Eco Emerging

Coup dur

14/07/2019

La croissance chinoise continue de ralentir. Après quatre trimestres de décélération, la progression du PIB réel s’est stabilisée à 6,4% en glissement annuel (g.a.) au T1 2019, mais s’est de nouveau inscrite en baisse au deuxième trimestre. Les difficultés du secteur exportateur sont le premier facteur de ralentissement de l’activité, auquel s’ajoute la performance très terne de la demande interne.

Secteur exportateur sous le choc

Prévisions

La hausse des droits de douane américains sur les achats de biens chinois constitue un sérieux coup dur pour les entreprises exportatrices, d’autant plus qu’elles ont été introduites dans un contexte mondial déjà marqué par le ralentissement des échanges commerciaux. En plus des conséquences directes sur les livraisons de marchandises de la Chine vers les Etats-Unis, les tensions entre les deux pays et la montée du protectionnisme ont commencé à peser indirectement sur la demande mondiale via des effets sur la confiance des entreprises et l’investissement. Les effets en cascade des hausses des droits de douane à travers les chaînes de valeur en Asie sont également rapidement apparus.

Les exportations de marchandises se réduisent

L’évolution des exportations chinoises est passée de +14% en g.a. au S1 2018 à +8% au S2, puis est devenue légèrement négative sur les cinq premiers mois de 2019. Elle est tirée à la baisse par la contraction des exportations vers les Etats-Unis : à USD 480 mds en 2018 selon l’Administration générale chinoise des douanes (19% des exportations de la Chine), elles ont chuté de 9% sur les cinq premiers mois de 2019 (graphique 2). Les importations américaines des biens chinois ayant subi une hausse des droits de douane de 25% dès juillet-août 2018 (environ USD 50 mds) se sont rapidement contractées. Leur baisse atteignait environ 30% en g.a. sur les quatre premiers mois de 2019. Les USD 200 mds d’importations des biens ayant subi une hausse de 10% en septembre 2018, passée à 25% en mai 2019, ont également rapidement chuté (après une période de rebond au T3 2018 en anticipation des mesures tarifaires). Leur baisse dépassait déjà 20% en g.a. sur les quatre premiers mois de l’année, et elle s’est très certainement aggravée en mai-juin.

Les exportations de la Chine vers la région Asie (48% de ses exportations) sont également en baisse depuis décembre (-2% en g.a.), signe d’une transmission rapide des mesures protectionnistes américaines sur les autres partenaires commerciaux insérés dans les chaînes de valeur régionales. Les exportations vers l’Europe (19% des exportations totales) continuent d’augmenter, mais ont néanmoins perdu en vigueur depuis six mois, progressant de 7% en g.a. en moyenne contre 11% au cours des six mois précédents.

Ralentissement marqué de la consommation privée

La consommation privée marque le pas. La progression des ventes au détail a atteint un nouveau point bas en avril-mai 2019, de 7,9% en g.a. en valeur (contre 9% en moyenne en 2018) et 5,8% en volume (contre 7% en 2018). Alors que la contraction des achats d’automobiles (-3% en 2018 et -13% en g.a. en janvier-mai 2019) a lourdement pesé sur la performance globale (elles représentent environ 10% de la valeur totale des ventes au détail), d’autres secteurs ont subi un affaiblissement de leurs ventes, notamment les biens d’équipement (en lien avec le repli des transactions immobilières) et les produits de loisir. La progression des ventes de biens par internet s’est modérée depuis le S2 2018, mais elle reste robuste (+22% en g.a. sur les cinq premiers mois de 2019). De même, la consommation de services reste dynamique (elle représenterait actuellement près de la moitié des dépenses totales de consommation interne), mais son ralentissement semble néanmoins s’être accentué au cours des derniers mois.

L’excédent courant se maintient

La mauvaise performance de la consommation privée est inquiétante, car elle retarde le processus de rééquilibrage de l’économie à un moment où la Chine fait face à des conditions externes très défavorables. La morosité des consommateurs chinois est elle-même en partie liée aux difficultés du secteur exportateur et à leurs conséquences sur la confiance et le marché du travail. De fait, la sous-composante « emplois » de l’indice PMI du secteur manufacturier publié par le Bureau statistique chinois se détériore rapidement depuis septembre 2018 et a atteint un point bas en juin 2019 (à 46,9 contre une moyenne de 48,9 sur la période 2017-2018).

