La production pétrolière reste un facteur de volatilité de la croissance saoudienne comme en témoigne le repli attendu du PIB cette année. Néanmoins, l’économie hors pétrole bénéficie du dynamisme de l’investissement et de la consommation des ménages dans un contexte de transformation progressive de l’économie et du marché du travail. L’intervention de l’État et un effet de change favorable maintiennent l’inflation à un niveau modéré. Dans ce contexte économique favorable, le crédit bancaire au secteur privé est très dynamique, ce qui crée quelques tensions sur la liquidité bancaire. L’excédent budgétaire enregistré en 2022 ne devrait pas se reproduire cette année en raison du repli attendu des prix et de la production pétrolière. Cependant, les finances publiques suivent une trajectoire positive grâce à la progression des revenus hors pétrole.
L’investissement soutient la croissance hors pétrole
La croissance économique a été forte en 2022 (8,7%), soutenue principalement par le rebond de la production pétrolière.
Le PIB pétrolier a ainsi augmenté de 15% en termes réels, en raison de la hausse des quotas de production du cartel OPEP+ (OPEP et Russie) au début de l’année. Les secteurs non pétroliers ont, quant à eux, bénéficié d’une consommation des ménages soutenue, et, surtout, d’un très forte croissance de l’investissement (+24% en g.a., la plus forte progression depuis 22 ans). Celui-ci bénéficie des investissements en infrastructures et villes nouvelles massifs, initiés par le programme gouvernemental de réforme de l’économie Vision 2030.
Si l’importance du gouvernement central dans l’investissement s’est réduite, la part du secteur public reste prépondérante par l’intermédiaire du fonds public d’investissement (PIF) et du fonds de développement national (NDF). Cette impulsion publique est rendue nécessaire par la faiblesse des investissements directs étrangers (IDE). Sur les cinq dernières années (en excluant 2021 en raison d’une opération exceptionnelle), les IDE entrants ont été équivalents à 0,5% du PIB en moyenne, un niveau insuffisant pour véritablement participer à la transition économique du royaume.
Du point de vue sectoriel, l’activité manufacturière (12% du PIB total) est soutenue (+7,9% en g.a.) mais elle dépend en partie du raffinage pétrolier. Les services connaissent, pour leur part, une évolution contrastée, et d’une manière générale ils progressent moins qu’en 2021.
L’économie saoudienne est actuellement dans une situation de transition qui limite la croissance du PIB hors hydrocarbures. Ainsi, l’effet d’entraînement des dépenses publiques sur l’activité est relativement moindre qu’avant en raison d’une politique budgétaire plus prudente et moins liée aux variations des revenus pétroliers.
Par ailleurs, le programme massif d’investissements, qui vise à diversifier l’économie (dans les services, le secteur manufacturier ou encore les énergies décarbonées), est en cours de réalisation, et n’a pas encore de conséquences significatives sur la composition sectorielle du PIB.
Coup de frein en 2023
La croissance économique devrait ralentir en 2023 en raison des perspectives d’évolution du marché du pétrole. Les pays membres de l’OPEP+ adopte actuellement une politique de production prudente en raison des incertitudes qui pèsent sur la demande de pétrole à court terme. Si un consensus prévoit une hausse de la demande mondiale de pétrole en 2023, notamment en raison de la reprise de l’activité en Chine, les incertitudes concernant la demande européenne et américaine rendent le moment de cette reprise difficilement prévisible.
Dans ce contexte, les membres de l’OPEP+ ont décidé de réduire leur production de pétrole sur l’ensemble de l’année 2023. Étant donné son rôle moteur dans la politique de l’OPEP+, c’est l’Arabie Saoudite qui contribue le plus à cette révision des quotas, avec une baisse de production de 0,5 million de barils par jour (mb/j) pour atteindre le nouveau quota de 9,98 mb/j. On peut donc anticiper une baisse du PIB pétrolier saoudien cette année. Dans ce contexte, les secteurs non pétroliers seront les moteurs de la croissance. Ils devraient être portés par l’investissement et une consommation des ménages soutenue dans un contexte d’inflation modérée, mais sous la contrainte d’un durcissement des conditions monétaires. Au total, la croissance du PIB devrait atteindre 1% cette année.
À moyen terme, la croissance saoudienne devrait être soutenue et relativement moins volatile grâce à une déconnection progressive vis-à-vis de la conjoncture pétrolière. En témoigne la progression régulière de l’emploi des nationaux saoudiens indépendamment des évolutions du marché pétrolier. Le taux de participation des Saoudiens sur le marché du travail a progressé de 10 points au cours des cinq dernières années pour atteindre 52% fin 2022. Celui des femmes a plus que doublé durant cette période pour atteindre 36%.
