Podcast - En ECO dans le texte

Épisode 1 · La productivité, talon d'Achille de l'Espagne

17/05/2023

Dans cette série de trois podcasts « Focus sur la productivité du travail en Espagne » Hélène Baudchon, chef économiste adjoint et en charge de l’équipe OCDE, au département des études économiques de BNP Paribas et Guillaume Derrien, senior économiste au sein de la même équipe, discutent de la productivité qui constitue une faiblesse endémique du modèle espagnol.
Ce premier épisode passe en revue les grandes tendances de l’évolution de la productivité en Espagne par rapport à ses voisins européens au cours des 25 dernières années.

Transcription

Bonjour à tous, bienvenue dans ce nouveau podcast des études économiques de BNP Paribas. Je m’appelle Hélène Baudchon, je suis chef économiste adjoint et je suis également en charge de l’équipe OCDE, au département des études économiques de BNP Paribas. Aujourd’hui, je suis avec Guillaume Derrien, économiste au sein de cette même équipe, OCDE ; Nous sommes donc entre collègue. Guillaume, bonjour.

Bonjour Hélène, bonjour à tous.

Guillaume, tu as publié en février dernier un long article, dans le format Eco conjoncture, qui traite du déficit de productivité en Espagne : ses évolutions par rapport aux autres pays, ses origines, multiples. Tu donnes aussi quelques éléments de perspective notamment les effets espérés du plan de relance national en cours. Dans ce podcast, qui sera divisé en trois parties, nous allons poursuivre sur ce sujet de la faiblesse de la productivité en Espagne, qui n’est d’ailleurs, et on le verra, pas spécifique à l’Espagne, c’est un constat que l’on peut étendre à d’autres pays. Mais restons sur l’Espagne.

Tout d’abord, l’évolution de la productivité en Espagne, quelles sont les grandes tendances, comment évolue-t-elle par rapport à ses voisins européens.

Comme tu l’as évoqué dans tes propos liminaires, Hélène, l’économie espagnole souffre d’une faiblesse chronique de ses gains de productivité, faiblesse qui est partagée, cela a été dit, par l’ensemble des pays du sud de l’Europe. La productivité horaire apparente du travail a progressé en Espagne en moyenne au cours des vingt dernières années (2000-2021) de seulement 0,7% par an. C’est à la fois inférieur à l’évolution observée en Allemagne, où la progression moyenne a été de +1,1%, ou encore en France où la hausse moyenne a été de +0,9%. Si on regarde la zone euro dans son ensemble, l’Espagne est même en dessous, puisque l’union monétaire a enregistré une hausse de sa productivité de 1,0% par an en moyenne.

Tu mentionnes ici l’écart de productivité entre les pays, à l’échelle agrégé mais tu as mis aussi en évidence des disparités entre secteurs d’activité.

Oui c’est bien cela Hélène. Dans l’article d’EcoConjoncture, nous avons comparé les niveaux de productivité dans 31 industries et le constat est sans appel : en 2018, l’Espagne enregistrait une productivité horaire supérieure à la moyenne de la zone euro dans seulement 8 industries sur les 31 couverts. Les secteurs qui performent le mieux c’est le secteur agricole, le secteur énergétique également (gaz, électricité). A l’inverse, les déficits les plus importants se trouvent dans le secteur de l’informatique, l’administration publique, ou encore l’industrie chimique. On trouve ainsi un déficit moyen de productivité de 18% par rapport à la moyenne zone euro. L’écart monte à plus de 30% par rapport à l’Allemagne et à la France.

Assez paradoxalement, la croissance économique s’était plutôt bien portée jusqu’aux crises de 2008/2011. Du coup, comment on réconcilie faibles gains de productivité et croissance soutenue ?

En effet. A la fin des années 1990, l’Espagne a connu une baisse de productivité suivie d’une phase de quasi-stagnation qui s’est prolongée jusqu’à la crise financière mondiale de 2008. Cela ne veut pas dire pour autant que la croissance économique était en berne à la même époque, bien au contraire. A court-terme, durant un cycle économique, qui peut aller de 5 à 10 ans, la productivité et la croissance économique peuvent diverger, parfois significativement

C’est ce qui s’est passé en Espagne. L’économie a dû recourir à d’autres leviers de croissance, n’est-ce pas, je pense notamment à l’endettement.

