La croissance des pays émergents a plutôt bien résisté jusqu’au printemps 2024, en partie grâce à l’assouplissement de leurs politiques monétaires depuis la mi-2023. Celui imminent des États-Unis devrait permettre de la prolonger voire la renforcer. Dans l’hypothèse la plus probable d’un soft landing de l’économie américaine, le principal risque pour les économies émergentes est un ralentissement de l’économie chinoise plus fort qu’attendu. Le marasme du secteur de l’immobilier se diffuse au travers de la baisse des prix des matières premières. D’un côté, la plupart des pays émergents y gagneront en désinflation. Mais, de l’autre, les pays exportateurs de matières premières dont la Chine est le principal client vont en pâtir. Surtout le risque de contagion réside dans les implications de la stratégie des autorités chinoises de soutenir la croissance par les échanges extérieurs. Les entreprises chinoises gagnent des parts de marché à l’exportation grâce à une politique de prix très agressive facilitée par un renminbi compétitif, non seulement vis-à-vis des économies avancées mais aussi des économies émergentes. Le point positif de cette stratégie commerciale pour les pays émergents est que les entreprises chinoises y intensifient leurs investissements directs.
Lors de sa réunion des 17 et 18 septembre, le Comité de politique monétaire des États-Unis devrait donner le coup d’envoi de l’assouplissement monétaire, largement attendu outre-Atlantique. Une baisse cumulée d’au moins 200 points de base du taux des Fed Funds est anticipée par les marchés. D’ordinaire, les assouplissements monétaires américains apportent une bouffée d’oxygène sur les places financières des pays émergents. Premièrement, le dollar s’affaiblit ou arrête de s’apprécier, sauf contre les monnaies d’économie à forte inflation (Argentina, Egypte, Turquie). À l’exception du peso mexicain, les principales devises émergentes se sont d’ailleurs appréciées contre le dollar depuis la fin juin (+2% en médiane)[1]. Deuxièmement, les banques centrales y trouvent une opportunité pour assouplir également leur politique monétaire si les pressions inflationnistes internes et la position de leur économie dans le cycle l’autorisent. Troisièmement, les marchés obligataires et actions bénéficient d’un afflux d’investissements de portefeuille, ce qui renforce la liquidité en dollar et les conditions de financement (baisse des primes de risque sur la dette extérieure et des taux d’intérêt obligataires domestiques).
Par ailleurs, la détente monétaire américaine va intervenir dans un contexte de pressions à la baisse sur les prix des matières premières et donc sur l’inflation domestique, ce qui facilite l’action des banques centrales. Ainsi, notre scénario macroéconomique anticipe une poursuite de la baisse des taux d’intérêt directeurs en Amérique latine, à l’exception du Brésil, et dans les économies d’Europe centrale. Rappelons que l’assouplissement de la politique monétaire dans ces deux zones a débuté à la mi-2023. Les banques centrales des pays d’Asie, qui étaient restées l’arme au pied jusqu’à présent (à l’exception de la Chine), s’engageraient également dans une détente prudente[2]. En résumé, les conditions financières pour les économies émergentes devraient s’améliorer d’ici à la fin 2025.
La croissance pour les pays émergents a pour l’instant bien résisté sur un rythme d’environ 1% par trimestre jusqu’au printemps 2024. L’alignement des planètes financières peut-il suffire à la maintenir ? A priori oui, à condition évidemment que l’économie américaine ne connaisse par un hard landing, mais surtout que le ralentissement de la croissance chinoise ne soit pas plus prononcé que ce qui est anticipé (-0,4 point de pourcentage en 2025 après -0,3 point en 2024, ce qui ramènerait la croissance annuelle à 4,5% contre 5,2% en 2023). Or rien n’est moins sûr.
Le secteur de l’immobilier chinois reste sinistré et, dans son sillage, les industries lourdes comme le secteur de l’acier réduisent leur capacité de production et licencient massivement. La dégradation du marché du travail ajoutée à la baisse des prix de l’immobilier, principal support de la richesse des ménages chinois, bride la consommation privée. Le marasme du secteur de la construction explique aussi les pressions à la baisse sur les cours des matières premières utilisées par le secteur (métaux notamment). D’un côté, la plupart des pays émergents y gagneront en désinflation. De l’autre, les pays exportateurs de matières premières dont la Chine est le principal client (Chili, Pérou), sont évidemment très exposés à cette double baisse de la demande en volume et des prix.
Mais le risque de contagion du ralentissement chinois réside surtout dans les implications de la stratégie des autorités de soutenir la croissance par les échanges extérieurs. Les entreprises chinoises gagnent des parts de marché à l’exportation grâce à une politique de prix très agressive facilitée par un renminbi qui est resté compétitif (depuis 2021, la monnaie chinoise s’est autant dépréciée face au dollar que la médiane des principaux pays émergents, c’est-à-dire d’environ -10%). Les prix à l’exportation sont en baisse sensible depuis la mi-2023 (-7% sur un an en juillet). Cette stratégie de gains de parts de marché concerne une gamme de produits de plus en plus large, y compris à forte valeur ajoutée. Autrement dit, en termes macroéconomiques, la Chine exporte le ralentissement de sa croissance (d’aucuns diraient son chômage) par le dumping de son industrie.
Cette stratégie est appliquée principalement aux marchés américains et européens, ce qui a conduit à plusieurs salves de hausse des tarifs douaniers depuis 2018 de la part des États-Unis et, plus récemment, du côté européen sur les véhicules électriques. Mais un nombre croissant de pays émergents concurrencés par la Chine ont également relevé les tarifs douaniers sur l’acier (Brésil, Chili), le textile de base (Indonésie) ou les panneaux photovoltaïques (Afrique du Sud).
Les économies émergentes seront cependant moins affectées que les économies développées. En effet, les entreprises chinoises y intensifient leurs investissements directs, ce soit pour contourner les sanctions américaines (cas des investissements chinois au Mexique et Asie du sud-est), soit pour avoir accès à une zone de libre-échange et bénéficier de droits de douane faibles ou inexistants (stratégie du cheval de Troie comme en Hongrie et en Turquie).