La croissance devrait nettement ralentir en 2O23. La relative résistance de la consommation privée ne suffira pas à compenser le ralentissement de la demande extérieure, en particulier en provenance des États-Unis. En outre, les perspectives d’investissement restent limitées. À moyen terme, l’économie mexicaine pourrait bénéficier de la relocalisation des entreprises américaines, tendance récemment accélérée par les perturbations des chaînes de valeur liées à la pandémie et les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis. Pour en tirer pleinement parti, le Mexique devra restaurer la confiance des investisseurs et respecter les engagements pris en matière de politique énergétique.
Net ralentissement de la croissance
Le PIB réel a progressé de 3,1% en 2022 (après 4,9% en 2021), un taux de croissance plus élevé qu’attendu. Les exportations de biens manufacturés sont restées dynamiques en dépit d’un environnement externe défavorable, et la consommation privée a poursuivi son rebond, soutenue par l’amélioration du marché de l’emploi et les transferts des travailleurs expatriés.
Enfin, l’investissement total a légèrement dépassé, au dernier trimestre 2022, le niveau atteint au dernier trimestre 2019, avant la pandémie. La progression significative de l’investissement public tient à la volonté du gouvernement d’achever plusieurs de ses projets phares avant la fin de son mandat (fin 2024), tels que la raffinerie Dos Bocas et le train Maya. Cela dit, exprimé en pourcentage du PIB, l’investissement total reste à peine supérieur à 19%.
Bien que les données disponibles (indice mensuel d’activité, exportations, indice PMI) pour les mois de janvier et février restent bien orientées, nous attendons un net ralentissement de la croissance en 2023, à 1,0%. Le ralentissement de l’économie américaine devrait significativement pénaliser le secteur exportateur mexicain et entraîner une baisse des transferts des travailleurs expatriés et des recettes de tourisme. Les exportations nettes devraient contribuer négativement à la croissance au premier semestre, ce qui entraînera un élargissement du déficit courant. Dans le même temps, la persistance de l’inflation et la politique monétaire toujours restrictive devraient freiner le rebond de la consommation privée et pénaliser l’investissement.
Persistance de l’inflation
L’inflation a progressé continument entre mi-2021 et mi-2022, atteignant 8,7% en g.a. aux mois d’août et septembre derniers. L’inflation totale et l’inflation sous jacente ont diminué au cours des derniers mois (respectivement à 7,6% et 8,3% en g.a. en février), mais restent élevées. La décélération devrait se poursuivre au cours des mois à venir. Cependant, l’inflation devrait rester supérieure à la cible d’inflation de la Banque centrale (entre 2% et 4%) tout au long de l’année 2023. En outre, d’après une enquête réalisée par la Banque centrale, les anticipations d’inflation restent élevées.
Au cours de sa réunion de politique monétaire du 30 mars dernier, la Banque centrale a augmenté son principal taux directeur pour la quinzième fois consécutive depuis que le cycle de resserrement a débuté, en Juin 2021, portant celui-ci à 11,25% (soit un total de 725 points de base). D’après le communiqué de presse, les prévisions d’inflation n’ont été modifiées que marginalement pour 2023 (la moyenne annuelle devrait être légèrement inférieure à 6% en 2023, alors qu’elle était à peine supérieure à 6% en septembre dernier). Les prévisions pour 2024 et le moyen terme n’ont en revanche pas été modifiées, et le communiqué insiste sur le fait que les conditions sont à présent réunies pour que le taux d’inflation converge vers la cible (3%) d’ici à la fin de l’année 2024. À l’inverse des précédentes réunions, il n’est plus fait mention de futures hausses de taux, laissant supposer que le cycle de resserrement est, au moins pour le moment, mis en pause.
Année électrique sur le plan politique
Le climat politique pourrait rester tendu jusqu’aux prochaines élections, en juillet 2024. En février dernier, le Congrès a adopté une réforme de l’instance chargée de l’organisation des élections (INE). La réforme, souhaitée par le président Andres Manuel Lopes Obrador (AMLO), qui jugeait l’INE « partisan », comprend une réduction drastique de son budget, impliquant une réduction du personnel et la fermeture de nombreux bureaux de vote.
L’adoption de cette réforme a occasionné plusieurs manifestations populaires de grande ampleur, les opposants dénonçant un risque de manipulation des élections par le Pouvoir. La réforme a été suspendue par la Cour suprême le 18 mars dernier, mais le gouvernement a annoncé qu’il allait déposer un recours.