Oui tout à fait. Durant le cycle d’expansion économique qui s’est étalé grosso modo de l’éclatement de la bulle internet à la fin des années 1990-début des années 2000, jusqu’à la crise financière de 2008, l’endettement privé, et notamment celui des ménages a gonflé significativement, passant de 16% du revenu disponible en 2000 à 70% en 2008. Cela a permis d’alimenter la croissance économique, qui a progressé de manière très soutenue, en moyenne on était autour d’un peu plus de 3% par an entre 2000 et 2008.

Du point de vue du PIB, les moteurs de la croissance, ce sont principalement la consommation et l’investissement. On avait un véritable déséquilibre sur ce second poste ?

Tout à fait, le niveau élevé de l’investissement durant cette période reposait en grande partie sur le secteur de la construction, une activité moins génératrice de gains de productivité. Pour vous donner quelques chiffres : la part des investissements dans la construction, qui était déjà de 60% à la fin des années 1990, avait atteint à l’été 2006 un pic à 70%. Dans l’union européenne cette part n’a jamais dépassé 55% : ça situe bien l’ampleur du déséquilibre !

Oui effectivement. Si je résume, jusqu’en 2008, la hausse des investissements dans la construction a donc permis de soutenir la croissance économique et de masquer, en quelque sorte, pour un temps les faibles niveaux d’investissements dans les autres composantes plus à même de générer des gains de productivité, que ce soit la R&D ou encore les biens d’équipement.

Est-ce que ce déficit au niveau de l’investissement a eu d’autres conséquences que celles évoquées jusqu’ici sur la productivité ?

Cela a eu des conséquences sociales importantes. La croissance économique en Espagne est certes repartie à la hausse durant les cinq années qui ont précédé la crise sanitaire – concrètement le PIB réel a progressé de 2,6% par an en moyenne entre 2014 et 2019 contre 1,9% pour la zone euro dans son ensemble. Mais l’écart de PIB réel par habitant a continué de se creuser par rapport à l’Allemagne, que l’on prend souvent comme le pays de référence en Europe. Le PIB par tête en Espagne représentait 74% de celui allemand en 2000, ce chiffre est descendu à 70% en 2019. Cet écart s’est encore creusé avec la crise sanitaire, on a baissé en 2021à 66%.

Si l’Espagne reste la quatrième puissance économique en Europe, en termes de PIB par habitant, le pays occupe seulement la 11e place sur les dix-neuf qui composent la zone euro.

Merci beaucoup Guillaume pour ces premiers éléments d’analyse sur les gains de productivité en Espagne, cette mise en perspective et comparaison avec les partenaires européens. C’est la fin de ce premier épisode de ce podcast consacré à ce sujet. Dans le deuxième épisode, à suivre, seront évoqués les facteurs explicatifs du déficit de productivité espagnol. A très bientôt. Bonjour à tous, bienvenue dans ce nouveau podcast des études économiques de BNP Paribas. Je m’appelle Hélène Baudchon, je suis chef économiste adjoint et je suis également en charge de l’équipe OCDE, au département des études économiques de BNP Paribas. Aujourd’hui, je suis avec Guillaume Derrien, économiste au sein de cette même équipe, OCDE ; Nous sommes donc entre collègue. Guillaume, bonjour.

Bonjour Hélène, bonjour à tous.

Guillaume, tu as publié en février dernier un long article, dans le format Eco conjoncture, qui traite du déficit de productivité en Espagne : ses évolutions par rapport aux autres pays, ses origines, multiples. Tu donnes aussi quelques éléments de perspective notamment les effets espérés du plan de relance national en cours. Dans ce podcast, qui sera divisé en trois parties, nous allons poursuivre sur ce sujet de la faiblesse de la productivité en Espagne, qui n’est d’ailleurs, et on le verra, pas spécifique à l’Espagne, c’est un constat que l’on peut étendre à d’autres pays. Mais restons sur l’Espagne.

Tout d’abord, l’évolution de la productivité en Espagne, quelles sont les grandes tendances, comment évolue-t-elle par rapport à ses voisins européens.

Comme tu l’as évoqué dans tes propos liminaires, Hélène, l’économie espagnole souffre d’une faiblesse chronique de ses gains de productivité, faiblesse qui est partagée, cela a été dit, par l’ensemble des pays du sud de l’Europe. La productivité horaire apparente du travail a progressé en Espagne en moyenne au cours des vingt dernières années (2000-2021) de seulement 0,7% par an. C’est à la fois inférieur à l’évolution observée en Allemagne, où la progression moyenne a été de +1,1%, ou encore en France où la hausse moyenne a été de +0,9%. Si on regarde la zone euro dans son ensemble, l’Espagne est même en dessous, puisque l’union monétaire a enregistré une hausse de sa productivité de 1,0% par an en moyenne.

