Le scénario d’un ralentissement de la croissance du PIB dans les économies émergentes en 2023 repose sur deux hypothèses : le ralentissement du commerce mondial et l’impact récessif du diptyque inflation/resserrements monétaires. La première hypothèse n’en est plus une : les exportations se sont bel et bien contractées au cours des derniers mois pour les pays avancés comme pour les pays émergents. Les causes sont pour partie circonstancielles et on peut espérer que le coup de froid sur le commerce mondial ne soit que conjoncturel. Mais il est possible que le découplage États-Unis/Chine en matière de politique commerciale et technologique y contribue.
Pour la très grande majorité des pays avancés comme émergents, le scénario d’un ralentissement de la croissance pour 2023 repose sur deux hypothèses : le ralentissement du commerce mondial et l’impact récessif du diptyque inflation/resserrements monétaires. Ce dernier reste à venir car, d’une part, l’épargne accumulée durant la pandémie de Covid-19 et les mesures de soutien aux revenus des ménages ont permis à la consommation de résister à l’érosion inflationniste, d’autre part l’effet de la hausse des taux d’intérêt sur le crédit est encore peu visible.
En revanche, les exportations ont déjà bel et bien commencé à diminuer. D’après les estimations du Centraal Planbureau hollandais, si on compare la moyenne novembre 2022-janvier 2023 et celle des trois mois précédents, on observe une contraction en volume de 10,5% en rythme annualisé (-7,4% pour les économies avancées et -16% pour les économies émergentes), alors qu’elles progressaient encore de 3% par an mi-2022 (respectivement 2% et 5,2%). Les enquêtes Markit, réalisées durant les premiers mois de 2023 auprès des entreprises, confirment ce recul, les indices de diffusion relatifs à l’évolution des carnets de commandes à l’exportation étant en moyenne sensiblement inférieurs à 50, valeur-frontière entre la zone de contraction et celle d’expansion. S’agissant des pays émergents, la baisse de ces indices depuis la mi-2022 est plus marquée pour les pays non exportateurs de matières premières que pour les autres.
Le repli des exportations est particulièrement marqué pour les pays d’Asie hors Chine (-19%) et s’explique a priori par les évolutions très erratiques de l’activité chinoise depuis le dernier trimestre 2022 et par le retournement du cycle électronique mondial. Mais les raisons sont peut-être aussi structurelles et traduisent l’impact du découplage États-Unis/Chine en matière de politique commerciale et technologique.
Depuis le début des hostilités commerciales entre les deux pays en 2017, les échanges extérieurs ont connu une vraie rupture, d’après le Petersen Institute for International Economics[1]. L’étude du PIIE porte sur les exportations de biens et services américaines à destination de la Chine. À première vue, les exportations totales atteignaient en 2022 le même niveau qu’en 2016. Les raisons sont très circonstancielles : d’une part, la Covid-19 a entraîné une forte hausse des exportations de composants électroniques et de matériel médical ; d’autre part, la hausse des prix des matières premières en 2020 et 2021 a gonflé la valeur des exportations de charbon et d’hydrocarbures américains. Par ailleurs, la trêve conclue en 2020 entre les deux pays s’est traduite par une forte augmentation des exportations de produits agricoles, même si les engagements d’achats de la Chine n’ont pas été complétement tenus. Pour les autres produits manufacturés, et notamment le matériel de transport terrestre ou aérien, l’effet du découplage est très marqué ; les exportations d’avions et de motorisation ont été divisées par trois entre 2017 et 2022 et les exportations d’automobiles, de camions et de pièces détachées par 2,5. En 2022, la baisse des exportations de composants électroniques et de matériel médical a été deux fois plus sévère que celles de l’ensemble des importations chinoises. Enfin, les exportations de services ont diminué d’environ 30% entre 2017 et 2022.
Les conséquences du découplage structurel entre les États-Unis et la Chine pour les pays émergents sont multiples, avec des effets potentiellement opposés en matière d’’évolution les échanges extérieurs de marchandises et de services[2].
Plus précisément, la rupture partielle des échanges entre les deux puissances, qu’elle résulte de l’augmentation des barrières tarifaires ou des interdictions et restrictions aux échanges, a évidemment un effet négatif sur le commerce extérieur des pays tiers par le jeu du multiplicateur du commerce international. La rupture a également des conséquences liées à la participation des pays tiers aux chaînes de valeur. D’après le FMI, les conséquences sont cependant très différentes selon le statut du pays. Si le pays peut se substituer aux États-Unis ou la Chine comme fournisseur dans les nouvelles chaînes de valeur, il sera gagnant. Au contraire, s'il n’est qu’un simple maillon des chaînes existantes, sans capacité de renforcer sa position parmi les fournisseurs, il subira, au mieux, les répercussions de la hausse des tarifs extérieurs, au pire, il sera évincé des nouvelles chaînes de valeur.
On pourrait penser que les pays les plus industrialisés, disposant d’un appareil productif diversifié et proche géographiquement de la Chine ou des États-Unis, seront parmi les gagnants. Or, l’étude du FMI indique qu’entre 2018 et 2022, la part du Japon et de la Corée du Sud dans les importations chinoises a diminué alors que celles de l’Inde, de la Malaisie et du Vietnam ont augmenté. Au sein des pays asiatiques, il n’y a que Taiwan qui valide ce présupposé. Vis-à-vis des États-Unis, le Mexique pourrait a priori tirer son épingle du jeu. Or, entre 2018 et 2012, la part des exportations de produits manufacturés mexicains dans le total des importations américaines (hors pétrole) n’a que modérément augmenté (de 14,8% à 15,6%).
On peut se rassurer en se disant que la contraction générale des exportations au cours des derniers mois est principalement due à des causes conjoncturelles. Néanmoins, jusqu’à présent et même si le sujet nécessite d’être approfondi, l’impact du découplage entre les États-Unis et la Chine n’est pas de nature à arranger les choses.
François Faure