L’activité mexicaine devrait ralentir dans les trimestres à venir sous l’effet conjugué du ralentissement de l’économie américaine et de taux d’intérêt toujours élevés. Au-delà de 2024, la croissance pourrait être soutenue par un nouveau moteur, le nearshoring, dont les effets commencent à se traduire dans les données d’exportation et d’investissement. La prochaine administration, qui sera élue en juin 2024, aura donc pour défi de mettre en place les réformes structurelles nécessaires pour profiter pleinement de cette nouvelle stratégie de délocalisation et maintenir le soutien financier à l’entreprise PEMEX, tout en limitant le dérapage des finances publiques.
Ralentissement en 2024
La croissance mexicaine a surpris à la hausse au cours des deux premiers trimestres de 2023 (le PIB réel a progressé de 3,7% en g.a. au T1 et T2), soutenue par la résistance de l’économie américaine.
De plus, la vigueur des transferts des travailleurs étrangers (en progression de plus de 9% en g.a. depuis le début 2023) ont permis de soutenir la consommation des ménages, en dépit d’une inflation toujours élevée (en baisse à 4,6% en g.a. en août après avoir atteint un plus haut à 8,7% en g.a. en septembre 2022).
L’inflation sous-jacente (6,1% en g.a. en août) décélère également, mais plus lentement malgré une politique monétaire toujours restrictive.
La banque centrale a maintenu son taux d’intérêt directeur inchangé à 11,25% depuis le mois de mars, et prévoit de le laisser à ce niveau dans les mois à venir en raison de « pressions inflationnistes persistantes ».
Progression de l’investissement grâce au nearshoring
Un autre moteur de la croissance pourrait avoir été sous-estimé au cours des derniers trimestres et soutenir la croissance à moyen/long terme : les effets liés au nearshoring, soit une re-localisation des activités de production et de commercialisation dans un pays proche géographiquement du pays d’origine de l’entreprise. À l’échelle mondiale, le phénomène a nettement accéléré en raison des perturbations et pénuries dans les chaînes de valeur consécutives à la période de Covid-19, puis à la guerre en Ukraine. Concernant les entreprises américaines, la re-localisation des chaînes de valeur dans les pays limitrophes est plus ancienne encore ; elle remonte au désengagement des États-Unis de l’Accord de partenariat transpacifique (TPP) en 2017 et au début des tensions commerciales avec la Chine, en 2018.
Peu visibles jusqu’à présent, les effets du nearshoring commencent à transparaître dans les données macroéconomiques.
D’une part, depuis 2018 les parts du Mexique et du Canada dans les échanges commerciaux américains ont progressé, alors que celle de la Chine a nettement diminué (graphique 1). Depuis peu, le Mexique est même devenu le premier partenaire commercial des États-Unis devant le Canada. Plus précisément, le Mexique exporte vers les États-Unis des biens manufacturés (secteurs automobile et électronique essentiellement, mais aussi du matériel médical) et importe principalement de l’énergie (pour rappel, le Mexique est importateur net d’énergie depuis 2016).
D’autre part, le dynamisme très récent de l’investissement traduit les effets du nearshoring : l’investissement total reste relativement faible (autour de 19,5% du PIB) mais a très rapidement augmenté au cours des derniers mois (plus de 20% en moyenne et en g.a. sur les 7 premiers mois de l’année d’après la série d’indices mensuels, alors que la moyenne est de -0,3% en 2018-2022). L’investissement en machines et autres biens d’équipement importés a été particulièrement dynamique depuis le début de l’année 2023 (en progression de près de 25% en moyenne en g.a.). En juillet, l’investissement en machines et autres biens d’équipement importés était supérieur de 35% à son niveau d’avant la pandémie, contre seulement 5% pour l’investissement total
Les investissements directs étrangers (IDE) ont également progressé à un rythme soutenu au cours des derniers trimestres. Les « nouveaux » IDE ont progressé de près de 30% en 2022 pour atteindre plus de USD 18 mds, un niveau inédit depuis près de dix ans. Sans surprise, les plus fortes progressions enregistrées proviennent des États-Unis et du Canada.
À très court terme, les effets du nearshoring ne compenseront qu’en partie ceux du ralentissement de l’économie américaine attendu en 2024. Bien que la production manufacturière ait fortement augmenté depuis 2021, le nearshoring ne peut pas tout expliquer. Les exportations et la production industrielle ont commencé à ralentir depuis le début de l’année. Au total, le PIB ne devrait pas progresser au-delà de 1,5% en 2024.