Tu mentionnes ici l’écart de productivité entre les pays, à l’échelle agrégé mais tu as mis aussi en évidence des disparités entre secteurs d’activité.

Oui c’est bien cela Hélène. Dans l’article d’EcoConjoncture, nous avons comparé les niveaux de productivité dans 31 industries et le constat est sans appel : en 2018, l’Espagne enregistrait une productivité horaire supérieure à la moyenne de la zone euro dans seulement 8 industries sur les 31 couverts. Les secteurs qui performent le mieux c’est le secteur agricole, le secteur énergétique également (gaz, électricité). A l’inverse, les déficits les plus importants se trouvent dans le secteur de l’informatique, l’administration publique, ou encore l’industrie chimique. On trouve ainsi un déficit moyen de productivité de 18% par rapport à la moyenne zone euro. L’écart monte à plus de 30% par rapport à l’Allemagne et à la France.

Assez paradoxalement, la croissance économique s’était plutôt bien portée jusqu’aux crises de 2008/2011. Du coup, comment on réconcilie faibles gains de productivité et croissance soutenue ?

En effet. A la fin des années 1990, l’Espagne a connu une baisse de productivité suivie d’une phase de quasi-stagnation qui s’est prolongée jusqu’à la crise financière mondiale de 2008. Cela ne veut pas dire pour autant que la croissance économique était en berne à la même époque, bien au contraire. A court-terme, durant un cycle économique, qui peut aller de 5 à 10 ans, la productivité et la croissance économique peuvent diverger, parfois significativement

C’est ce qui s’est passé en Espagne. L’économie a dû recourir à d’autres leviers de croissance, n’est-ce pas, je pense notamment à l’endettement.

Oui tout à fait. Durant le cycle d’expansion économique qui s’est étalé grosso modo de l’éclatement de la bulle internet à la fin des années 1990-début des années 2000, jusqu’à la crise financière de 2008, l’endettement privé, et notamment celui des ménages a gonflé significativement, passant de 16% du revenu disponible en 2000 à 70% en 2008. Cela a permis d’alimenter la croissance économique, qui a progressé de manière très soutenue, en moyenne on était autour d’un peu plus de 3% par an entre 2000 et 2008.

Du point de vue du PIB, les moteurs de la croissance, ce sont principalement la consommation et l’investissement. On avait un véritable déséquilibre sur ce second poste ?

Tout à fait, le niveau élevé de l’investissement durant cette période reposait en grande partie sur le secteur de la construction, une activité moins génératrice de gains de productivité. Pour vous donner quelques chiffres : la part des investissements dans la construction, qui était déjà de 60% à la fin des années 1990, avait atteint à l’été 2006 un pic à 70%. Dans l’union européenne cette part n’a jamais dépassé 55% : ça situe bien l’ampleur du déséquilibre !

Oui effectivement. Si je résume, jusqu’en 2008, la hausse des investissements dans la construction a donc permis de soutenir la croissance économique et de masquer, en quelque sorte, pour un temps les faibles niveaux d’investissements dans les autres composantes plus à même de générer des gains de productivité, que ce soit la R&D ou encore les biens d’équipement.

Est-ce que ce déficit au niveau de l’investissement a eu d’autres conséquences que celles évoquées jusqu’ici sur la productivité ?

Cela a eu des conséquences sociales importantes. La croissance économique en Espagne est certes repartie à la hausse durant les cinq années qui ont précédé la crise sanitaire – concrètement le PIB réel a progressé de 2,6% par an en moyenne entre 2014 et 2019 contre 1,9% pour la zone euro dans son ensemble. Mais l’écart de PIB réel par habitant a continué de se creuser par rapport à l’Allemagne, que l’on prend souvent comme le pays de référence en Europe. Le PIB par tête en Espagne représentait 74% de celui allemand en 2000, ce chiffre est descendu à 70% en 2019. Cet écart s’est encore creusé avec la crise sanitaire, on a baissé en 2021à 66%.

Si l’Espagne reste la quatrième puissance économique en Europe, en termes de PIB par habitant, le pays occupe seulement la 11e place sur les dix-neuf qui composent la zone euro.

Merci beaucoup Guillaume pour ces premiers éléments d’analyse sur les gains de productivité en Espagne, cette mise en perspective et comparaison avec les partenaires européens. C’est la fin de ce premier épisode de ce podcast consacré à ce sujet. Dans le deuxième épisode, à suivre, seront évoqués les facteurs explicatifs du déficit de productivité espagnol. A très bientôt.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE