Depuis le début de l’année 2023, la production de pétrole de l’Angola n’atteint pas la cible fixée par le gouvernement et recule par rapport à 2022, ce qui pénalise fortement la croissance économique. Combinée à la baisse du cours du Brent, cette sous-performance fragilise les comptes extérieurs du pays qui doit, par ailleurs, faire face à des remboursements de dette extérieure particulièrement élevés. La liquidité en dollars s’est donc dégradée au deuxième trimestre 2023 et le Kwanza s’est fortement déprécié. La solvabilité du gouvernement s’est également détériorée. Pour y remédier, les autorités ont annoncé début août des coupes budgétaires importantes. À court terme, la remontée du cours du Brent permettra de stabiliser les réserves de change, dont les niveaux sont encore satisfaisants. Toutefois, dans un contexte de déclin structurel de la production pétrolière, la solvabilité extérieure de l’Angola pourrait être menacée en cas de forte baisse des prix du pétrole.
Déclin structurel du secteur pétrolier
En 2023, après deux années de modeste rebond, la croissance économique angolaise devrait ralentir fortement à 0,9%. Une fois de plus, l’activité est pénalisée par le déclin du secteur pétrolier, qui représentait 30% du PIB en 2022. Sur les huit premiers mois de 2023, la production pétrolière s’est contractée de 5,8% en glissement annuel (g.a.) en raison, notamment, d’opérations de maintenance qui ont pesé sur les résultats des mois de février et mars. Repartie à la hausse depuis, la production de pétrole a atteint en moyenne 1,12 million de barils par jour (mb/j) entre janvier et août, un chiffre qui reste nettement inférieur à la cible fixée par le gouvernement dans son budget pour 2023 (1,18 mb/j).
Malgré cette sous-performance, le gouvernement reste confiant dans la capacité du secteur à accroître sa production à court terme. L’agence nationale du pétrole et du gaz (ANPG) a annoncé en septembre dernier vouloir augmenter son quota de production imposé par l’OPEP, qui s’élève pourtant déjà à 1,45 mb/j, soit bien au-dessus des capacités de production actuelles du pays. Selon le gouvernement, les récents efforts pour attirer les investisseurs étrangers devraient porter leurs fruits dans les prochains mois. Leur appétit s’est déjà confirmé en septembre dernier, lorsque l’ANPG a attribué deux nouvelles licences d’exploitation pour des blocs qui recéleraient de réserves de pétrole considérables.
Le secteur pétrolier renouera donc avec la croissance en 2024. Néanmoins, celle-ci devrait rester limitée. Le secteur est pénalisé à la fois par le déclin naturel des réserves et par le vieillissement des infrastructures qui requièrent de nouvelles opérations de maintenance. Depuis 2015, année où le pays a atteint son pic de production, le secteur s’est contracté de 35% en termes réels. Cette tendance de long terme pèse lourdement sur les comptes extérieurs de l’Angola puisque le pétrole constitue 95% de ses exportations.
Normalisation des excédents courants
La conjoncture internationale des deux dernières années a été favorable aux comptes extérieurs de l’Angola. En moyenne sur 2021-22, l’excédent de la balance courante a dépassé les 10% de PIB, un niveau jamais atteint depuis 2012. La reprise de la demande mondiale postpandémie, puis l’impact de la guerre en Ukraine sur les prix du pétrole ont permis au pays de dégager des surplus commerciaux importants. Cette dynamique a plus que compensé les déficits structurels de la balance des services et des revenus. L’Angola a même été en mesure de rembourser en avance une partie de sa dette extérieure.
Néanmoins, en 2023 l’excédent du compte courant devrait se contracter fortement pour atteindre 2% du PIB à mesure que l’excédent commercial se résorbera. Au cours du premier semestre 2023, les exportations en valeur se sont contractées de 25% en g.a., grevées par la baisse des prix du pétrole et la contraction de la production nationale. Les importations, à l’inverse, ont augmenté de 19% en g.a., portées par la hausse des importations d’équipements de transport, des biens de capital et des biens industriels.
La chute de l’excédent courant au premier semestre 2023 a pesé sur la liquidité en dollars, alors que l’Angola doit faire face à des amortissements élevés de sa dette extérieure. En effet, après un moratoire de trois ans, le service de la dette due à la Chine a repris ; il représente en moyenne sur 2023-24 la moitié du service total de la dette extérieure du pays. En outre, le compte financier de l’Angola reste plombé par des sorties nettes d’investissements directs étrangers (IDE), tandis que les flux de portefeuille demeurent modestes et sont fortement corrélés aux développements du secteur pétrolier. Tous ces facteurs ont conduit à une forte dépréciation du kwanza (AOA), qui a perdu 55% de sa valeur contre le dollar US entre mai et juillet derniers.
Le kwanza s’est stabilisé depuis autour de AOA 825/USD, mais cette stabilisation découle principalement de dysfonctionnements sur le marché des changes liés à l’introduction de restrictions par la banque centrale (BNA).
