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Allemagne : A quand le retour de la croissance ?

30/01/2024
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Le ralentissement conjoncturel que connaît l’économie allemande, similaire à celui traversé par la zone euro, s’inscrit dans une stagnation plus ancienne : le dernier trimestre de croissance significative datant du T3 2022. Ce chiffre étant encore biaisé à la hausse, la période bénéficiant du rebond post-Covid. Si l’augmentation des prix de l’énergie a été suffisamment forte en 2022 pour faire ressortir les faiblesses manifestes de l’économie allemande, concentrée sur des secteurs énergivores, certaines de ces faiblesses préexistaient. Dans ce contexte, la perspective d’un retour à la croissance, qui est notre scénario pour le printemps 2024, notamment en raison du reflux de l’inflation, reste entourée de profondes incertitudes et d’un aléa baissier.

CROISSANCE ET INFLATION

Une période de stagnation qui se prolonge, c’est ainsi que l’on peut caractériser l’économie allemande, avec une croissance qui manque à l’appel depuis le T4 2022. Les estimations préliminaires de Destatis conduisent même à un chiffre négatif pour le 4e trimestre 2023 (-0,3% t/t) et pour l’ensemble de l’année 2023 (-0,1%).

Parmi les chainons manquants, la consommation des ménages (inférieure à l’avant Covid à la différence de nombre de pays européens, dont la France) et les exportations ont toutes deux suivi la même trajectoire d’érosion que le PIB depuis le T4 2022. La demande (intérieure comme extérieure) est donc en berne, ce que confirme l’enquête de la Commission européenne. Selon cette dernière, la demande était, au T4 2023, un facteur limitant la production pour 23% des entreprises dans l’industrie (+10 points en 6 mois).

Certes, l’Allemagne subit, comme ses partenaires de la zone euro, les conséquences du choc inflationniste. Elle vend donc moins tant sur son territoire que chez ses voisins, mais le pays commence également à pâtir d’une perte de débouchés à l’extérieur de la zone euro, notamment en Chine (baisse de 8,6% a/a des exportations en valeur sur les 11 premiers mois de 2023). La volonté de la Chine de substituer des productions locales subventionnées aux importations est notoire. Et cette volonté est renforcée par l’avance prise par les constructeurs chinois en termes de développement de la voiture électrique.

Le printemps sera (-t-il) de retour ( ?)

L’Allemagne fait partie des pays à avoir connu la désinflation la plus rapide en 2023, notamment en raison d’une base de comparaison favorable – les prix de l’énergie se sont largement transmis aux prix à la consommation et à la production jusqu’en novembre 2022, avant un net reflux – mais aussi parce que la dynamique inflationniste s’est largement atténuée depuis la fin 2022. Ainsi, l’inflation (indice harmonisé) a décliné depuis un pic à 11,6% a/a en octobre 2022 vers le chiffre de 3,8% a/a en décembre 2023 (et 6,4% en août dernier). Surtout, les données désaisonnalisées montrent que les prix n’ont augmenté que de 0,6% entre juin et décembre 2023 (contre 3,1% entre décembre 2022 et juin 2023 et 3,6% entre juin et décembre 2022). La dynamique inflationniste est donc enrayée.

Un frémissement a pu être observé sur le climat des affaires (IFO et ZEW), sur la composante anticipations, accréditant l’idée d’un rebond conjoncturel à venir. Ces anticipations restent toutefois hésitantes et s’expliquent par l’anticipation d’un assouplissement monétaire. S’il est vrai que notre scénario central comporte une baisse de taux directeurs par la BCE dès avril (de 25 points de base, pour un total de 125 pdb anticipés en 2024), celle-ci suffira-t-elle, avec la baisse de l’inflation, pour entraîner un redémarrage de la croissance allemande ?

Des freins persistent en effet, notamment parce que la politique budgétaire devrait agir en sens contraire. Ainsi, le jugement de la cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui a conduit à réintégrer aux finances publiques allemandes des éléments jusqu’ici comptabilisés hors-budget, n’a pas modifié la décision de revenir à la règle limitant le déficit budgétaire à 0,35% du PIB dès 2024 : il en résulte le retrait d’un certain nombre de soutiens budgétaires, notamment une partie de ceux bénéficiant au verdissement de l’économie, dont la fin prématurée de l’aide à l’achat d’automobiles électriques.

Ce jugement et les décisions prises pour y répondre ont pesé sur la confiance des ménages qui n’a presque pas rebondi malgré la désinflation récente et contrairement à ce que l’on peut observer dans d’autres pays : les soldes d’opinion des ménages allemands sur la situation économique restent nettement en deçà de leur moyenne historique tant concernant les 12 derniers mois (-42) que les 12 prochains (-29) dans l’enquête de la Commission européenne de décembre 2023.

Il se pourrait toutefois que la désinflation engagée stimule l’optimisme des ménages : le solde d’opinion de l’enquête ménages GFK sur l’opportunité d’acheter a rebondi à -8,8 en décembre contre -15 en novembre (un niveau dont l’indicateur était resté voisin depuis 18 mois).

Le temps qui passe ne se rattrape guère

Le rebond, s’il intervient, devrait être conjoncturel. D’un point de vue structurel, les éléments qui ont engendré une sous-performance de l’Allemagne au regard de ses voisins européens depuis près de 6 ans demeurent présents. Pour le pays, le verdissement de l’économie est un défi à brève échéance, en cela qu’il remet profondément en cause les positions établies et que l’Allemagne reste spécialisée dans des secteurs énergo-intensifs et émetteurs de CO2, dont l’automobile, la chimie ou la métallurgie. L’un des risques pour le pays est ainsi que la baisse des émissions aille de pair avec une vague de désindustrialisation (et de délocalisations) plus franche que celle déjà intervenue, telle que mesurée par la baisse des capacités de production de l’industrie entre fin 2017 et fin 2023 qui atteint 6% selon nos estimations.

Selon Agora Energiewende, l’industrie allemande a vu ses émissions de CO2 diminuer de 12% en 2023, phénomène que l’institut explique en premier lieu par la contraction, dans le même temps, de la production manufacturière, en particulier des secteurs énergo-intensifs (chimie-pharmacie avec -8,2% a/a ou bois-papier avec -13,4% a/a sur janvier-novembre 2023).

Achevé de rédiger le 18 janvier 2024


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