L’inflation se stabilise à un niveau modéré
L’inflation des prix à la consommation a ralenti en 2022 (2,5% en moyenne par rapport à 3,1% en 2021), soit un niveau bien inférieur à la moyenne observée dans l’ensemble des pays émergents (9,2% en moyenne). Depuis mi-2022, la composante « logement » du panier d’inflation (21% du total) est le principal moteur de la hausse des prix. Le contrôle des prix de certains biens alimentaires et de ceux de l’énergie, ainsi que l’appréciation du dollar (auquel le rial est ancré) durant une partie de l’année 2022, ont contribué à modérer les pressions inflationnistes. En 2023, la composante « logement » devrait continuer d’augmenter, tandis que les prix alimentaires semblent avoir amorcé un repli depuis fin 2022. Nous prévoyons une stabilisation de l’inflation à 2,4% en moyenne.
Le crédit bancaire ralentit
L’ancrage officiel du rial au dollar américain implique que la Banque centrale saoudienne suive les décisions de politique monétaire de la Réserve fédérale américaine. Elle a donc augmenté son principal taux de 350 points de base (pb) en 2022 pour atteindre 4,5%. Ce durcissement monétaire devrait se poursuivre pendant la première partie de 2023, et contribuer au ralentissement de la croissance du crédit.
La croissance du crédit au secteur privé est forte depuis mi-2020, mais elle a commencé à ralentir depuis le T4 2022 (atteignant 11% en février 2023). Cette période de croissance soutenue a pu créer quelques tensions sur la liquidité domestique au cours de l’année 2022 en raison notamment de la baisse des dépôts de la part du gouvernement. Cela s’est traduit par un accroissement de l’écart entre le taux interbancaire et le corridor des taux de la Banque centrale. Les dépôts du gouvernement sont repartis en hausse depuis fin 2022 et atteignent actuellement 29% des dépôts totaux (après avoir atteint un point bas de 23% en T1 2022). Contrairement aux périodes précédentes, la forte hausse des revenus pétroliers de 2022 s’est traduite par le maintien d’un niveau élevé des prêts bancaires au secteur public (environ 22% des prêts bancaires totaux sur l’année) et par des périodes de baisse des dépôts du gouvernement.
Dans cet environnement caractérisé par le dynamisme du crédit au secteur privé et la croissance modérée des dépôts totaux, la liquidité bancaire se fait plus tendue et le ratio des crédits sur dépôts de l’ensemble du système bancaire a atteint 104% en février dernier (contre 86% fin 2019). Néanmoins, les indicateurs prudentiels de liquidité bancaire sont restés relativement stables. Ainsi, le pourcentage des actifs liquides en proportion des actifs totaux était de 23% fin 2022 contre 25% en 2021. À court terme, la politique d’investissement devrait rester un moteur important de la croissance du crédit. Néanmoins, la hausse des taux d’intérêt ainsi que le ralentissement du crédit à l’habitat pour les ménages devraient contribuer au ralentissement de la croissance du crédit.
Déficits budgétaires contenus à court terme
Le niveau élevé des revenus pétroliers en 2022 a permis au gouvernement d’enregistrer son premier excédent budgétaire (2,5% du PIB) depuis 2013. Les revenus pétroliers constituent la majeure partie des recettes budgétaires (62% du total en moyenne depuis 2018), mais les recettes issues de la TVA ont pris une part non négligeable dans le budget. Elles étaient équivalentes à 20% des recettes totales en 2022 contre moins de 5% en 2016. Cette diversification des recettes réduit la vulnérabilité budgétaire aux prix du pétrole. Concernant les dépenses, le gouvernement maintient une politique assez prudente puisque la conjoncture pétrolière favorable n’a pas entraîné de forte hausse des dépenses. Celles-ci équivalaient à 27% du PIB contre 32% l’année précédente. Les dépenses d’investissement ont augmenté de 22% mais restent à un niveau historiquement bas : 7,4% du PIB non pétrolier en moyenne depuis 2018, contre 13% en moyenne les cinq années précédentes. Depuis plusieurs années, une partie importante de l’investissement public est mise en œuvre par le PIF et le NDF qui disposent de ressources propres.
Même si le gouvernement continue de faire preuve de prudence dans les dépenses budgétaires et que la diversification des revenus progresse, les comptes publics devraient enregistrer un déficit en 2023 et 2024 (respectivement 1,8% et 2,4% du PIB) selon nos prévisions de prix et de production de pétrole. Dans ce contexte, la dette du gouvernement devrait repartir modérément à la hausse et atteindre 28% du PIB en 2024. La solvabilité du gouvernement reste malgré tout satisfaisante, puisque ses actifs auprès de la Banque centrale (a priori les plus liquides) sont équivalents à 18% du PIB et les actifs du PIF dépassent 50% du PIB. Par ailleurs, les primes de risque sur le marché obligataire international sont faibles (inférieures à 70 bp) depuis le début de l’année.
Pascal Devaux