Bien que le président AMLO soit encore très apprécié de la population, cinq ans après son arrivée au pouvoir, la force de l’opposition à cette réforme a bousculé sa popularité. Cependant, le parti présidentiel, Morena, reste pour le moment favori pour les prochaines élections législatives et présidentielles de 2024 (constitutionnellement, le président AMLO n’est pas autorisé à se présenter pour un deuxième mandat consécutif). Au cours des mois à venir, l’attention se portera sur le candidat choisi par le parti Morena, et la force relative des partis d’opposition.
Les deux principaux candidats en lice pour être les représentants du parti Morena sont actuellement Claudia Sheinbaum (à la tête de Mexico City, favorite du président AMLO, qui porte un projet politique plus radical encore que l’actuel gouvernement), et le ministre des Affaires Étrangères Marcelo Ebrard, dont l’ambition est de mener une politique plus au centre, s’appuyant sur la classe moyenne du pays. Le candidat du parti devrait être désigné grâce à des sondages d’opinion, ce qui pourrait occasionner des tensions au sein du parti.
Dans ce contexte, les élections locales des gouverneurs des États de Mexico et de Coahuila prévues au mois de juin prochains sont très attendues. Bien que les résultats ne devraient pas influer significativement sur la politique nationale, ils donneront une indication sur l’orientation du climat politique pour l’année à venir, et surtout permettront d’évaluer le poids des partis d’opposition face au parti présidentiel.
Opportunité à saisir
À moyen terme, les perspectives de croissance restent mitigées. Bien que l’économie ait retrouvé son niveau d’avant la pandémie, l’écart à la trajectoire de 2015-2019 est plus important pour le Mexique que pour ses pairs. Le choix du gouvernement de conduire une politique d’austérité dès son arrivée en 2018 (y compris en 2020-2021) a certes permis de contenir le déficit public au cours du mandat, et limiter l’augmentation de la dette publique. Mais la baisse de la productivité induite par la baisse de l’investissement public (notamment en infrastructures), le manque de soutien à l’économie en 2020-2021 et la détérioration du climat des affaires et la confiance des investisseurs depuis l’élection d’AMLO ont contribué à réduire la croissance potentielle (estimée à 2%, alors qu’elle était proche de 2,5% avant la crise.
En conséquence, l’économie mexicaine pourrait ne pas être en capacité de tirer pleinement parti des opportunités créées par les perturbations et pénuries qui ont accéléré la volonté de nombreux pays à réorganiser leurs chaines de valeur. Ce phénomène a été accentué aux États-Unis par les tensions commerciales avec la Chine, et le Mexique est un candidat naturel pour la re- localisation des entreprises américaines, c’est-à-dire le transfert des chaînes d’approvisionnement plus près du pays cible (nearshoring).
Au- delà de la situation géographique, plusieurs éléments apparaissent très favorables au Mexique : appartenance des deux pays à l’UMSCA, l’accord de libre échange entre le Mexique, les États-Unis et le Canada, en vigueur depuis le 1er juillet 2020, la forte intégration des deux économies, la compétitivité des salaires mexicains.
Pour le moment cependant, le nearshoring vers le Mexique s’observe peu dans les données. Il pourrait être freiné voire entravé par la politique énergétique mexicaine, qui continue à valoriser et financer largement l'entreprise nationale pétrolière PEMEX. Dans le même temps, les États-Unis et le Canada se sont engagés dans des politiques de transition énergétiques ambitieuses pour diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
Quelques signes positifs sont toutefois à signaler : au cours du Sommet des leaders américains, en janvier dernier, le Mexique s’est engagé avec ses deux partenaires à réduire les émissions de méthane et développer un marché nord-américain de l’hydrogène vert, notamment. Les trois pays ont également réaffirmé leur volonté de renforcer les chaînes de valeur (particulièrement dans l’industrie automobile, y compris la production de véhicules dits «propres»). Par ailleurs, PEMEX a annoncé mi-mars qu’elle comptait améliorer sa politique ESG, à partir du deuxième semestre 2023. Dans ce cadre, la politique énergétique du prochain gouvernement et les décisions prises concernant la réforme en cours du secteur (le gouvernement actuel souhaite limiter au maximum la participation des investisseurs privés, domestiques et étrangers, au secteur de l’énergie) sera déterminante.
Hélène Drouot