En effet, une nouvelle directive en vigueur depuis août interdit aux compagnies pétrolières de vendre des devises uniquement aux banques commerciales avec lesquelles elles sont en relation. Il leur est demandé à la place de négocier avec l’ensemble des institutions bancaires. Cela a, de fait, paralysé le marché des changes et réduit l’accès au dollar. Depuis la mise en place de cette directive, les exportateurs pétroliers vendent leurs devises directement à la BNA, désormais l’unique fournisseur de dollars. Ces restrictions ne devraient être que temporaires. Mais de nouveaux changements dans les règles de fonctionnement du marché des changes pourraient exposer le kwanza à des ajustements soudains.
Le niveau des réserves de change de la BNA reste satisfaisant. Fin septembre, elles s’élevaient à USD 13,8 mds, soit 6,7 mois d’importations, contre USD 14,7 mds fin 2022. Toutefois, elles ont enregistré un déclin continu depuis 2014, et se situent actuellement à un niveau historiquement bas malgré la bonne conjoncture des deux dernières années. À court terme, la remontée du cours du brent (observée depuis juillet dernier), combinée à une production pétrolière en hausse, devrait soutenir les comptes extérieurs. Toutefois, la solvabilité extérieure restera fragile. Point positif : en cas de choc négatif sur les prix ou la production de pétrole et de forte dégradation des comptes extérieurs, l’Angola devrait être en mesure d’obtenir un nouveau programme de financement auprès du FMI, compte tenu des réformes récemment mises en place pour assainir ses finances publiques.
Retour au déficit budgétaire
Avec les trois quarts de sa dette libellée en devises, le gouvernement angolais est fortement exposé au risque de change. La dépréciation du kwanza au deuxième trimestre 2023, combinée à la baisse des revenus pétroliers, a eu de fortes répercussions sur les ratios de soutenabilité et de solvabilité de la dette publique. De 61% de PIB en mars 2023, elle a bondi à 91% de PIB en juin dernier, tandis que le service de la dette est passé de 99% des recettes du gouvernement à 144% sur la même période.
En conséquence, alors que le ministère des Finances prévoyait en février dernier un excédent budgétaire de 0,9% de PIB pour 2023, il estimait début août que le solde pourrait atteindre un déficit de USD 10 mds (10% de PIB) en l’absence de mesures correctives. Face à ce constat, le gouvernement a annoncé peu après la suspension de tous les projets d’investissement public dont le taux d’exécution était inférieur à 80%, et le gel des dépenses récurrentes non essentielles.
Grâce à ces mesures de dernier recours et à la reprise des cours du brent depuis juillet, le déficit budgétaire devrait finalement être contenu à 1,7% de PIB en 2023. Les finances publiques devraient s’améliorer en 2024, soutenues par le maintien des prix du pétrole élevés.
En outre, en juin dernier, le gouvernement s’est engagé dans la première étape d’une suppression graduelle des subventions sur le carburant, une mesure clé pour améliorer la gestion des finances publiques selon le FMI. En 2022, ces subventions avaient coûté l’équivalent de 2,7% de PIB, un montant qui avait fortement réduit l’impact positif des prix élevés du pétrole sur les recettes budgétaires. Le ministère des Finances entend supprimer graduellement les subventions sur le carburant au cours de l’année 2024 jusqu’à la libéralisation complète des prix en 2025.
Pour compenser l’effet de cette réforme sur les ménages les plus pauvres, les autorités prévoient de réduire le taux de TVA sur les produits alimentaires de 14% à 7% à partir de janvier 2024. Cependant, la capacité du gouvernement à mener la réforme des subventions jusqu’au bout est incertaine, alors que l’inflation est repartie à la hausse et que des épisodes de troubles à l’ordre public ont éclaté en juin dernier à l’annonce de cette décision.
Résilience du secteur non-pétrolier
En 2023, la croissance du secteur non-pétrolier devrait ralentir et atteindre 3,4%. Au premier semestre 2023, les secteurs ayant enregistré les taux de croissance les plus élevés sont les transports (+20,4% en g.a.), les services d’intermédiation financière (+14,8%) et les télécommunications (+3,8%). Le commerce, deuxième secteur de l’économie en termes de taille (20% du PIB), a enregistré une croissance plus modeste de 2,7% en g.a. L’industrie n’a crû que de 0,7% sur la même période, et reste un secteur sous-développé (8% du PIB).
La résilience de l’économie hors pétrole est mise à l’épreuve au deuxième semestre 2023. Elle doit notamment composer avec le retour des pressions inflationnistes depuis le mois de juin dernier.
Après avoir atteint 10,6% en avril, son plus bas niveau depuis sept ans, l’inflation est rapidement repartie à la hausse, tirée par la dépréciation du kwanza et la suppression partielle des subventions sur l’essence. Elle a atteint 13,5% en août et devrait se hisser autour de 19% fin 2023. Il n’est pas attendu qu’elle décélère en 2024. Face à la hausse de l’inflation, la banque centrale a dû interrompre son cycle d’assouplissement monétaire. Pour la troisième fois consécutive, elle a maintenu son taux directeur à 17% lors de son dernier comité de politique monétaire mi-septembre. Toutefois, la politique monétaire de la BNA ne devrait avoir qu’une portée limitée dans la jugulation de l’inflation.
Achevé de rédiger le 5 octobre 2023
Lucas Plé