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France : un budget 2023 soumis à une incertitude modérée

30/11/2022
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Les risques à la baisse s’accumulent sur la croissance française, tant et si bien qu’elle pourrait se révéler inférieure à ce que prévoit le projet de loi de finances du gouvernement. En effet, le soutien des finances publiques, notamment au pouvoir d’achat, reste conséquent.

En 2023, nous estimons que la croissance devrait être inférieure de 1 point de pourcentage à l’hypothèse du gouvernement. Cela implique un écart limité entre un déficit à 5,4% du PIB lors de l’exécution budgétaire et le niveau prévu de 5% du PIB du projet de loi de finances.

Les risques apparaissent mesurés, entre une détérioration du marché du travail, qui devrait rester relativement contenue, et une remontée logique des défaillances d’entreprises, dont le niveau devrait néanmoins rester inférieur à celui de 2019.

L’économie française aborde une nouvelle période de net ralentissement de sa croissance, un élément de nature à peser sur la trajectoire des finances publiques. Ainsi, si le gouvernement a retenu une hypothèse de 1% de croissance réelle et de 4,6% de croissance nominale du PIB, nos prévisions pour 2023 font état de 0 et 3,6% respectivement.

Écart de croissance nominale vs. écart par rapport à la cible budgétaire

Cette différence pourrait engendrer une détérioration des finances publiques au regard de ce qui figure dans le projet de loi de finances pour 2023. Le graphique 1 souligne une relation très fine entre deux écarts : l’écart entre l’hypothèse de croissance nominale du projet de loi de finances et la croissance réalisée in fine, et l’écart entre la cible de déficit en valeur du projet de loi de finances et le déficit effectif résultant de l’exécution budgétaire (le projet de loi de finances révisé est utilisé pour l’année 2022).

Ces éléments suggèrent qu’un écart de 1 point de pourcentage (pp) de croissance équivaudrait à creuser le déficit public de près de EUR 10 mds. Cela, rapporté au PIB, engendrerait un déficit porté à 5,4% du PIB au terme de l’exécution budgétaire, au lieu de 5% dans le projet de loi de finances initial, une dégradation donc relative.

Des finances publiques au soutien pour la 5e année consécutive mais avec une efficacité qui décroit

Pouvoir d'achat avec et hors transferts
Emploi dans le secteur privé

L’année 2019 a marqué un basculement dans l’histoire récente des finances publiques françaises. En effet, à partir de cette année-là, celles-ci ont amélioré la dynamique du pouvoir d’achat des ménages, et plus encore en 2020, avec la mise en place du « quoi qu’il en coûte » (graphique 2).

En 2021 et 2022, le retrait de ces mécanismes a permis de réduire le volume des prestations sociales. Cela masque néanmoins un soutien budgétaire toujours présent, au travers notamment du bouclier sur les tarifs de l’énergie, ainsi que des différents chèques (inflation, énergie notamment) mis en place pour faire face à l’inflation. 2023 devrait voir l’écart entre les deux estimations du pouvoir d’achat, représentées sur le graphique 2, s’accroître de nouveau, avec notamment la hausse limitée à 15% des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité (au lieu de 120% selon le gouvernement), ce qui équivaudra à éviter 5 points d’inflation globale sur l’année 2023. Cette prolongation du soutien au pouvoir d’achat diffère de la situation de 2012-13 où une hausse de la fiscalité avait grignoté les gains de pouvoir d’achat liés aux transferts opérés suite à la crise de 2008.

Les finances publiques ont été largement mobilisées durant la pandémie de Covid-19 avec une efficacité notable. Cette période a surtout vu la systématisation d’outils davantage appliqués par le passé en Allemagne, comme le chômage partiel. Cela a permis de limiter l’impact de la récession de 2020 sur l’emploi. Cet impact a été bref et le rebond postérieur fut rapide : l’emploi a retrouvé au 3e trimestre le niveau qu’il aurait atteint si sa croissance moyenne observée entre 2017 et 2019 s’était poursuivie au même rythme jusqu’à aujourd’hui.

Ce rebond tranche avec la situation observée au moment de la récession de 2008 et de la crise de la zone euro au début des années 2010, qui ont ouvert une longue période de stagnation de l’emploi (graphique 3).

Nombre de défaillances d'entreprises (cumul glissant sur 12 mois)

L’autre élément propre à la réponse apportée par le gouvernement lors de la période de Covid-19 concerne les défaillances d’entreprises (graphique 4). Celles-ci auraient pu augmenter en raison de difficultés de trésorerie, jugées comparables au moment du déclenchement de la pandémie à celles rencontrées lors de la récession de 2008 (graphique 7), et qui avaient à l’époque entraîné un net accroissement du nombre de défaillances.

Le bilan du « quoi qu’il en coûte » est donc in fine plus favorable que celui des crises antérieures au cours desquelles l’emploi et les entreprises n’avaient pas été autant protégés.

L’économie française a abordé un nouveau choc (énergétique), forte de la façon dont elle est parvenue à absorber le précédent (Covid-19). Elle a ainsi été la première économie de la zone euro à revenir à son niveau d’activité pré-Covid dès le 3e trimestre 2021 (graphique 5).

Depuis, la France a connu une croissance inférieure à celle de la zone euro. L’inflation a singulièrement pesé sur la consommation des ménages, nonobstant un soutien conséquent de la politique budgétaire au pouvoir d’achat.

