L’analyse de l’environnement conjoncturel se base très souvent sur l’évolution de différentes variables et non sur leurs niveaux. Ainsi, on se focalise sur la croissance et l’inflation, plutôt que sur le niveau d’activité ou celui des prix. Pourtant, tous ces éléments ont leur importance. La baisse ces derniers mois des prix de l’énergie est une heureuse nouvelle mais leur niveau reste très au-dessus de celui enregistré au début de l’année 2022. Dans le secteur de l’industrie manufacturière et celui de la construction, la durée de la production assurée par les carnets de commandes actuels reste importante, ce qui peut expliquer le dynamisme des embauches. Pourtant, on observe une diminution des commandes, ce qui, d’après les données historiques, est généralement suivi d’une baisse de la durée de la production assurée. En mettant l’accent sur le niveau élevé de cette dernière, on risque donc de surestimer la vigueur de l’industrie manufacturière et du bâtiment.
La croissance et l’inflation jouent un rôle central dans l’analyse de l’environnement conjoncturel. Cela n’a rien de surprenant. Après tout, une période longue de croissance soutenue renforce la probabilité d’un rebond de l’inflation qui, à son tour, est décisive pour les banques centrales et le niveau des taux d’intérêt.
La croissance et l’inflation désignent chacune l’évolution d’une variable sur une période donnée - mois, trimestre, année – mais la place accordée à ce que l’on appelle en mathématiques les « différences premières » ne doit pas nous faire oublier que, parfois, le niveau de l’activité, de la demande et des prix, etc. joue également un rôle important. Ainsi, un rebond des cours des actions – la première différence est positive – influera peu sur la confiance des ménages si le marché actions reste en deçà de ses récents plus hauts. À l’inverse, un fort repli des cours des actifs peut compliquer leur accès au crédit en raison de la perte de valeur de la garantie qu’il engendre. Une baisse des prix de l’immobilier peut mettre les propriétaires face à des fonds propres négatifs (negative equity), la valeur de leur bien étant inférieure à la valeur de l’hypothèque. Cela peut peser sur leurs dépenses et restreindre leur mobilité géographique s’ils sont réticents à l’idée de cristalliser la perte.
Un autre exemple significatif est celui de l’évolution actuelle de l’inflation. La baisse des prix de l’énergie ces derniers mois se traduit par une chute marquée du taux annuel de l’inflation énergétique qui, à son tour, a contribué à faire reculer l’inflation totale. Cependant, comme le montre le graphique 1, la composante « prix de l’énergie » de l’IPCH de la zone euro reste bien supérieure au niveau atteint au début de 2022, voire avant. En d’autres termes, le choc continue de se faire sentir sur le budget des ménages et sur les coûts des entreprises – mais moins qu’auparavant en raison de la baisse récente des prix – ce qui pourrait renforcer les revendications salariales et influencer le comportement des entreprises en matière de fixation des prix. Cela pourrait conduire à une inertie de l’inflation et à un ralentissement du rythme de la désinflation.
Les niveaux ont aussi leur importance dans l’analyse de l’activité économique et de la demande. Les graphiques 2 et 3 présentent l’évaluation des carnets de commandes par les entreprises de l’industrie manufacturière et du secteur du bâtiment de la zone euro[1].
Dans les deux cas, on observe une baisse significative depuis le début de 2022. Cependant, dans l’industrie manufacturière, la durée de la production assurée par les carnets de commandes actuels reste proche de son record historique et, dans le secteur du bâtiment, l’arriéré de commandes correspond à une durée d’exploitation, en nombre de mois, qui avoisine également des niveaux records.
Dans la terminologie utilisée précédemment, ces variables peuvent être considérées représentatives du niveau du carnet de commandes - le total des commandes enregistrées qui n’ont pas encore été exécutées -, tandis que l’évaluation des carnets de commandes est centrée sur les nouvelles commandes et se trouve, par conséquent, corrélée à la variation du niveau du carnet de commandes (graphiques 4 et 5).
D’après les données historiques, la détérioration de l’évaluation du carnet de commandes – ralentissement des prises de commandes – est suivie d’une diminution de la durée de la production assurée. En mettant l’accent sur le niveau de cette dernière, on risque donc de surestimer la vigueur de l’industrie manufacturière et du secteur du bâtiment. Cependant, aussi longtemps que la durée de la production demeurera élevée, les entreprises pourraient être tentées de continuer à recruter du personnel. Cela peut aussi donner le sentiment que leur pouvoir de fixation des prix reste important.
William De Vijlder