Premier pays frappé par l’épidémie de coronavirus, la Chine a enregistré un très fort recul de son activité dès le début de la période de confinement, imposée à la population à partir du Nouvel An chinois fin janvier et jusqu’à fin mars-début avril (règles et dates variables selon les régions). Le choc a été brutal, se transmettant via plusieurs canaux : choc d’offre, choc sur la demande interne et les exportations, choc de revenus et choc de confiance. L’activité redémarre depuis plusieurs jours, et les mesures de relance des autorités devraient aider au redressement de la croissance. D’importants risques baissiers persistent néanmoins. D’une part, la perte de revenus des entreprises, la dégradation du marché du travail et les inquiétudes quant à l’évolution de la pandémie vont peser sur la demande intérieure. D’autre part, le secteur exportateur va subir les répercussions de la crise sanitaire et économique qui s’étend dans le reste du monde. Nous attendons une contraction sans précédent du PIB au T1 (-8% en glissement annuel), suivie d’une lente normalisation des taux de croissance à partir du T2.
Un choc sans précédent
Avec les mesures drastiques imposées par les autorités pour endiguer l’épidémie, la consommation de biens et services s’est effondrée (graphique 2). Les volumes de ventes au détail ont reculé de 23% en glissement annuel (g.a.) sur les deux premiers mois de l’année, avec notamment des ventes automobiles en chute libre (-78% en février). Le commerce par internet a mieux résisté mais s’est néanmoins contracté (-3% en janvier-février) du fait de la baisse des ventes de services et de biens non essentiels. Les réseaux de transports ont été paralysés (trafic de passagers : -84% en février), ainsi que l’activité dans la construction et le secteur immobilier (ventes : -40% sur les deux premiers mois de l’année)[1].
Le choc d’offre a été tout aussi sévère, les usines devant rester fermées après les congés du Nouvel An chinois et la main d’œuvre étant confinée. La production industrielle a chuté de 13,5% en termes réels en g.a. sur les deux premiers mois de 2020 (après +5,8% en 2019). Les interruptions dans les chaines de production et les blocages dans les transports ont contribué au recul des exportations de marchandises (-17% en janvier-février). Enfin, la baisse du chiffre d’affaires et les incertitudes sur les perspectives d’activité ont conduit les entreprises à réduire drastiquement les investissements dans tous les principaux secteurs. L’investissement total a baissé de 25% en g.a. sur les deux premiers mois de l’année.
La propagation de l’épidémie étant jugulée pour le moment, l’économie redémarre. Les restrictions sur les transports intérieurs ont été levées (partiellement dans la province du Hubei) et l’activité à l’export est repartie. A fin mars, le taux de reprise officiel de l’activité atteignait 98% pour les grandes entreprises industrielles sur l’ensemble du pays (et 85% dans le Hubei, qui représente près de 5% du PIB) et plus de 70% pour les PME. Le taux d’utilisation des capacités de production reste en revanche bien inférieur à ce qu’il était avant la crise sanitaire (77% dans l’industrie au T4 2019). Un retour à la normale du système productif est envisagé d’ici fin avril dans l’industrie et la fin du T2 dans les services (hors tourisme).
Cependant, alors que le choc d’offre prend fin, un nouveau choc de demande se profile. Les exportations vont rapidement souffrir de l’effondrement de la demande mondiale. Leur baisse devrait donc s’aggraver au T2, menaçant la reprise du secteur manufacturier (qui est aussi gêné par les tarifs douaniers américains) et incitant les entreprises exportatrices à réduire leurs stocks et à limiter les investissements. En outre, le choc sur les revenus qu’entreprises et ménages ont subi devrait continuer de peser sur la demande interne à court terme. À ceci s’ajoute la forte baisse de moral suscitée par l’épidémie et les incertitudes sur son évolution à venir.
La situation financière des entreprises s’est fragilisée et leur capacité à investir et à rembourser leurs crédits s’est dégradée (les profits des entreprises industrielles ont chuté de 38% en g.a. sur les deux premiers mois de 2020, et huit PME sur dix rapportaient des problèmes de trésorerie début mars). La dette intérieure totale des entreprises est excessivement élevée, à 150% du PIB fin 2019 (plus des deux tiers sont des prêts bancaires). Cette dette réduit leur résistance au choc, et la montée des risques de défauts sur les prêts bancaires et les marchés obligataires locaux fragilise le secteur financier. En revanche, la dette extérieure en devises des entreprises est très modérée, estimée à 7% du PIB, et n’est pas une source d’instabilité des comptes externes en dépit de la hausse des risques de difficultés de paiements et de refinancement.
