La croissance économique a ralenti en 2022 mais elle reste solide. Les perspectives pour l’année 2023/2024 sont favorables même si la croissance devrait décélérer d’environ 1 point de pourcentage. À court terme, les principaux risques sur l’activité sont liés à la hausse des prix qui pourrait contraindre la banque centrale à durcir davantage sa politique monétaire. La survenue du phénomène météorologique El Niño pourrait également constituer un facteur négatif. En dépit du ralentissement de la croissance et de la hausse des taux d’intérêt (48% des crédits sont à taux variables), les banques et les entreprises restent bien plus solides qu’à la fin de l’année 2019. Dans ses derniers stress tests, la banque centrale a réaffirmé qu’en dépit de la dégradation de l’environnement économique et financier, les banques publiques n’auraient pas besoin d’injection de capital pour respecter les exigences en fonds propres.
Risques sur la croissance en hausse
Sur l’ensemble de l’année calendaire 2022, la croissance économique a ralenti à 6,7% contre 8,9% en 2021. La demande intérieure est restée solide, bien qu’elle ait décéléré. En revanche, la contribution des exportations nettes a été négative. Sur la période janvier-mars 2023, le PIB réel devrait progresser d’environ 5% en glissement annuel (g.a.), et de 7% sur l’ensemble de l’année budgétaire 2022/2023 (achevée au 31 mars 2023).
Sur l’année 2023/2024, la croissance devrait ralentir à 6%. Toutes les composantes de la demande devraient décélérer en raison de la hausse des taux d’intérêt, des effets rémanents de l’inflation sur le pouvoir d’achat des ménages et du ralentissement mondial. À court terme, les principaux risques sont liés à une hausse plus forte qu’attendu des prix (induite notamment par des prix du pétrole plus élevés). Par ailleurs, les prévisions météorologiques pointent du doigt le risque accru que constitue le phénomène El Niño lors de la mousson, avec un impact négatif sur la production agricole et les pressions inflationnistes.
Les prix ont augmenté de 6,7% sur l’ensemble de l’année 2022 contre 5,1% en 2021. Hors énergie et alimentaire, la hausse des prix a atteint 6,1%. Bien qu’ayant ralenti en fin d’année, l’inflation a rebondi sur les premiers mois de l’année 2023 pour atteindre 6,4% en g.a en février. Dans ce contexte inflationniste et de tensions sur la roupie, la banque centrale indienne (Reserve Bank of India, RBI) a réhaussé ses taux directeurs de 250 points de base (pb) entre avril 2022 et avril 2023. La transmission de la politique monétaire au reste de l’économie a, jusqu’à présent, été partielle. Les taux moyens des nouveaux crédits bancaires n’ont augmenté que de 100 pb.
Le secteur bancaire soutiendra l’activité économique
Le secteur bancaire est aujourd’hui beaucoup plus solide qu’il ne l’était à la veille de l’épidémie de COVID-19 mais aussi en comparaison avec la situation qui prévalait il y a cinq ans. Une hausse des risques de crédit pourrait survenir dans les prochains trimestres en raison de la levée, en mars 2023, des dernières garanties apportées aux micros, petites et moyennes entreprises, de la décélération de l’activité économique et de l’augmentation des taux d’intérêt (48% des crédits sont à taux variables). De plus, en dépit du durcissement monétaire, les banques et les sociétés financières non bancaires n’ont pas réduit leur offre de crédit qui a augmenté de 12,6% sur l’année 2022 (contre 6,6% en 2021). Selon les agences de notation, les PME seraient les plus vulnérables à la hausse des taux d’intérêt. Pour autant, une hausse du ratio de créances douteuses n’est pas l’hypothèse privilégiée par la RBI. De plus, dans le cas où cela se produirait, elle resterait modeste et les banques indiennes seraient en mesure d’y faire face, sans injection de capital de la part du gouvernement.
Le dernier rapport sur la stabilité financière a confirmé la poursuite de la consolidation bancaire entre mars et septembre 2022. La qualité des actifs s’est améliorée, la profitabilité a augmenté et les ratios de liquidité et de solvabilité sont restés supérieurs aux normes règlementaires bien qu’ils aient diminué conjointement à la forte hausse des crédits. Rapporté au PIB, le montant de l’encours du crédit bancaire (hors crédit aux sociétés financières et au gouvernement) a cependant diminué de 0,3 pp sur les douze derniers mois pour s’établir à 50,2% du PIB fin 2022.
En septembre 2022, le ratio des créances douteuses s’élevait à 5%, soit une baisse de 1,9 pp par rapport à la même période un an plus tôt. En outre, même si les banques publiques restaient plus fragiles que les banques privées, leurs ratios de créances douteuses s’étaient eux aussi sensiblement améliorés. Fin septembre, ces dernières ne constituaient plus que 6,5% de leurs créances totales (contre 8,8% en septembre 2021). La baisse a été particulièrement marquée dans l’industrie, notamment dans le secteur des métaux où le ratio ne s’élevait plus qu’à 6,5% en septembre 2022 (contre 44,5% cinq ans plus tôt). Le secteur de la construction reste le secteur le plus fragile. Le ratio de créances douteuses s’élevait encore à 18,3% en septembre 2022. Les risques pour le secteur bancaire restent néanmoins maîtrisés car les prêts au secteur de la construction ne constituent que 3,4% des crédits octroyés par le secteur bancaire dans son ensemble.
Les micros, petites et moyennes entreprises restent les agents les plus fragiles. Le ratio de créances douteuses, bien qu’en baisse au cours des douze derniers mois, s’élevait encore à 7,7% en septembre 2022. À cette date, 5,2% des crédits étaient encore restructurés dans le cadre du programme mis en place lors de l’épidémie de la COVID-19.
Par ailleurs, même si dans l’ensemble du secteur bancaire, les provisions restent insuffisantes, elles couvraient 71,5% des actifs risqués en septembre 2022 contre 68,1% un an plus tôt.
Conjointement à la hausse des crédits bancaires, la liquidité dans le secteur bancaire a diminué au cours des douze derniers mois, mais elle reste confortable. Le ratio de liquidité (liquidity coverage ratio) s’élevait à 135,6% en septembre 2022 (141,2% pour les banques publiques).
Les ratios de solvabilité sont en recul de 0,7 pp par rapport au mois de mars 2022. Ils restent toutefois suffisamment confortables à 16% dans l’ensemble du secteur bancaire. Cette détérioration, qui s’explique par la très forte accélération du crédit bancaire, s’observe pour toutes Les banques publiques, privées ou étrangères. Cependant, elle a été beaucoup plus marquée pour les banques étrangères. Le ratio de solvabilité des banques publiques (14,5%) restait néanmoins légèrement supérieur au niveau enregistré en septembre 2021 et dépassaient de beaucoup les contraintes règlementaires.
Finalement, les profits des banques se sont consolidés grâce à la légère hausse de leur marge d’intérêt (+20 pb entre septembre 2021 et septembre 2022). Le rendement par actif (return on assets) et la rentabilité des capitaux propres (Return on Equity) s’élevaient à 1% et 11,2% respectivement en septembre 2022.
À court terme, hormis une dégradation de l’environnement macroéconomique (inflation, croissance) plus forte qu’anticipé, deux risques pèsent sur le secteur bancaire : i) une détérioration de la situation financière des micros, petites et moyennes entreprises du fait de la hausse des taux d’intérêt, ii) une baisse de la valorisation du portefeuille d’actifs des banques en raison du durcissement monétaire, même si les rendements des obligations du gouvernement sont restés relativement stables depuis le début de l’année 2023 après avoir augmenté de plus de 80 pb en 2022. Fin septembre 2022, les titres du gouvernement constituaient 51% des actifs totaux des banques.
Les sociétés financières non bancaires restent fragiles
Les sociétés financières non bancaires au sens large (qui incluent les sociétés de prêts hypothécaires) restent une source importante de financement pour l’économie indienne. Au cours de l’année budgétaire 2021/2022, elles ont octroyé 12,4% des crédits totaux. Elles restent néanmoins structurellement plus fragiles que les banques car, d’une part, elles se financent entièrement par l’emprunt (contrairement aux banques qui ont une base de dépôts) et, d’autre part, elles financent les agents les plus vulnérables face à un ralentissement de l’activité économique. Hormis les crédits aux petites entreprises du secteur de l’industrie (37,5% des crédits totaux), ce sont les individus qui bénéficient le plus des crédits octroyés par les sociétés financières non bancaires (29,5% des crédits totaux). Bien que leur situation se soit globalement consolidée, en particulier depuis la faillite en 2019 d’IL&FS, certaines sociétés financières non bancaires restent fragiles, comme en témoignent les derniers résultats des stress tests de la RBI.
Au cours des douze derniers mois, la qualité de leurs actifs s’est globalement améliorée. Le ratio de créances douteuses a enregistré une baisse de 1,4 pp pour s’établir à 5,1% en septembre 2022. Dans le même temps, bien qu’en baisse, leur ratio de solvabilité a atteint en moyenne 27,4% alors que leur rendement par actif s’est élevé à 2,5%. Cependant, d’après les derniers stress tests de la RBI, neuf d’entre elles (4,7% des crédits octroyés) sur cent cinquante deux sociétés analysées verraient leur ratio de solvabilité baisser sous le seuil réglementaire de 15% au cours de l’année 2023, et treize seraient concernées dans le cas d’un choc sévère (récession, inflation supérieure à 10%). Celui-ci génèrerait une hausse des créances douteuses de 1,8 pp à 6,9% et réduirait le ratio de solvabilité moyen des sociétés financières non bancaires dans leur ensemble à 22,6%.
La situation financière des ménages et des entreprises toujours plus solide qu’avant la crise
La dette du secteur privé (hors sociétés financières) a atteint 87,7% du PIB au T3 2022. Bien que toujours supérieure à son niveau d’avant-crise, la dette des ménages a sensiblement diminué au cours des douze derniers mois. Elle a atteint 35,5% du PIB en septembre 2022 contre un point haut de 40,7% du PIB en mars 2021, selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI). L’essentiel de l’endettement des ménages est constitué de crédits bancaires (79,6% du total) et, dans une moindre mesure, de crédits contractés auprès d’entreprises financières non bancaires et de sociétés spécialisées dans l’octroi de crédit au logement, les housing finance companies (respectivement 9,4% et 9,7% de leur dette totale).
La dette des entreprises non financières reste modeste. Elle a atteint, selon la BRI, 52,2% du PIB au T3 2022, soit 2,3 points de moins que le niveau qui prévalait à la fin 2019. La situation financière des entreprises reste beaucoup plus confortable qu’elle ne l’était à la veille de l’épidémie de COVID-19. Pour autant, elle s’est dégradée depuis le troisième trimestre 2022 avec la décélération des ventes et la hausse de la charge d’intérêt sur la dette (+18,5% en g.a. au T4 2022) qui ont entraîné une baisse des profits (-15,3% en g.a. au T4 2022). Au T4 2022, les profits avant impôts couvraient ainsi 4,6 fois leurs charges d’intérêts.
Johanna Melka