Eco Perspectives

L’Italie en guerre contre le virus

06/04/2020

L’essoufflement de l’économie était déjà là

Alors que le Covid-19 s’abattait sur l’Italie, l’économie se contractait déjà. Au T4 2019, le PIB réel a reculé de 0,3 % (t/t), avec un taux de croissance annuel en repli à 0,1 %. La demande intérieure a été décevante. La consommation privée a légèrement faibli sous l’effet d’une évolution toujours aussi modérée du revenu des ménages. La situation sur le marché du travail a été contrastée. Le nombre d’heures travaillées a baissé, se maintenant bien en dessous du niveau de 2008. L’investissement a continué à stagner, les entreprises faisant toujours preuve d’une extrême prudence. La contribution des exportations nettes a été positive, les importations ayant fortement reculé, tandis que le déstockage a amputé la croissance totale de 0,7 point de pourcentage. Le report sur l’exercice 2020, dans l’hypothèse de l’absence d’augmentation trimestrielle du PIB, s’inscrit à -0,2 %.

La crise au plan régional et sectoriel

Croissance et inflation (g.a., %)

Depuis l’apparition, en Italie, du premier cas de Covid-19, le nombre de personnes infectées a connu une croissance exponentielle. En réaction à la crise sanitaire, le gouvernement italien a pris un certain nombre de mesures, qui sont allées jusqu’au confinement de l’ensemble de la population. Les Italiens ont l’interdiction de quitter leur domicile sauf cas d’urgence ou déplacements liés à l’exercice d’une activité professionnelle essentielle. Dans la première phase du confinement, les bars, restaurants, écoles, musées et tous les commerces, sauf les pharmacies et magasins d’alimentation, ont été fermés. Dans un deuxième temps, il a été décidé de mettre à l’arrêt toutes les activités de production, à l’exclusion de celles jugées nécessaires, comme les industries agro-alimentaires et pharmaceutiques et certains segments des secteurs de la métallurgie et des produits métalliques, des machines-outils et des équipements. Ces mesures ont eu un impact considérable sur l’économie. Les services, qui avaient soutenu l’économie italienne au cours des dernières années, permettant de regagner, en termes de valeur ajoutée, les pertes enregistrées au cours de la dernière récession, et compensé en partie le repli de l’industrie manufacturière, pâtissent aujourd’hui de la paralysie notable de l’activité. C’est, en particulier, le cas du tourisme, suite à l’interdiction des déplacements non essentiels et des rassemblements publics, et au fait que des mesures similaires ont été adoptées dans d’autres pays. Depuis la fin de la crise financière mondiale, le secteur du tourisme n’a cessé de croître, les dépenses des voyageurs étrangers augmentant de près de 50 % pour s’élever à EUR 42 mds, 7 % des exportations totales de biens et de services.

Le nombre total de nuitées en Italie avait atteint 430 millions, un plus-haut historique.

PIB réel g.a., %

La crise a eu également des répercussions négatives sur les hôtels et les restaurants, un secteur qui affichait auparavant une solide dynamique, occupant une place extrêmement importante dans l’économie. Au cours des dix dernières années, les ménages italiens ont profondément modifié leurs habitudes de consommation, dépensant davantage dans les restaurants et moins dans les magasins d’alimentation. Les dépenses privées en hôtels et restaurants ont grimpé, dépassant largement les EUR 110 mds, environ 10 % de la consommation annuelle totale.

Par rapport aux chiffres de 2008, l’emploi dans ce secteur a augmenté de près d’un tiers, contre une évolution tout juste modérée dans l’ensemble de l’économie, atteignant 1,7 million de personnes, avec une valeur ajoutée de EUR 65 mds.

L’effet des mesures restrictives sur le commerce de détail et le commerce de gros semble contrasté. Certains secteurs, comme l’industrie agro-alimentaire, bénéficient d’un accroissement de la demande, tandis que d’autres, comme l’habillement, souffrent d’un arrêt total de l’activité. En Italie, le secteur du commerce de détail et de gros dans son ensemble emploie plus de 3,7 millions de personnes, environ 15 % de l’emploi total, et apporte une contribution de près de 12 % à la valeur ajoutée.