Les consommateurs devraient rester à la fois contraints par leur baisse de revenus et très prudents. Les conditions sur le marché du travail se sont dégradées rapidement pendant la période de confinement, avec un bond du taux de chômage à 6,2% en février, contre 3,6% en décembre 2019. L’endettement des ménages va également amplifier le choc. Le ratio de dette sur PIB, à 55% fin 2019, n’est pas encore excessif, mais il a beaucoup augmenté depuis dix ans. Surtout, le poids de la dette est plus élevé pour les ménages à bas revenus, qui sont aussi les plus vulnérables aux chocs. L’ajustement à la baisse de la consommation privée pourrait en être d’autant plus fort à court terme.
Actions sur tous les fronts
Depuis février, le gouvernement et la banque centrale ont multiplié les mesures visant à : i/ soutenir les entreprises affectées par les conséquences du coronavirus, afin d’éviter défauts et faillites, limiter les risques d’instabilité dans le secteur financier et faciliter la reprise de l’activité ; ii/ compenser les baisses de revenus et stimuler l’investissement et la consommation. Alors que l’environnement externe se dégrade, Pékin devrait renforcer ses mesures de relance dans les prochaines semaines.
Les conditions monétaires ont été assouplies progressivement depuis le début de l’épidémie. La banque centrale a injecté dans le secteur financier les liquidités nécessaires pour répondre à la demande (RMB 3000 mds pendant la première quinzaine de février). Elle a d’abord opté pour une baisse modérée des taux directeurs, mais accélère maintenant la détente monétaire (graphique 3). Des programmes de crédits ont été lancés (RMB 700 mds de relending, RMB 350 mds de prêts spéciaux des banques publiques aux petites entreprises). Mi-mars, la banque centrale a abaissé les coefficients de réserves obligatoires de façon variable (de 50 à 200 points de base) pour certaines banques, afin de libérer des fonds (RMB 550 mds) pour des prêts ciblés. Les banques ont reçu des directives leur demandant de soutenir les sociétés affectées par l’épidémie, refinancer les prêts et rééchelonner les remboursements des clients en difficulté. Les autorités ont (modérément) assoupli les normes prudentielles pour les banques commerciales, ainsi que les règles pour les émissions d’actions et obligations des entreprises.
Sur le plan budgétaire, le gouvernement central s’est montré plutôt mesuré jusqu’à présent. Il a augmenté les dépenses (notamment dans la santé : +RMB 110 mds), accordé des exonérations de cotisations sociales (RMB 500 mds) et d’impôts, réduit les tarifs d’électricité (de 5%) pour les entreprises et annoncé des incitations fiscales visant à stimuler la demande. Les collectivités locales participent activement aux efforts de relance, via une hausse des investissements dans les projets d’infrastructure (instrument traditionnel de politique publique en Chine) et des aides directes aux entreprises et aux ménages (comme des baisses des loyers fonciers ou la distribution de bons d’achat). Pékin a largement augmenté les autorisations d’émissions obligataires des collectivités pour financer les projets d’infrastructure (RMB 850 mds s’ajoutent au quota de RMB 1000 mds initialement prévu pour 2020).
Des finances publiques capables d’absorber le choc
L’action des pouvoirs publics jouera un rôle déterminant dans le redressement de la croissance. La marge de manœuvre budgétaire est confortable, et la banque centrale dispose d’amples réserves de liquidités pour assurer la stabilisation du système financier. En revanche, l’excès de dette de l’économie contraint la politique monétaire, ainsi que la capacité d’investissement des collectivités locales (dont l’endettement total est déjà à 50% du PIB environ). Par conséquent, s’il est très probable que la banque centrale continue d’assouplir les conditions monétaires et de crédit à court terme et que les collectivités augmentent encore leurs investissements, le gouvernement central devrait privilégier la relance budgétaire. Les déficits vont s’élargir et atteindre des niveaux historiquement élevés, mais les besoins de financement seront couverts sans difficulté et la dette de l’État restera modérée (16% du PIB fin 2019, presque entièrement libellée en monnaie locale et à plus de 90% détenue par des créanciers chinois).