Dans l’ouest de l’Europe, le nombre de défaillances d’entreprises est revenu, au dernier trimestre 2022, à un niveau proche de celui atteint fin 2019. Cette remontée masque des disparités nationales. Le Royaume-Uni et la Suède l’ont entamée les premiers, l’affaiblissement de la croissance et le resserrement de la politique monétaire y étant plus précoces (et plus conséquents concernant le Royaume-Uni) qu’en zone euro. Au sein de cette dernière, le rebond des défaillances demeure partiel, mais il devrait se poursuivre.
La situation des secteurs reflète ces différences. Ainsi, la hausse est quasi généralisée au Royaume-Uni et en Suède, notamment dans la construction et plus encore dans le commerce. En France, les défaillances d’entreprises se rapprochent de leur niveau d’avant-Covid mais restent 6,1% en deçà au 1er trimestre 2023. Cette situation encore relativement favorable masque toutefois le risque d’un impact plus prononcé de ces défaillances sur l’économie et l’emploi. En effet, elles concernent davantage de grandes entreprises et la proportion de liquidations judiciaires a augmenté.
Le nombre de défaillances d’entreprises constitue une variable permettant d’évaluer les conséquences des chocs récents (prix de l’énergie, remontée des taux d’intérêt) sur la santé financière des entreprises, notamment le risque que, devenant insolvables, le comportement de paiement de ces dernières se détériore.
En Europe[1], les politiques budgétaires menées durant la pandémie de Covid-19 ont permis de réduire le nombre de défaillances.
Le retrait de ces mesures de soutien, puis le resserrement conséquent de la politique monétaire entamé depuis un an, sur fond de choc inflationniste et de flambée des prix de l’énergie, ont entraîné, partant d’un niveau particulièrement bas, un rebond des défaillances en fin d’année dernière (graphique 1[2]). Fin 2022, l’indice de défaillances est ainsi revenu à son niveau de fin 2019.
Cette analyse vise à faire le point sur cette évolution, et sur les pays et les secteurs où elle est la plus prononcée. Il faut, par ailleurs, s’attendre à ce que ce rebond des défaillances se poursuive. En effet, plusieurs éléments de contexte apparaissent plus détériorés que fin 2019 : le niveau des taux d’intérêt, l’inflation, ainsi que la situation du marché immobilier dans plusieurs des pays pris en compte dans l’analyse.
Pays : des différences nettes
L’examen de la dynamique des défaillances dans chaque pays montre des différences assez nettes (graphique 2[3]). Le Royaume-Uni et la Suède ont d’ores et déjà vu leur nombre dépasser le niveau enregistré fin 2019, à mettre sur le compte, au moins en partie, d’une détérioration de la croissance plus précoce dans ces deux pays, dès le début de l’année 2022, alors que la croissance en zone euro a surtout fléchi au dernier trimestre de l’année passée. Ces deux pays ont, de plus, subi des pics d’inflation à deux chiffres (11,1% a/a en octobre et 12,3% a/a en décembre, respectivement). Et, ceci expliquant cela, le durcissement de la politique monétaire y a été plus précoce qu’en zone euro, et pour le Royaume-Uni, de plus forte ampleur.
Dans les pays de la zone euro, la remontée des défaillances d’entreprises est moins importante, ce que l’on peut mettre en partie sur le compte d’un resserrement du crédit plus tardif. D’après l’enquête sur la distribution du crédit bancaire dans la zone euro de la BCE, le durcissement des critères d’octroi de prêts s’est fait plus net à partir d’octobre 2022.
Les pays ont connu, fin 2022 ou début 2023, un rebond assez similaire du nombre de défaillances (graphique 2), ce qui suggère une cause commune, tant du point de vue de la dynamique conjoncturelle que de l’impulsion monétaire. Or, ces déterminants sont appelés à se dégrader. En effet, la BCE n’en a pas encore tout à fait terminé avec les hausses de taux (+50 points de base encore selon notre scenario, pour un point d’arrivée du taux de dépôt à 3,50%). De plus, les prochains trimestres devraient rester marqués par une croissance faible, proche de celle connue au 4e trimestre (croissance zéro), voire légèrement négative.
Secteurs : des points de vigilance
Des facteurs idiosyncratiques peuvent aggraver la hausse du nombre de défaillances d’entreprises, notamment lorsque des dynamiques sectorielles spécifiques se déclenchent.
La construction et le commerce sont les secteurs qui connaissent en règle générale le plus de défaillances d’entreprises, car ils sont parmi les plus sensibles à la conjoncture et regroupent nombre d’entreprises de petites tailles, plus vulnérables. Dans la construction, des facteurs de demande (i.e. la contraction de la demande de logements) et d’offre (hausse des coûts, contraction des marges) peuvent être à l’œuvre. Ce secteur est, de plus, très sensible à la remontée des taux d’intérêt qui affecte directement la demande. Le commerce de détail est, quant à lui, très exposé à l’évolution de la consommation des ménages, ainsi qu’au niveau et à la dynamique de l’inflation, un contexte général qui impacte les marges.
Le Royaume-Uni et la Suède subissent une détérioration plus marquée (graphique 3[4]), tout particulièrement dans le commerce. Au Royaume-Uni, les défaillances dans ce secteur dépassent même de près de 16% le précédent plus haut de 2012, confirmant le caractère inédit en 40 ans d’une inflation aussi élevée, tandis que les défaillances dans la construction restent inférieures de 2,3% au niveau atteint au 1er semestre 2010.
Dans les autres pays, la situation est moins dégradée, à deux exceptions près : la France, pour ce qui est du commerce (voir partie suivante), et la Belgique où le secteur de la construction est davantage exposé aux défaillances.
Les dynamiques observées dans les autres secteurs (graphique 4[5]) sont cohérentes avec les différences observées entre les pays, à savoir une dégradation principalement concentrée sur le Royaume-Uni et sur la Suède. L’industrie se distingue toutefois, avec un rebond au-dessus du niveau d’avant-Covid d’ores et déjà constaté en Belgique et en France.
Focus sur la France : des risques sous la surface ?
En France, le nombre de défaillances d’entreprises reste inférieur à son niveau d’avant-Covid : elles atteignent près de 45 000 unités en cumul sur 12 mois à fin mars 2023 (graphique 5). Leur augmentation devrait se poursuivre à l’horizon des prochains mois. En effet, le premier semestre 2022 avait continué de témoigner de trésoreries historiquement élevées à la suite du « quoi qu’il en coûte ». Par la suite, les différents chocs (énergétique, taux d’intérêt croissant) sont venus les dégrader, avec un rebond des défaillances d’entreprises à partir du 2nd semestre 2022.
Sur le 1er trimestre 2023, le nombre de défaillances demeure inférieur de 6,1% par rapport à la même période de 2019. L’écart se réduit vite toutefois et des points de vigilance existent, sectoriels d’abord, avec des rebonds plus marqués dans l’industrie et dans l’hébergement-restauration.
Dans les deux secteurs, structurellement, les plus sujets à défaillance, que sont le commerce et la construction, le rebond reste partiel, même s’il est plus conséquent dans le commerce. Ce secteur subit depuis maintenant un an l’impact de l’inflation élevée sur la consommation des ménages. La construction, en revanche, continue de profiter de comportements de paiement et d’un volume d’activité des entreprises qui n’ont commencé à se détériorer que relativement récemment. L’impact sur le nombre de défaillances est encore limité : ce nombre reste inférieur de près de moitié aux années 2011-15, où le secteur avait cumulé près de 16 000 défaillances par an. La dégradation de la demande, désormais notable dans le logement neuf, pourrait modifier cette situation, sans que l’on puisse l’observer pour le moment.
Deux autres points de vigilance apparaissent :
Le risque de sévérité, c’est-à-dire le fait que les défaillances se rapportent à des volumes de chiffres d’affaires (ou d’emplois, ou de crédits) plus importants. Ainsi, le niveau des défaillances de grandes entreprises et d’entreprises de taille intermédiaire dépasse celui de 2019 (39 contre 26).
Le risque de sévérité est de facto accru si la défaillance prend davantage la forme d’une liquidation judiciaire que d’un redressement. En effet, une liquidation implique la disparition de l’entité, tandis qu’un redressement peut générer un plan de continuation (avec une baisse des effectifs). De fait, les données des greffiers des tribunaux de commerce suggèrent une augmentation de la proportion des liquidations en 2022 et début 2023 (graphique 6)[6].
Stéphane Colliac