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Corée : des risques de crédit potentiels mais limités

13/04/2023
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La croissance coréenne a marqué le pas au dernier trimestre 2022. Le ralentissement devrait se poursuivre en 2023. Les exportations souffriront du ralentissement de la demande mondiale, tandis que la demande interne sera pénalisée par la hausse des taux d’intérêt et la persistance de l’inflation. Les risques d’instabilité financière restent limités, mais ont augmenté au cours des derniers mois. La dette des ménages est élevée, à près de 110% du PIB, et les ménages sont largement exposés à une hausse des taux d’intérêt. 76% des prêts aux ménages étant toujours contractés à taux variable. Les risques de crédit potentiels seraient toutefois limités aux ménages les plus vulnérables.

Ralentissement des exportations

La croissance du PIB a ralenti en 2022 (à 2,6%, après une croissance de 4,1% en 2021). Après avoir relativement bien résisté au cours des trois premiers trimestres, en dépit de conditions financières plus strictes, des taux d’intérêt élevés et du ralentissement de la demande mondiale, les exportations et la consommation (publique et privée) ont marqué le pas au T4. Le PIB a progressé de 1,4% en g.a., après 3% en moyenne au cours des trois trimestres précédents.

PRÉVISIONS

Le ralentissement devrait être plus marqué dans les mois à venir. Les exportations à destination de la Chine ne suffiront pas à compenser la faiblesse de la demande en provenance d’Europe et des États-Unis. Au T1 2023, les exportations étaient ainsi en repli de 12,5% en g.a.

Par ailleurs, le retournement rapide du cycle des semi-conducteurs devrait également pénaliser l’investissement privé, au moins au cours des deux prochains trimestres. Alors que l’indice de la production industrielle totale progressait de 2% en g.a. en février dernier, l’indice de production des semi-conducteurs baissait de près de 40%.

Le taux d’inflation et les taux d’intérêt élevés pèseront sur les dépenses de consommation et les dépenses d’investissement. D’après les données de la Banque centrale de Corée, la hausse des taux d’intérêt pourrait pénaliser particulièrement les petites entreprises qui disposent de moins de ressources pour absorber la hausse du service de leur dette, les entreprises du secteur de la construction, ainsi que les ménages endettés.

CORÉE DU SUD : INDICES DE PRODUCTION INDUSTRIELLE

Enfin, le soutien budgétaire devrait être nettement moins marqué qu’au cours trois dernières années. Le président Yoon (élu en mai 2022) semble moins enclin à soutenir l’économie que son prédécesseur, et souhaite respecter son engagement de consolider les finances publiques via une réduction des dépenses. En février dernier, le ministre des Finances s’est opposé à la mise en place de mesures de soutien, souhaitée par de nombreux députés, qui visaient à aider les ménages et les entreprises les plus vulnérables à l’inflation.

Cela étant, le gouvernement a annoncé, lors de la présentation du budget 2023, qu’il continuerait de soutenir l’économie, en donnant la priorité aux secteurs stratégiques pour l’industrie coréenne, tels que le secteur des semi-conducteurs et les énergies nouvelles (avec pour objectif de réduire significativement la dépendance aux énergies fossiles).

Nous attendons cependant un rebond de l’investissement et des exportations à la fin de l’année 2023, en partie grâce à celui du secteur des nouvelles technologies. Au total, le PIB coréen devrait ainsi progresser de 1,4% en 2023. À moyen terme, l’industrie coréenne pourrait bénéficier du mouvement mondial de transition vers les véhicules électriques, et donc d’un besoin croissant de batteries haut de gamme..

La politique monétaire en pause

Tout au long de 2022, la Banque centrale de Corée a poursuivi le cycle de resserrement monétaire initié en août 2021. Le principal taux directeur a été relevé sept fois en 2022, et une fois en janvier 2023, le portant à 3,5% (alors qu’il se situait à 0,5% depuis mai 2020, un plus bas historique). Le taux directeur est resté inchangé après la réunion de février dernier, et il devrait se maintenir à ce niveau durant plusieurs mois. L’inflation devrait en effet progressivement décélérer au cours des prochains mois, grâce à la baisse du prix du pétrole et au ralentissement de la demande intérieure. La convergence vers la cible de la Banque centrale (2%) devrait toutefois être progressive : la transmission de la baisse des prix des matières premières agricoles est relativement lente, et les anticipations d’inflation restent élevées.

