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Zone euro : est-on trop pessimiste concernant l’impact économique de la pandémie ?

27/05/2021
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La crise économique de la Covid-19 est inédite. Les restrictions sanitaires imposées aux populations européennes par les autorités pour freiner l’expansion de la pandémie ont entraîné des distorsions profondes au sein des économies. L’ensemble des acteurs (ménages, entreprises, administrations publiques) ont dû adapter leurs habitudes et modifier leurs comportements. Ces changements compliquent la grille d’analyse habituelle et peut induire des erreurs de diagnostic et de prévisions

RÉVISIONS DES PRÉVISIONS DE CROISSANCE DU PIB POUR 2020 EN ZONE EURO

DES PRÉVISIONS DE CROISSANCE TROP PESSIMISTES

Depuis le début de la pandémie en zone euro en février-mars 2020, les prévisions de croissance du PIB de nombreuses institutions ont été revues essentiellement à la hausse. Autrement dit, les prévisionnistes ont le plus souvent anticipé une situation plus dégradée qu’elle ne l’était réellement. Le graphique 1 met en avant ce constat. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoyait en juin 2020 une baisse du PIB de plus de 10% en zone euro tandis que la Banque centrale européenne tablait sur une récession de -8,7%. Lors des exercices de prévisions de septembre-octobre, puis de décembre-janvier, le FMI comme la BCE avaient revu à chaque fois à la hausse leurs prévisions de croissance pour la zone euro. Finalement, la récession enregistrée en zone euro l’an dernier (-6,8%) a été historique mais moindre que ce que beaucoup d’institutions anticipaient.
L’effet de cette crise sur le marché du travail était également méconnu, et il le reste aujourd’hui. Là encore, les prévisions de taux chômage au premier semestre 2020 faisaient état d’une hausse plus marquée que ce qui a finalement été observé. La BCE, comme le montre le graphique 2, a revu à la baisse ses projections de taux de chômage pour la zone euro entre juin 2020 (environ 10%) et mars 2021 (environ 8%). Pour l’heure, à l’aide du soutien public massif, la hausse du taux de chômage en zone euro a été contenu au regard de l’ampleur du choc sur l’activité. Il a atteint 8,1% de la population active en mars 2021, en baisse de l’ordre de 0,6 point depuis son pic du mois d’août l’année dernière.

COMMENT EXPLIQUER LE MANQUE DE CONFIANCE DES PRÉVISIONNISTES QUANT À LA CAPACITÉ DE RÉSILIENCE DE LA ZONE EURO?

RÉVISIONS DES PRÉVISIONS DE TAUX DE CHÔMAGE POUR 2020 EN ZONE EURO
ALLEMAGNE : INDICES PMI SERVICES ET STRINGENCY INDEX
FRANCE : INDICES PMI SERVICES ET STRINGENCY INDEX

Comme indiqué plus haut, cette crise a modifié les comportements des agents économiques. Les ménages, malgré une perte moyenne de revenus relativement contenue, ont, par contrainte ou précaution, peu consommé en 2020, et ont ainsi accumulé une épargne additionnelle très importante. Les entreprises ont de leur côté absorbé une partie du choc de la Covid. Dans certains services marchands, notamment, les problèmes de liquidité sont prégnants. Dans ce contexte, les ménages et les entreprises semblent toutefois avoir fait preuve d’une certaine adaptabilité, ce que l’analyse économique a pu mal appréhender.
L’adaptation des acteurs économiques aux mesures de restrictions sanitaires peut en partie s’observer sur les deux graphiques ci-dessous. Ils représentent, pour l’Allemagne et pour la France, l’indice PMI services et le Stringency Index d’Oxford. Cet indice évalue le degré de restrictions sanitaires mises en place dans chaque pays. Intuitivement, on anticiperait qu’une hausse du Stringency Index – c’est-à-dire un durcissement des restrictions – entraîne une baisse du PMI, c’est-à-dire une activité moins dynamique. C’est effectivement ce que l’on observe de manière claire, en Allemagne comme en France, lors des premiers confinements du printemps 2020. Le durcissement sensible des restrictions sanitaires dans les pays européens a mis un coup de frein brutal à l’activité, le PMI services baisse donc sensiblement. Depuis lors, cette corrélation négative semble moins évidente. La hausse des restrictions en fin d’année dernière, visant à endiguer la deuxième vague épidémique, a moins affecté le dynamisme de l’activité. Fait plus marquant encore, la hausse du Stringency Index en France en mars-avril 2021 s’est accompagnée d’une légère hausse du PMI services.
Il s’agit ici de corrélations ; une relation robuste de cause à effets nécessiterait une analyse plus approfondie. Néanmoins, ces graphiques pourraient refléter l’adaptation des acteurs aux restrictions. La résistance du PMI des services malgré le durcissement des mesures sanitaires s’explique aussi par le comportement des ménages en zone euro, dont la consommation rebondit de manière marquée après la réouverture des commerces et la levée des mesures de confinement.

