Répondre aux ambitions climatiques et numériques de l’Union européenne nécessitera un énorme effort d’investissement annuel supplémentaire. À court terme, dans un contexte de ralentissement de la croissance et de perspective de récession en 2023, cela représente une source potentielle de résilience. À moyen terme, cette impulsion de la demande peut soutenir ou même augmenter l'inflation, conjointement à d'autres facteurs susceptibles de conduire à une greenflation. Cela influencerait le niveau des taux d'intérêt officiels ainsi que les taux d'intérêt à long terme. Ces derniers pourraient également subir des pressions à la hausse en raison des considérables besoins de financement additionnels par rapport aux flux de financement normaux. Le mix de financement -banques versus marchés de capitaux- joue un rôle clé à cet égard.
Selon la Commission européenne, répondre aux ambitions climatiques et numériques de l’Union européenne nécessitera un effort d’investissement annuel additionnel de 650 milliards d’euros jusqu’en 2030.[1] Par rapport au PIB et au niveau normal des investissements, les chiffres sont considérables. En 2021, cette somme aurait représenté 4,5% du PIB.[2] Pour la période 2000-2021, la formation brute de capital fixe des ménages, des entreprises et du secteur public représentait en moyenne 21,5% du PIB de l'UE, de sorte que les investissements bruts supplémentaires représenteraient une augmentation de plus de 20%. Sur le plan macroéconomique, la transition écologique peut être considérée comme le remplacement accéléré d'anciennes technologies à forte empreinte carbone par de nouvelles technologies plus respectueuses de l'environnement.[3] De même, la transition numérique représente un effort d'investissement accéléré, avec, entre autres, l’objectif clé de rester compétitif.
On peut supposer qu’il y aura un effet de substitution dans une certaine mesure - le stock de capital périmé aurait été remplacé de toute façon - de sorte que l'effet net est pratiquement impossible à déterminer. Toutefois, compte tenu des besoins d'investissement pour la production et la distribution d’une énergie alternative et la construction de bâtiments moins énergivores, on peut s’attendre à une augmentation significative de la formation de capital et de la demande en général au cours des prochaines années. Dans un contexte de ralentissement de la croissance et de perspective de récession en 2023, cela représente une source de résilience. Les entreprises opérant dans les secteurs qui bénéficieront de la demande de biens d'équipement envisageront l'avenir avec plus de confiance. Cela influencera leur stratégie, leurs plans d'embauche, etc., créant ainsi des retombées positives pour d'autres secteurs.
Cette impulsion de la demande peut soutenir ou même augmenter l'inflation, conjointement à d'autres facteurs susceptibles de conduire à une greenflation[4]. Dans un tel scénario, cela influencerait le niveau des taux d'intérêt officiels ainsi que les taux d'intérêt à long terme. Ces derniers pourraient également subir des pressions à la hausse en raison de besoins de financement considérables. Le graphique montre le financement dont dispose chaque année le secteur privé de la zone euro depuis la fin des années 90 par le biais de prêts bancaires, d'émissions de dette et d’émissions d’actions. Il permet de comparer le besoin d'investissement additionnel -l'appel au financement- avec les ressources autrefois disponibles. En supposant que dans la zone euro les efforts d'investissement supplémentaires en pourcentage du PIB soient les mêmes que dans l'UE, cela impliquerait un montant annuel de 550 milliards d'euros. Par rapport aux flux de financement de 2008, année record, cela représenterait 37% des financements disponibles cette année-là. Pour toute autre année, les chiffres seraient encore plus impressionnants. Cela soulève la question de l'impact possible sur les taux d'intérêt. Dans la comptabilité nationale, les moyens de financement disponibles correspondent aux besoins, un concept communément appelé « épargne=investissements »[5].
Cependant, la réalité est plus complexe : le fait que l'épargne soit égale à l'investissement est le résultat d'un processus dynamique où les taux d'intérêt jouent un rôle clé pour parvenir à équilibrer les deux parties. Compte tenu de l'ampleur de l'effort d'investissement annuel supplémentaire et de ce qu'il représente en pourcentage des flux de financement, on peut s'attendre à ce qu'il entraîne une pression à la hausse sur les taux d'intérêt réels. Sans compter le rôle joué par la hausse possible des anticipations d'inflation des acteurs des marchés financiers en raison de la ‘greenflation’. Le mix de financement est capital à cet égard. Dans la mesure où elle est essentiellement bancaire, la création monétaire des banques commerciales devrait limiter la pression à la hausse sur les taux d'intérêt réels. Lorsque le financement provient des marchés de capitaux, il n'y a pas de création d'argent, de sorte que des taux d'intérêt plus élevés seront nécessaires pour provoquer une augmentation de l'épargne ou encore pour attirer des capitaux étrangers pour répondre aux besoins de financement.
William De Vijlder
L’effort d’investissement annuel supplémentaire pour répondre aux ambitions climatiques et numériques de l’Union européenne, compte tenu de sa taille par rapport aux flux de financement normaux, exercera probablement une pression à la hausse sur les taux d’intérêt. Le mix de financement -banques commerciales et marchés de capitaux- jouera un rôle clé à cet égard.