L’inflation des prix à la consommation a accéléré, atteignant 2,6% en g.a. en mai-juin 2019 contre 2,3% en moyenne en 2018 et 1,6% en 2017. Elle a été principalement tirée par la forte hausse des prix alimentaires depuis trois mois (+6,9% en g.a. en avril-mai, contre 1,8% en moyenne en 2018) alors que l’inflation sous-jacente a légèrement baissé, de 1,8% fin 2018 à 1,6% en mai 2019, signe du manque de dynamisme de la demande interne. Les tensions inflationnistes ne devraient donc pas gêner le biais accommodant de la politique monétaire à court terme, mais elles pèseront sur les revenus réels. La hausse du revenu disponible par tête a déjà ralenti l’an dernier, passant de 7,3% en 2017 en termes réels à 6,5% en 2018, et 6,8% en g.a. au T1 2019.

Enfin, le ralentissement de la consommation s’explique aussi par la moindre progression des prêts immobiliers et du crédit à la consommation. Celle-ci découle du maintien de règles prudentielles encore relativement strictes pour encadrer l’activité sur le marché immobilier, du resserrement réglementaire dans le secteur financier réalisé depuis fin 2016, et des mesures de répression plus récemment introduites pour réduire le nombre de plateformes P2P de prêts entre particuliers. Parallèlement, le poids de la dette des ménages s’est alourdi au cours des dernières années, ce qui a pu commencer à peser sur leur consommation. La dette des ménages représentait 53% du PIB à la fin de 2018, contre 49% fin 2017 et 33% fin 2013.

En réponse à l’affaiblissement des exportations et de la consommation privée, l’investissement a également ralenti sur les cinq premiers mois de l’année, notamment dans le secteur manufacturier (+3,2% en g.a. en valeur, contre 6,2% en 2018).

Le ralentissement de la croissance économique devrait se poursuivre à très court terme. Les perspectives d’exportation sont très incertaines, les sources de désaccord entre Washington et Pékin restant très fortes malgré la reprise attendue des négociations. Du côté de la demande interne, les principaux facteurs à l’origine du ralentissement de la consommation privée devraient persister. Néanmoins, les ménages et les entreprises pourraient bientôt commencer à accroître leurs dépenses en réponse aux mesures de relance fiscale lancées depuis le début de 2019 et à la poursuite d’un assouplissement prudent de la politique de crédit.

Détérioration limitée des comptes externes

La politique de change devrait également rester prudente. Depuis l’an dernier, les autorités chinoises ont réagi aux mesures tarifaires américaines en laissant s’affaiblir le yuan par rapport au dollar (de 9,1% entre fin mars 2018 et fin décembre, puis de 2,5% en mai 2019). Ces épisodes de dépréciation permettent de compenser partiellement les effets des hausses de droits de douane sur les exportateurs. Ils pourraient se répéter, mais devraient néanmoins rester d’ampleur modérée, temporaires et suivis de mouvements de légère réappréciation. Une dépréciation trop rapide du yuan pourrait en effet provoquer des périodes d’instabilité financière et de sorties de capitaux, que Pékin souhaite éviter.

La dynamique récente des comptes externes tend, pour le moment, à réduire les pressions à la baisse sur le yuan. L’excédent commercial, qui avait diminué rapidement en 2018, s’est de nouveau élargi depuis le début de 2019 (USD 131 mds sur les cinq premiers mois de l’année, contre USD 102 mds sur la même période en 2018) malgré la mauvaise performance des exportations. Les importations ont en effet diminué plus fortement étant donné les moindres besoins d’intrants dans l’industrie, l’affaiblissement de la demande interne et la baisse des prix des matières premières. Le déficit de la balance des services reste important du fait du dynamisme du tourisme chinois à l’international, mais il est resté stable et proche de 2% du PIB depuis l’an dernier. Au final, l’excédent courant, qui s’est réduit de 1,6% en 2017 à 0,4% en 2018, s’est redressé légèrement au T1 2019 (graphique 3). Du côté du compte financier, les flux nets de capitaux ont été relativement stables depuis le début de 2019. Les réserves de change ont d’ailleurs légèrement augmenté, pour atteindre USD 3100 mds fin mai 2019.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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