FRANCHE AMÉLIORATION CONJONCTURELLE

ZONE EURO : PMI MANUFACTURIER ET PMI SERVICES

Les dernières données montrent une sensible amélioration de la situation économique globale en zone euro. Le secteur manufacturier a connu un rebond fort, peu heurté, bénéficiant du dynamisme du commerce mondial de biens qui a retrouvé ses niveaux d’avant­pandémie l’hiver dernier. Le PMI manufacturier atteint désormais des sommets historiques, porté par sa composante « nouvelles commandes à l’export ».
Du côté des services marchands, le rebond se faisait attendre. Or, depuis deux mois, l’indice PMI du secteur a repassé le seuil des 50 qui sépare les zones d’expansion de celles de contraction. La hausse a été particulièrement marquée en mai, le PMI services ayant nettement surpris à la hausse les attentes en atteignant 55,5. Il s’agit du niveau le plus élevé observé depuis mi-2018. Après avoir enregistré 7 mois consécutif de PMI inférieur à 50, le secteur des services en zone euro retrouve donc la croissance.
Du côté des consommateurs, les dernières statistiques envoient également des signaux favorables. Leur indice de confiance est nettement haussier depuis le mois de février 2021 et se rapproche rapidement de son niveau d’avant-crise. C’est de bon augure pour la vigueur de la reprise économique en zone euro et pour la dynamique de rattrapage des prochains mois.

LES LIMITES DE L’ANALYSE MACROÉCONOMIQUE

ZONE EURO : SENTIMENT ÉCONOMIQUE ET CONFIANCE DES CONSOMMATEURS

Dans cette crise, l’approche macroéconomique montre ses limites. Elle tend à décrire des comportements moyens et à masquer les divergences de dynamiques économiques au niveau sectoriel. Or, le choc de la Covid-19 est, justement, un choc sectoriel. S’il est vrai qu’au niveau global, le processus de rattrapage est bien enclenché, certains secteurs restent fragilisés par la crise et les contraintes imposées. Au T4 2020, la valeur ajoutée totale de l’économie de la zone euro (en volume) était seulement 5% inférieure à son niveau du T4 2019 (cf. graphique 7 et 8). Cependant, l’écart était encore de 13% pour la branche d’activité « commerce, transport, hébergement, restauration » et de près de 25% pour les activités récréatives. Ces activités ont été les plus touchées par les mesures de restrictions sanitaires, et le retour à un fonctionnement normal se fera de manière très progressive. Ces divergences tendent à rappeler la nécessité d’un retrait prudent et très graduel du soutien public, qui pourrait désormais cibler les secteurs économiques les plus en difficulté.

ZONE EURO : PIB EN VOLUME (BASE 100 = T4 2019)
ZONE EURO : VARIATION DU PIB EN VOLUME (T4 2020 VS T4 2019)


Un même constat peut être dressé lorsque l’on observe l’indicateur de déclaration des faillites d’Eurostat. Dans l’ensemble, le niveau des faillites a baissé en zone euro au T1 2021 par rapport au T4 2019. Ce paradoxe s’explique en grande partie par les politiques budgétaires de soutien qui ont permis d’éviter de nombreux dépôts de bilan. Néanmoins, au niveau sectoriel, la branche d’activité « hébergement et restauration » a vu une hausse importante des déclarations de faillites sur la même période, faisant écho aux difficultés économiques soulevées dans le paragraphe précédent. Ces prochains mois, le risque de voir leur nombre augmenter est important1, certaines faillites d’entreprises ayant seulement été retardées grâce au soutien public.
La Banque centrale européenne a à ce titre récemment fait part de son inquiétude à ce sujet2. Les entreprises des secteurs économiques les plus durablement affectés par la crise de la Covid-19 pourraient être les premières concernées.
1 M. Carlas, et al., The business insolvency paradox in Europe: Miracle and mirage,Coface Economic Publications, Mars 2021
2 Financial Stability Review, Banque centrale européenne, Mai 2021

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE