménages. En août, l’inflation des prix à la consommation est restée modérée (+3,3% en g.a.) et inférieure à la cible de 3% +/- 1 pp fixée par les autorités monétaires pour l’année 2023 (2,5% +/-1 pp pour 2024). Elle a toutefois légèrement rebondi depuis le point bas atteint en juillet principalement en raison de l’augmentation des prix alimentaires induite par la hausse des prix du riz. Le regain d’inflation devrait se confirmer au cours de la seconde partie de l’année, mais il devrait être contenu grâce aux contrôles des prix domestiques ; hors prix alimentaires et énergie, la hausse des prix enregistrée en août atteignait seulement 2,2% en g.a. La Banque centrale indonésienne reste confiante concernant la bonne maîtrise de l’inflation. Elle a ainsi maintenu inchangé son taux directeur à 5,75% en septembre.

Consolidation des finances publiques

Au cours des deux dernières années, les finances publiques se sont consolidées. Le déficit budgétaire, bien que toujours légèrement supérieur au niveau de 2019, a très sensiblement diminué. Par ailleurs, la dette du gouvernement reste modeste, même si elle est supérieure à son niveau d’avant-crise (37,8% du PIB fin août 2023 vs. 29,7% du PIB fin 2019). Sa structure reste fragile mais elle est moins vulnérable à un choc extérieur qu’en 2019. La part de la dette libellée en devises (exposée à un choc de change) est élevée (37,3% de la dette totale au T2 2023) mais la part de la dette détenue par les investisseurs étrangers, bien qu’en légère hausse depuis la fin du programme d’achats d’actifs par la banque centrale fin 2022, reste très inférieure au niveau de 2019. Elle s’élevait à seulement 27,9% de la dette totale en août 2023 contre 58,2% fin 2019. Les banques domestiques détiennent aujourd’hui 30,6% des titres de dette du gouvernement contre seulement 23,9% en 2019.

En 2022, le gouvernement est parvenu à réduire son déficit à 2,4% du PIB (contre 4,6% en 2021), soit un niveau inférieur au seuil de 3% du PIB qu’il s’était engagé à atteindre fin 2023. Cette bonne performance s’explique par l’augmentation des recettes budgétaires (+2,7pp à 13,5% du PIB) dans un contexte de hausse des prix des matières premières exportées.

Pour l’année 2023, le gouvernement prévoit une hausse du déficit à 2,8% du PIB. Il anticipe une baisse des recettes liée à celle des prix des matières premières, y compris du pétrole (en moyenne annuelle). Cependant, sur les huit premiers mois de l’année 2023, les finances publiques ont été plus solides que le gouvernement ne le supposait. Les recettes ont légèrement accéléré par rapport à la même période l’année dernière, pour atteindre 74% de la cible annuelle. De plus, les dépenses ont été plus modestes qu’initialement anticipé (53% de la cible annuelle contre 60% sur la période 2015-2019), et ce en dépit de l’augmentation des investissements publics et des transferts aux provinces. Même si la récente hausse des prix alimentaires et du pétrole pourrait peser sur le coût des subventions, le déficit budgétaire devrait être inférieur à la cible fixée par le gouvernement. En outre, le gouvernement a prouvé sa capacité à maîtriser ses dépenses de subventions. En 2022, en dépit de la hausse des prix des matières premières, les subventions sont restées contenues à 1,3% du PIB (le niveau de 2019). Rapportées au PIB, elles devraient continuer à diminuer en 2023 et 2024 (-8% sur les huit premiers mois de l’année 2023).

La plus forte augmentation du budget est celle de la charge d’intérêts sur la dette (+17,1% sur les huit premiers mois de l’année), qui a atteint 15,1% des recettes (contre 14,3% en 2022) et pourrait s’élever à plus de 17% selon les prévisions du gouvernement. Cette hausse réduit la marge de manœuvre budgétaire du gouvernement pour soutenir l’économie.