Un déclin s’était amorcé dans l’industrie manufacturière italienne avant l’apparition du virus. Au cours des deux dernières années, la valeur ajoutée a diminué de près de 2 %, reculant de plus de 10 points de pourcentage en dessous du niveau de 2008. Le secteur manufacturier représente environ 17 % de l’ensemble de l’économie. La décision de mise à l’arrêt des activités non essentielles a impacté le secteur de la métallurgie et des produits métalliques, qui représente la part la plus élevée de l’industrie manufacturière totale, avec plus de EUR 40 mds de valeur ajoutée, ainsi que les secteurs des machines-outils et des transports. Le secteur des produits pharmaceutiques, dont le rôle est particulièrement important dans la période actuelle, avec moins de EUR 10 mds de valeur ajoutée, ne représente que 0,6 % de l’économie totale, un chiffre qui témoigne également d’une forte dépendance à l’égard des importations. Le renforcement de la demande semble aussi concerner le secteur des denrées alimentaires et des boissons, qui, en 2019, a enregistré EUR 30 mds de valeur ajoutée avec un effectif de près de 500 000 personnes.

D’un point de vue géographique, les régions les plus affectées par l’épidémie de Covid-19 sont celles de l’Italie septentrionale, les plus riches et les plus industrialisées du pays. En 2019, la Lombardie, la Vénétie et l’Emilie-Romagne réunies représentaient plus de la moitié des exportations totales, avec un chiffre d’affaires de près de EUR 260 mds, réalisé à l’international. Ces trois régions sont étroitement intégrées dans la chaîne d’approvisionnement européenne, fournissant des composants essentiels aux usines allemandes.

Une marge de manœuvre limitée face à la crise

Le gouvernement italien a approuvé le décret « CuraItalia », visant à faire face à la dégradation de la situation générale. Le montant total des mesures adoptées s’élève à EUR 25 mds, environ 1,5 % du PIB, dont EUR 3,5 mds pour renforcer le système de santé et financer le recrutement d’environ 20 000 professionnels de santé.

A par secteurs millions €, 2019

Le fonds de garantie des PME se verra allouer EUR 1,2 md pour faire bénéficier les prêts bancaires accordés aux PME de la garantie de l’État. La limite de la garantie accordée par le Fonds sera portée à EUR 5 millions, tandis que les procédures seront assouplies pour les garanties inférieures à EUR 3 000. Pour soutenir les exportations, le ministère de l’Économie accordera à l’Agence italienne de crédit à l’exportation une garantie visant à venir en aide aux secteurs les plus frappés par la crise.

Concernant les PME, le remboursement des prêts et crédits hypothécaires est suspendu. Jusqu’au 30 septembre, les facilités de crédit révocable (facilités de découvert) ne pourront être révoquées, tandis que la durée des prêts non amortissables, assortis d’une date d’échéance contractuelle, sera prolongée jusqu’au 30 septembre et le paiement de toute annuité, suspendu jusqu’à cette date.

Pour soutenir le marché du travail (emploi et travailleurs), le décret-loi prévoit l’extension des prestations de chômage à toutes les entreprises, y compris les entreprises unipersonnelles, dont le coût total pour les finances publiques pourrait atteindre EUR 5 mds.

Le décret a également prévu le versement, en une seule fois en mars, d’une indemnité de 600 euros aux travailleurs indépendants, aux intérimaires et aux saisonniers, employés dans les secteurs du tourisme ou de l’agriculture (ayant totalisé au moins 50 jours de travail en 2019). En tout, les travailleurs éligibles représentent près de 5 millions de personnes et la mesure s’élève à EUR 2,8 mds.

Enfin, les entreprises et les ménages particulièrement affectés par la crise pourront bénéficier d’un report de la date limite de paiement des impôts et des cotisations sociales.

L’impact économique de l’épidémie de Covid-19 sera significatif quoique difficile à évaluer à ce stade, compte tenu de l’incertitude persistante entourant la durée de la crise sanitaire. La combinaison des chocs induits d’offre et de demande va provoquer une récession qui devrait être profonde et durer au moins jusqu’au mois de juin. Pour l’année 2020 dans son ensemble, et en dépit de l’important soutien des politiques budgétaire et monétaire, l’économie italienne devrait accuser un repli de quelques points de pourcentage. Si les mesures d’atténuation de la crise sont efficaces, l’activité économique pourrait revenir à une certaine normalité au cours du second semestre de 2020. La vigueur de la reprise dépendra également de la robustesse de la demande extérieure.

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