Moins de croissance et plus d’inflation : un impact plutôt négatif sur la dynamique des finances publiques

PIB réel en niveau

L’année 2023 devrait s’ouvrir sur une récession, avec une probable croissance négative de l’activité tant au 4e trimestre 2022 qu’au 1er trimestre 2023. C’est ce qui différencie notre scénario de celui du gouvernement, et nous conduit à anticiper une croissance réelle à zéro en 2023 contre +1% pour le gouvernement. En parallèle, l’anticipation du déflateur de PIB est sensiblement la même (3,6%).

La différence sous-jacente entre ces deux scénarios souligne une période difficile. La dynamique de créations d’emplois devrait s’interrompre et céder la place à une érosion de près de 50 000 postes au 1er semestre 2023, avant de se stabiliser. Un choc d’une ampleur mesurée au regard de ceux de 2008 ou en 2020. De plus, des phénomènes de rétention d’emploi, c’est-à-dire de maintien du personnel même en période de sous-activité, sont probables compte tenu des difficultés actuelles à recruter des entreprises.

Évolution des rémunérations nettes nominales des ménages

La persistance d’une croissance nominale due à une inflation élevée, en parallèle d’une baisse de l’activité réelle, distingue nettement cette récession des précédentes.

Alors qu’elles avaient stagné en 2009, les rémunérations nettes devraient progresser de 5,5% en 2023 (graphique 6) sous le double effet de hausses de salaires plus fortes (+5% en 2023 concernant le salaire mensuel de base selon nos anticipations, après +3,6% en 2022) et d’un emploi élevé (ce qui implique un effet de base favorable, son érosion prévisible au 1er semestre 2023 n’étant pas de nature à annihiler la hausse observée tout au long de 2022). Par conséquent, après une baisse de 0,3% en 2022, le pouvoir d’achat des ménages devrait légèrement progresser en 2023 (+0,3%), malgré une inflation proche de celle de 2022 (5,4% en moyenne après 5,3% en 2022).

Situation de la trésorerie des entreprises

En parallèle, la situation des entreprises interroge davantage, dans la mesure où elles subissent la fin du soutien du « quoi qu’il en coûte », ce qui a eu pour effet un début de rebond des défaillances (partant d’un niveau anormalement bas, voir graphique 4). La hausse des taux d’intérêt et la facture énergétique ont pesé sur la trésorerie des entreprises, dans une ampleur qui apparaît toutefois, pour le moment, plus modérée qu’en 2008, en 2020 ou même en 2011 (graphique 7). De plus, la trésorerie des secteurs du bâtiment et des services resterait aujourd’hui plus favorable qu’entre 2009 et 2018. Ce facteur d’atténuation des risques fait d’une simple normalisation des défaillances d’entreprises (qui continuent de combler l’écart avec ce qui avait été observé en 2019) un scénario plus probable que celui d’un « mur » de défaillances (tel qu’enregistré entre 2009 et 2015).

Écart de croissance réelle (pp) vs. écart à la cible budgétaire

Malgré des évolutions qui devraient rester contenues sur le marché du travail et sur le front des défaillances, il est probable que, comme ces dernières années, le projet de loi de finances 2023 soit suivi de lois rectificatives. L’activité économique assez volatile en période de Covid-19, puis la progression de l’inflation ont nécessité d’ajuster les dispositifs de soutien. Les conséquences de la récession, combinées à une inflation élevée, devront probablement nécessiter une nouvelle fois d’adapter la loi de finances au fil du temps.

Toutefois, si l’écart entre les projets initiaux et l’exécution finale a pu être élevé en période de Covid, il devrait l’avoir été beaucoup moins en 2022 (car l’écart de croissance nominale a été modéré, graphique 1). Concernant 2023, nous anticipons, en effet net, un solde budgétaire qui ne se dégraderait que de près de EUR 10 mds par rapport au projet de loi de finances, soit un déficit de 5,4% du PIB, au lieu des 5% prévus pour le moment.

Par nature, un choc inflationniste, en effet, génère des ressources additionnelles, les recettes étant mieux corrélées avec le PIB nominal qu’avec le PIB réel (le graphique 8 ci-dessous, qui substitue à l’écart de croissance nominale utilisé sur le graphique 1 l’écart de croissance réelle, fait ressortir un lien un peu plus ténu avec l’écart à la cible budgétaire).

Ainsi, une inflation plus élevée ou plus durable ne dégraderait pas nécessairement les finances publiques au-delà d’effets mécaniques, comme son impact sur le service de la dette indexée, ainsi que de la décision du gouvernement d’aider ménages et entreprises face à l’inflation subie. Son effet sur la croissance est différent selon que l’on l’analyse en termes réels, avec une croissance qui passerait de 2,5% en 2022 à 0% en 2023, ou en termes nominaux, avec une évolution de 4,9% à 3,6% selon notre scénario.

Notre anticipation d’un déficit public qui augmenterait modérément ne devrait pas être remis en cause par l’impact des mesures discrétionnaires. Bien qu’élevé en valeur absolue (EUR 45 mds), le bouclier tarifaire (gaz et électricité) dont bénéficient en 2023 les ménages, serait financé à près des deux tiers par la contribution des producteurs d’électricité non issue du gaz (nucléaire, renouvelables, thermiques).

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE