Bonjour à toutes et tous, bienvenue dans ce troisième et dernier épisode de notre podcast sur la productivité en Espagne. Je suis Hélène Baudchon. Je suis toujours avec Guillaume Derrien, économiste au sein de l’équipe OCDE. Dans les deux premiers épisodes, nous avons dressé un constat plus que mitigé de l’évolution de la productivité en Espagne. Mais il y a des points d’optimisme. Dans l’article EcoConjoncture, sur lequel s’appuie ce podcast, il y a notamment un focus, sur les apports attendus du grand plan de relance national, un plan d’investissement à hauteur de EUR 69 mds euros étalé sur 5 ans (2021-2026).
Ces points d’optimisme, ces signes d’encouragement, Guillaume, quels sont-ils ?
Alors, tout d’abord, en matière de numérisation des activités, et paradoxalement au regard de la faiblesse des investissements que l’on a évoquée précédemment, l’Espagne se classe parmi les pays de l’UE les plus avancés si l’on s’en tient aux enquêtes de la Commission européenne. Cette dernière tient à jour un indice, l’indice DESI (pour Digital Economy and Society index). Cet indice est actualisé chaque année et la dernière mise à jour date de juillet dernier. L’Espagne se classe septième au sein de l’UE et gagne deux places par rapport à 2021. Pas si mal.
C’est pas mal en effet. Il y a toutefois des faiblesses mises en lumière dans ce rapport ?
En effet. Il y est dit que, je cite, ouvrez les guillemets « les entreprises ne tirent pas suffisamment parti des nouvelles technologies telles que l'intelligence artificielle, le big data et le cloud, qui pourraient stimuler la productivité et le déploiement du commerce électronique ». Fermez les guillemets.
Les pénuries de main d’œuvre, c’est un autre problème important il me semble…
Oui mais ce n’est pas exclusif à l’Espagne, même si le problème apparait plus important encore ici. La part des spécialistes en technologies de l’information et de la communication dans l’emploi total se situe en effet en dessous de la moyenne européenne. On était à 4,1% en 2021, contre une moyenne de 4,5% pour l’UE dans son ensemble.
Si on met les points faibles de côté et que l’on regarde le plan de relance mis en œuvre par les autorités espagnoles, au travers notamment d’un nouveau partenariat public-privé destiné à soutenir les investissements dans les secteurs stratégiques. Qu’est-ce que tu peux nous dire de plus ?
Il s’agit des programmes P.E.R.T.E. qui ont été progressivement lancés depuis l’été 2021. C’est une partie, je dirais, structurante du plan de relance espagnol. Le programme vise à investir plus massivement dans 11 secteurs à très fort potentiel de croissance. Le gouvernement soutient les investissements des entreprises et des centres de recherche privés, à travers des subventions et des prêts. Depuis son lancement en juillet 2021 et jusqu’en 2027, EUR 33 mds d’aides publiques (l’équivalent d’un peu moins de 3% du PIB) seront allouées au financement de ces projets stratégiques.
Ces aides d’État versées aux entreprises – principalement des PME – devraient, selon les estimations du gouvernement espagnol, permettre de lever EUR 36 mds supplémentaires provenant du secteur privé d’ici à 2030.
Tu as dit que 11 secteurs étaient ciblés par ce programme. Tu peux nous en citer quelques-uns, les plus importants
Je diviserais ces projets en deux grandes catégories. On a d’un côté ceux portant sur des secteurs essentiels pour la transition énergétique et numérique : les véhicules électriques, l’industrie navale ou encore l’économie circulaire. D’un autre côté, on peut regrouper les programmes qui visent à développer des activités encore d’une taille limitée, mais qui sont des secteurs d’avenir et essentiels pour affronter les défis énergétiques et industriels : c’est la filière de l’hydrogène, les batteries électriques, ou encore l’industrie des semi-conducteurs.