À plus longue échéance, l’économie mexicaine semble à une période charnière. Les effets du nearshoring devraient à terme permettre d’améliorer les perspectives de croissance. Mais les faiblesses de l’économie mexicaine demeurent : plusieurs années de sous-investissement (en infrastructures, éducation, énergie) ont lourdement pesé sur la croissance potentielle. Le manque d’engagement en matière de transition énergétique pourrait également empêcher le pays de profiter à plein des opportunités représentées par le nearshoring.
Enfin, les relations avec les États-Unis et les politiques économique et fiscale (concernant notamment la réforme du secteur de l’énergie) au cours du prochain mandat (la prochaine élection générale est prévue pour juin 2024[1]) seront déterminantes.
Stratégie fiscale et électorale
Mi-septembre, l’actuel gouvernement a présenté son dernier budget. Comme c’est souvent le cas au Mexique au cours des années électorales, celui-ci se révèle expansionniste, laissant une large part à l’augmentation des dépenses publiques. Cela confirme l’ambition de l’actuel président, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO), qui ne pourra pas se représenter, de maintenir son parti (Morena) au pouvoir au cours du prochain mandat présidentiel.
Concrètement, la proposition de budget prévoit un déficit moins important pour 2023 (à 3,3% du PIB alors que les estimations initiales tablaient sur 3,5% du PIB), mais une augmentation significative pour 2024, à 4,9% du PIB. Le gouvernement s’attend à une légère baisse des revenus, à 21,3% du PIB en 2024 (l’estimation pour 2023 est de 21,7% du PIB), du fait de recettes moindres tirées des revenus pétroliers.
L’augmentation du déficit tient surtout à l’augmentation des dépenses publiques : outre l’augmentation de la charge d’intérêts, les priorités sont identiques à celles des précédents budgets (au moins depuis le début de la présidence AMLO, en 2018) : augmentation sensible des « dépenses sociales » (près de +8% par rapport au budget 2023), et en particulier des pensions de retraite (+30%), conformément à l’argument électoral central du parti Morena. Enfin, en dépit de multiples annonces gouvernementales, les dépenses en infrastructures devraient légèrement diminuer (estimées à 2,6% du PIB en 2024, après 2,8% en 2023). Les projets clés du gouvernement (notamment les deux projets ferroviaires, le train Maya et le Corridor interocéanique de l'isthme de Tehuantepec) verront cependant leur allocation augmenter.
Notre estimation de déficit est proche de celle des autorités : les hypothèses optimistes retenues par le gouvernement (une croissance du PIB pour 2024 dans la fourchette 2,5%-3,5%, une inflation de 3,8%, une production pétrolière estimée à environ 2 millions de barils par jour) sont compensées par l’hypothèse conservatrice concernant le prix du pétrole (à USD 56,7 par baril pour le WTI en moyenne pour l’année, alors que les cours à terme se situent à USD 80 ).
Soutien explicite à PEMEX
Pour la première fois, le budget détaille également le soutien envisagé pour l’entreprise de production et d’exploitation pétrolière PEMEX. Jusqu’ici, celui-ci était réalisé au coup par coup, et le budget évoluait au fil de l’année pour prendre en compte les versements effectués. Cette fois-ci, la proposition de budget indique que, d’une part, les royalties reversées par l’entreprise au gouvernement ne représenteront plus que 35% des revenus (contre 40% jusqu’à présent, et 65% au moment de l’arrivée au pouvoir de l’administration AMLO), soit une perte de revenus estimée à USD 2,5mds, et que, d’autre part, les transferts directs s’élèveront à près de USD 8,25 mds. Enfin, le gouvernement a déjà signalé que des versements supplémentaires pourraient avoir lieu si cela était nécessaire. D’après les estimations de Fitch, les échéances pour 2024 s’élèvent à plus de USD 11 mds, de nouveaux versements sont donc très probables.
Le soutien gouvernemental régulier au cours des dernières années a permis de réduire significativement la dette publique contingente liée à PEMEX. Celle-ci est aujourd’hui évaluée à 6% du PIB (alors qu’elle représentait près de 10% du PIB en 2020). D’après les déclarations des différents partis, à ce jour, le soutien à PEMEX ne devrait pas être remis en cause par le prochain gouvernement.
D’après les estimations officielles, la dette publique augmenterait pour atteindre 48,8% du PIB en 2024 (après 46,5% en 2023). La première estimation portait la dette à 49,9% du PIB, mais le gouvernement a profité d’une baisse « technique » du ratio de dette sur PIB (comme tous les 5 ans, le PIB a été rebasé au cours de l’année 2023). Bien que la question de la soutenabilité de la dette ne se pose pas à court terme pour le Mexique, l’augmentation pérenne des dépenses sociales et les différents projets d’infrastructure entamés, laissés à la discrétion du prochain gouvernement, augmentent le risque souverain à moyen terme.
Achevé de rédiger le 6 octobre 2023
Hélène Drouot