À court et moyen terme, les risques de dérapage des finances publiques sont contenus, même si le niveau structurellement bas des recettes reste une source de fragilité importante. Le gouvernement devrait poursuivre la consolidation de ses finances publiques. Il prévoit de réduire le déficit à 2,3% du PIB an 2024. Le prochain gouvernement qui sera issu des élections générales (présidentielles, législatives et régionales) de février 2024 devrait poursuivre dans cette voie. Le principal risque, bien que contenu, porte sur les sources de financement en raison de la fin du programme d’achats d’actifs de la banque centrale sur le marché primaire.

Légère dégradation des comptes extérieurs au T2 2023

En 2022, pour la deuxième année consécutive, le compte courant a enregistré un surplus équivalant à 1% du PIB, favorisé par un excédent commercial de 5,1% du PIB, un niveau qui n’avait pas été enregistré depuis 2010. En revanche, les flux nets d’investissements directs étrangers (IDE) ont ralenti. Les investissements entrants, déjà structurellement modestes, n’ont atteint que 1,8% du PIB sur l’ensemble de l’année 2022, contre 2% du PIB l’année précédente (ce qui correspond aussi à la moyenne enregistrée sur la période 2017-2021).

Néanmoins, même si les montants d’IDE reçus rapportés au PIB ont baissé, la part des flux reçus par l’Indonésie dans le monde a augmenté en 2022 pour atteindre 1,7% (contre une moyenne de 1,3% sur la dernière décennie). Les investissements en provenance de Chine ont très sensiblement accéléré depuis 2021 (+16,2% en 2022, contre une moyenne de 8,1% sur la période 2015-2019). La Chine a notamment multiplié par 7,5 ses investissements dans l’industrie manufacturière par rapport à la moyenne enregistrée entre 2015 et 2019. L’Indonésie cherche à attirer les IDE afin de devenir un important centre de construction de batteries électriques et de développer ses activités de transformation des métaux.

Depuis le début de l’année 2023, la balance des paiements s’est dégradée en raison de l’impact négatif de la baisse des prix des matières premières sur la balance courante et celui, indirect, du durcissement de la politique monétaire américaine sur la balance des capitaux.

INDONÉSIE : LE COMPTE COURANT ENCORE EN SURPLUS AU S1 2023

Au T2 2023, le solde du compte courant est repassé en territoire négatif (-0,5% du PIB) après sept trimestres d’excédent. La baisse du surplus commercial (dès le T1 2023) s’est sensiblement accentuée au deuxième trimestre en raison du ralentissement économique mondial et de la chute des prix des principales matières premières exportées par le pays (-57,9% sur le prix du charbon, -32,2% sur le prix de l’huile de palme sur les huit premiers mois de l’année 2023). Il n’a pas été compensé par la hausse de l’excédent de la balance des services induite par le rebond du tourisme.

Dans le même temps, le solde du compte financier a enregistré un déficit de 1,4% du PIB alors qu’il était excédentaire au T4 2022 et au T1 2023. Les entrées nettes de capitaux ont sensiblement ralenti du fait du fort rétrécissement des écarts de rendements entre les obligations domestiques et celles des pays avancés (notamment des obligations américaines). Ainsi, le solde de la balance des paiements (hors variation des réserves de change) a enregistré un important déficit au T2 2023 (2,1% du PIB).

Selon les données de l’Institute of International Finance (IIF), les sorties de capitaux se sont accentuées au mois d’août, comme dans de nombreux autres pays d’Asie.

Les pressions à la baisse sur les comptes extérieurs et la roupie devraient rester fortes jusqu’à la fin de l’année, ainsi qu’en 2024, en raison des risques sur la croissance chinoise et sur les prix alimentaires et de l’énergie. Cependant, en dépit de la hausse attendue des besoins de financement extérieurs, les risques de refinancement sont limités. Les réserves de change, bien qu’en légère baisse au deuxième trimestre (-5,7% depuis mars 2023), restent confortables. Estimées à USD 124 mds en juillet 2023, elles couvraient 2,3 fois les besoins de financement à court terme du pays.

Achevé de rédiger le 2 octobre 2023

Johanna Melka

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