L’évolution des profits des entreprises industrielles japonaises montre la résilience du secteur. Selon le dernier rapport du ministère des Finances japonais (publié le 1er juin 2022[8]), ils ont atteint Y9,39tr au premier trimestre 2022 (cf. graphique 8), c’est très légèrement en dessous du record du T2 2018 (Y9,44tr) mais le niveau le plus élevé jamais enregistré en part du PIB (6,9%). Les marges des entreprises restent également très importantes. Les profits au T2 2022 devraient toutefois pâtir de la fermeture des usines en Chine, due aux mesures de confinement, qui a sérieusement affecté les chaînes de production des constructeurs automobiles japonais, très présents sur le territoire[9]. Les pénuries de composants électroniques constitueront un frein supplémentaire à l’activité sur le court et moyen terme. Néanmoins, cette structure de production des entreprises japonaises, qui repose sur la complémentarité entre le territoire national et les filiales à l’étranger, a été jusqu’ici efficace comme l’attestent les niveaux de profits importants.
Vers un point d'inflexion?
Les perspectives d’un ralentissement du processus de mondialisation des échanges (sans parler de « démondialisation ») soulèvent des questions sur l’implantation des entreprises japonaises à l’étranger, qui marque le pas depuis 2014 (graphique 1). Plusieurs éléments œuvrent en faveur de la poursuite de ce ralentissement : (i) les problèmes de logistiques durant la pandémie de Covid-19 et le désir des autorités japonaises de raccourcir les chaînes de production ; (ii) la montée des tensions géopolitiques en Asie et la recherche d’une plus grande autonomie, particulièrement sur les secteurs stratégiques ; (iii) la hausse des coûts du travail en Chine qui réduit la compétitivité-prix du pays.
Par ailleurs, le coût de la main-d’œuvre nationale devient un facteur moins important car les processus de fabrication sont de plus en plus automatisés. Les entreprises ont davantage recours à une main-d’œuvre qualifiée qu’à des salariés faiblement rémunérés, ce qui devrait favoriser le développement de l’activité au Japon. Le gouvernement japonais a mis en place, avant même la pandémie mondiale, des soutiens budgétaires, certes encore modestes, afin d’inciter les entreprises japonaises à investir dans le pays. En avril 2020, une aide gouvernementale de JPY 248,6 mds (USD 1,9 md) a été instaurée dans ce sens.
Les autorités ont également débloqué en novembre 2021 une enveloppe de JPY 774 mds (USD 6 mds) destinée à développer dans le pays de nouveaux outils de production pour les semiconducteurs, dont plus de la moitié (JPY 400 mds) sera consacrée à la construction d’une nouvelle fonderie (semi-conducteurs) dans la préfecture de Kumamoto. Inverser la dynamique pour recentrer les développements d’activité au Japon, plutôt qu’à l’étranger, ne sera néanmoins pas aisé, et ce n’est d‘ailleurs pas l’unique priorité du gouvernement qui mise aussi sur une plus grande diversification de ses chaînes de production en Asie afin de réduire son ancrage en Chine.
Il sera particulièrement difficile de relocaliser des chaînes de production à forte intensité de capital ou de connaissances, compte tenu des sommes colossales qui y ont été investies et/ou des écosystèmes qui se sont développés autour d’elles. Par ailleurs, une relocalisation des activités industrielles au Japon impliquera des coûts de production plus élevés, ce qui affectera les marges des entreprises. Si davantage de relocalisations sont attendues, ce phénomène devrait néanmoins mettre du temps à se matérialiser.