Par ailleurs, la Banque centrale est réticente à augmenter trop agressivement ses taux d’intérêt. Compte tenu du lien étroit entre la dette des ménages et le secteur immobilier, la hausse des taux d’intérêt et la fluctuation des prix des actifs présentent des risques pour la solvabilité des ménages, les plus vulnérables.

Principale faiblesse structurelle de l’économie coréenne, la dette des ménages a fortement augmenté au cours des dernières années, jusqu’à atteindre 107% du PIB à la fin de 2022. 76% des prêts aux ménages sont contractés à taux variable (50% pour les nouveaux prêts en janvier 2023). D’après les estimations de la Banque centrale, les intérêts de la dette des ménages pourraient atteindre environ 9% de leur revenu disponible en 2023 (contre près de 5,5% en moyenne en 2010-2019).

Outre l’impact sur la consommation privée, la Banque centrale entend également limiter une correction excessive du marché immobilier. En effet, la montée des taux d’intérêt et une baisse de la confiance des consommateurs ont entraîné un retournement du marché immobilier après plusieurs années consécutives de hausse,. Les ventes de logement ont reculé de plus de 50% en 2022 après déjà -21% en 2021, et l'indice du prix des maisons a déjà diminué de près de 6% entre le pic de juin 2022 et janvier 2023. L’indice reste toutefois à un niveau supérieur à celui atteint avant la pandémie de Covid-19, alors que les stocks de logements invendus ont augmenté de façon continue au cours du deuxième semestre 2022. À court terme, la correction des prix pourrait se poursuivre.

Les risques de crédit restent limités

Les risques de crédit restent néanmoins limités. Concernant les ménages les plus vulnérables, les risques ont augmenté mais, dans l’ensemble, le montant des actifs financiers des ménages est encore deux fois supérieur au montant de leur dette. En octobre dernier, en réaction à la baisse des prix de l’immobilier, le gouvernement avait annoncé un léger relâchement de la réglementation concernant le levier d’endettement rapportant le montant emprunté sur la valeur de l’actif immobilier financé (loan to value, LTV). Dans quelques régions, le ratio LTV a été porté à 50% (il est d’ordinaire compris entre 20% et 50%). L’autorisation a été également donnée à des primo-accédants (ou des propriétaires d’un seul bien immobilier, qui sera vendu lors de la transaction) d’emprunter avec un ratio LTV supérieur à 50% (contre 0% jusqu’ici), si le prix du bien immobilier est supérieur à KRW 1,5 milliard (USD 1,2 million).

CORÉE DU SUD : DETTE DES MÉNAGES

Cela étant, cette mesure ne concerne qu’un très faible nombre de ménages, et la règlementation reste globalement très stricte, maintenant notamment le ratio LTV à 0% pour les multi-propriétaires (afin de limiter la spéculation). De plus, les politiques macro-prudentielles rigoureuses mises en œuvre par les gouvernements successifs ces dernières années ont permis d’améliorer la structure de la dette des ménages et d’augmenter la part des emprunteurs possédant un score de solvabilité élevé[1]. Au T4 2022, les emprunteurs avec un score élevé représentaient près de 78% du total des emprunteurs.

Par ailleurs la réglementation concernant la capacité des emprunteurs à rembourser leur dette (debt service ratio, DSR), mise en place en 2018, a été renforcée en juillet 2022. Elle inclut désormais les emprunts contractés auprès de toutes les institutions financières (y compris les institutions non bancaires). De plus,le DSR autorisé a été plafonné à 50% (contre 40%), et il s’applique à chaque emprunteur. En outre, une grande partie des prêts hypothécaires et des prêts liés au jeonse (type de bail particulier courant sur le marché sud-coréen dans lequel le locataire verse au propriétaire une somme très importante dont le placement rémunère le propriétaire) sont garantis par des institutions gouvernementales.

Achevé de rédiger le 4 avril 2023

Hélène Drouot


[1]Le score de crédit a été mis en place par la Banque centrale en 2021 ; il est établi en prenant en compte un large nombre de critères, et dépasse ainsi le seul revenu des emprunteurs.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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