Ces initiatives devraient permettre notamment de réhausser, en lien avec la stratégie España 2050, les dépenses en recherche et développement en Espagne, ce qui constituerait une première étape importante pour redresser la productivité dans le pays.
Rappelle nous pourquoi booster la productivité est crucial pour l’Espagne, et en fait pour n’importe quel pays ?
Car cela permet d’accroître la croissance de long-terme, ce qu’on appelle aussi la croissance potentielle. La croissance potentielle en Espagne évolue, depuis la crise de 2008, à un rythme annuel moyen très inférieur à ce qu’il était auparavant. On est grosso modo autour de 1% aujourd’hui, contre plus de 2% avant la crise de 2008.
Et quels sont les leviers pour redresser la croissance potentielle ?
Il y a trois piliers principaux pour accroitre la croissance potentielle : l’investissement, la productivité, et le volume de travail. N’oublions pas que le facteur travail, qui est l’un des leviers principaux de la croissance potentielle tend à s’affaiblir en raison du vieillissement démographique et de la baisse tendancielle de population active. Pour combler cela, l’investissement et les gains de productivité devront se renforcer pour maintenir une trajectoire de croissance « soutenable » et suffisante, notamment pour contenir la trajectoire d’endettement du pays.
Lorsque tu parles du long terme, tu as en tête j’imagine notamment le plan España 2050 dévoilés en 2021 par le premier ministre Pedro Sanchez, et que tu as déjà évoqué il y a un instant
Tout à fait et l’un des objectifs centraux de ce plan España 2050 est de rehausser les investissements de pointe et par la même la productivité.
En quelques mots, ce plan se compose de 50 indicateurs, eux même divisés en neuf grandes thématiques, qui ont pour objectif, notamment, de combler certains retards accumulés par l’Espagne vis-à-vis des pays européens les plus avancés, dont la productivité du travail. Ce plan vise un accroissement de cette productivité de 10% d’ici à 2030, pour atteindre +50% d’augmentation d’ici à 2050.
Pour y parvenir, les dépenses en R&D seront significativement accrues, l’objectif étant d’atteindre des dépenses équivalant à 3% du PIB, ce qui est plus du double du niveau actuel ; on était à 1,4% du PIB en 2020, selon l’OCDE.
Ce qui permettrait à l’Espagne de rattraper le peloton des pays développés. Est-ce qu’on a des raisons d’y croire ?
C’est encore un peu tôt pour le dire. Pour le moment, ce plan España 2050 n’offre que des grandes directions. Il faut encore que cela soit, je dirais, étayé par des projets ou des mesures structurelles plus concrètes pour évaluer son potentiel de réussite. Il a néanmoins d’ores et déjà le mérite de mettre sur le papier les faiblesses profondes de l’économie espagnole et les orientations stratégiques pour y remédier, qui semblent à la fois crédibles et réalisables.
Dernier point ou plutôt deux derniers points Guillaume, le plan de relance, on en est où aujourd’hui et observe-t-on un effet notable sur l’investissement agrégé ?
Si l’on se base sur les informations du gouvernement, Il y a une montée en puissance progressive : entre le début de l’année 2022 et septembre 2022 (14 septembre), le gouvernement espagnol a débloqué près de EUR 19 mds par l’intermédiaire de ce programme. C’est EUR 7 mds de plus qu’à la même époque l’an passé
Pour répondre à ta seconde question : Les effets sur l’investissement sont pour le moment contenus. Néanmoins, le gros des effets est encore à venir : c’est au cours des deux à trois prochaines années que les effets de ce plan sur l’investissement devraient être les plus visibles, tandis que les bénéfices en termes de productivité et d’emplois seront plus diffus dans le temps.
Merci beaucoup Guillaume pour cet éclairage détaillé sur la question de la productivité en Espagne. Cela clôt la série de 3 épisodes de ce podcast consacré à cette thématique. Merci à tous de votre attention et nous sommes impatient de vous proposer très bientôt un nouveau podcast des études économiques de BNP Paribas. Au revoir.