La position extérieure nette de la zone euro en matière d’investissements directs et de portefeuille s’est considérablement redressée entre 2015 et 2022, devenant positive depuis 2021, c’est-à-dire que la zone euro est devenue créancière nette sur le reste du monde. Pourtant, les revenus qu’elle perçoit sur ces actifs sont moins élevés que ceux qu’elle paye aux investisseurs non-résidents. Quelles en sont les raisons ?
Les choix relatifs des épargnants et investisseurs de la zone euro en dehors de cette dernière et des investisseurs non-résidents au sein de la zone euro ont un impact sur les flux de revenus d’investissements entrants et sortants de la zone euro.
L’évolution de la position extérieure nette de la zone euro trouve son origine dans le redressement du solde des avoirs en dette. Depuis 2019, les investisseurs de la zone euro détiennent davantage de dette émise par des non-résidents que les non-résidents n’en détiennent sur des émetteurs de la zone euro, et l’écart s’est renforcé depuis lors. En revanche, la position nette en actions[1] et parts de fonds demeure négative, et évolue dans un tunnel horizontal : les investisseurs non-résidents détiennent immuablement davantage d’actions et de parts de fonds émises dans la zone euro (y compris les private equity) que les investisseurs de la zone euro n’en détiennent à l’extérieur[2]. C’est-à-dire que, structurellement, les épargnants européens investissant à l’étranger ont un appétit au risque inférieur à celui des épargnants non-résidents investissant en Europe.
Nonobstant la relative stabilité de la position extérieure nette en matière d’investissements directs et de portefeuille depuis 2022, le solde des revenus d’investissements[3] a fortement reculé, passant, en cumul annuel, d’un pic de +EUR 62milliards au premier trimestre 2022 à -EUR 9 milliards au deuxième trimestre 2024, et devenant même légèrement négatif en cumul sur l’ensemble de la période (-EUR 1,8 mds).
Si le solde des revenus d’intérêts rémunérant les instruments de dette, largement positif, a poursuivi sa progression, le solde des revenus d’actions (dividendes et bénéfices réinvestis), déjà négatif, s’est quant à lui fortement creusé. Tout d’abord, la position nette en actions 3 et parts de fonds de la zone euro a reculé de -EUR498 milliards au T1 2022 à -EUR791 milliards d’euros au T2 2024. Ensuite, les investisseurs non-résidents ont bénéficié d’un rendement (revenu, hors gains en capital) plus élevé à raison de leurs investissements en actions et parts de fonds dans la zone euro que celui obtenu par les investisseurs de la zone euro à l’extérieur de cette dernière, et surtout l’écart s’est accru.
Au regard des investisseurs non-résidents dans la zone euro, les investisseurs de la zone euro à l’extérieur détiennent donc davantage d’instruments de dette - moins risqués et moins rémunérés que les instruments de fonds propres - et moins d’actions et parts de fonds. Au demeurant, les actions et parts de fonds qu’ils détiennent leur procurent un rendement en dividendes inférieur, en moyenne, à celui dont bénéficient les investisseurs non-résidents sur leurs actions émises en zone euro. Cette hiérarchie des rendements est conforme aux écarts que l’on peut observer entre les indices européens et américains. Ainsi, si l’indice S&P 500 présente un rendement total sensiblement plus élevé que l’Eurostoxx 200 (13,9% vs 8,7% en moyenne annuelle 2010-2023), il offre en revanche un rendement annuel en dividendes plus faible que l’indice européen (respectivement 1,9% et 2,9% en moyenne sur la même période).
Ces développements sont à mettre en parallèle avec les rapports Letta et Draghi publiés cette année, qui soulignent tous deux la nécessité de financer les investissements productifs supplémentaires en mobilisant davantage l’épargne européenne. L’enjeu est non seulement d’encourager le financement des investissements additionnels nécessaires aux transitions écologique et numérique, mais aussi de combler une partie du déficit d’investissement et de productivité avec les États-Unis. Encore faudra-t-il que l’appétit pour le risque des épargnants européens s’accroisse, sauf à laisser un rôle essentiel à jouer aux mécanismes de transformation de risque.