L’introduction de nouvelles exigences de liquidités a considérablement accru l’obligation de constituer des réserves auprès des banques centrales au lendemain de la crise financière. Mais, à un certain point, les banques s’interrogeront sur le niveau suffisant des réserves dont elles disposent pour se conformer à leurs obligations réglementaires tout en étant en mesure de répondre à la demande de crédit supplémentaire de la part de leurs clients. Il s’ensuit que la banque centrale n’a pas la maîtrise, en dernier ressort, de l’expansion de la taille de son bilan, lorsque celle-ci s’effectue par le biais des opérations de refinancement traditionnelles. Il s’agit d’une stratégie « pull » : les banques sont incitées à demander plus de liquidités mais, in fine, ce sont le secteur bancaire et les exigences réglementaires qui sont susceptibles de limiter la hausse de la taille du bilan des banques centrales2.
Aussi les banques centrales ont-elles introduit l’assouplissement quantitatif, une stratégie « push » consistant à injecter des liquidités. Leur décision de racheter certains actifs entraîne une augmentation des réserves détenues par le système bancaire auprès des banques centrales, sauf vente des actifs par des investisseurs étrangers avec réinvestissement ultérieur dans leur propre pays. Si les banques vendent des obligations à la banque centrale, ces obligations se substituent aux réserves à l’actif du système bancaire. En cas de vente d’obligations par les clients d’une banque, les dépôts bancaires de ces derniers augmenteront en contrepartie de l’accroissement des réserves bancaires auprès de la banque centrale.
Lorsqu’elles optent pour une politique d’assouplissement quantitatif, les banques centrales contrôlent pleinement la taille de leur bilan. Celle-ci peut être augmentée, si nécessaire, par l’élargissement de la gamme d’actifs pouvant être achetés. Cela implique, néanmoins, une plus grande sensibilité du bilan des banques centrales à l’égard du cycle conjoncturel et des fluctuations des cours des actifs. Les banques centrales pourraient même afficher des fonds propres négatifs, selon une valorisation en valeur de marché. Cela pourrait faire peser un doute sur leur indépendance vis-à-vis de l’exécutif dans le cas où l’Etat serait appelé à les recapitaliser. Elles pourraient également commencer à racheter des actifs étrangers3.
Les banques centrales peuvent accroître, dans une très large mesure, la taille de leur bilan, mais jusqu’à quelle limite ? À un moment ou à un autre, une contrainte s’exercera du fait de distorsions majeures des cours des actifs, de sorties de capitaux ou d’une perte générale de crédibilité.
À l’évidence, une telle décision serait, à juste titre, considérée comme le point de départ d’une guerre des monnaies. Cela déclencherait des sorties massives de capitaux et une envolée des prix à l’importation. Une politique d’assouplissement quantitatif qui s’en tiendrait aux achats d’actifs domestiques impliquerait un risque de distorsion des cours des actifs rachetés par la banque centrale ainsi que de ceux acquis par des investisseurs qui, ayant vendu des obligations à la banque centrale, réinvestissent les produits de cession dans des stratégies de « quête du rendement ». Cela pourrait sérieusement compliquer les opérations de réduction de la taille du bilan, censée se produire à un moment ou à un autre. En résumé, avec une politique d’assouplissement quantitatif, la taille du bilan peut augmenter très significativement mais il y aura toujours des limites en termes de disponibilité d’actifs suffisamment peu risqués et de distorsions de prix d’actifs.
La taille du bilan des banques centrales n’est évidemment pas un objectif en soi, mais un moyen. Ce qui compte c’est l’évolution de la croissance, du chômage et de l’inflation. C’est la raison pour laquelle certains considèrent que le financement monétaire des déficits budgétaires constitue une alternative intéressante4. Au lieu de racheter des obligations sur le marché secondaire, le financement direct des dépenses publiques devrait avoir un impact plus important sur la croissance pour une expansion donnée de la taille du bilan. Comme précédemment, la contrainte viendra de la réaction du marché : les inquiétudes à l’égard de l’indépendance de la banque centrale sont susceptibles d’entraîner une augmentation des anticipations d’inflation et des sorties de capitaux, provoquant une dépréciation de la monnaie et une inflation importée. Avec la perte de crédibilité qui s’ensuivrait, il serait extrêmement difficile de reprendre le contrôle de l’inflation.