La situation d’avant-crise : relativement positive
Les chiffres du T4 2019 ont, certes, nettement surpris à la baisse, avec une contraction inattendue du PIB de 0,1% t/t (contre une hausse de 0,3% prévue). Mais, d’une part, celle-ci intervenait après une série de cinq trimestres d’une résistance remarquable au ralentissement mondial. Cette contre-performance portait, ensuite et surtout, la trace des grèves et manifestations menées contre la réforme des retraites ainsi que d’autres difficultés sectorielles (secteur automobile, sous-traitants aéronautiques) et de la douceur des températures en fin d’année (qui signifie une moindre consommation d’énergie). Enfin, les enquêtes sur le climat des affaires en janvier et février continuaient de donner des signes de résistance et le ciel semblait se dégager sur le front de l’environnement international. Un rebond technique marqué au T1 2020 pouvait être anticipé et, sur l’ensemble de l’année, un maintien de la croissance proche de son rythme de 2019 (1,3%).
Situation de crise : un choc de type « cygne noir »
À peine était-il envisagé que ce scenario était ébranlé par l’apparition de l’épidémie de Covid-19 en Chine en janvier, avant de devenir totalement caduc suite à sa propagation mondiale en février-mars et aux mesures de confinement et aux restrictions d’activité prises pour l’endiguer. Le Covid-19 est un choc extrême de type « cygne noir » : un évènement imprévisible, de faible probabilité mais au coût considérable. De fait, le Covid-19 est un choc inédit, multidimensionnel, d’offre et de demande, brutal, mondial, généralisé à tous les pans de l’activité économique, frappant la sphère réelle et financière, avec des effets multiplicateurs démultipliés.
Son coût est aujourd’hui difficile, pour ne pas dire impossible, à quantifier compte tenu du caractère inédit du choc et parce que l’on en ignore la date de fin. On dispose néanmoins d’un tout premier aperçu de son ampleur depuis la publication des enquêtes sur le climat des affaires au mois de mars. Les indices PMI et de l’INSEE se sont, en effet, écroulés. L’indice composite du climat des affaires de l’INSEE a plongé de 10 points en 1 mois, à 95 – du jamais-vu – battant de 1 point le record de baisse enregistré en octobre 2008. En revanche, si le niveau retombe en dessous de sa moyenne 100 de long terme, l’indice est encore loin de son plus bas historique (68, en mars 2009), contrairement au PMI composite de Markit tombé à 30,2. Une fois n’est pas coutume, c’est le secteur manufacturier qui résiste le mieux, avec une baisse limitée de 3 points de l’indice INSEE quand le plongeon atteint 14 points dans les services et 13 points dans le commerce de détail. La stabilité dans le bâtiment n’est pas significative. Pour l’ensemble de ses enquêtes, l’INSEE avertit en effet que, compte tenu du contexte, les statistiques de mars peuvent être moins précises qu’à l’accoutumée, les réponses collectées étant pour la plupart antérieures au 16 mars, date de l’annonce du confinement. Dans chaque secteur, ce sont les soldes d’opinion relatifs aux perspectives d’activité qui ont chuté le plus lourdement ; le climat de l’emploi, quant à lui, perd 9 points.
Du côté de la confiance des ménages, un effet « collecte » a limité à 1 point la baisse de l’indicateur résumé de l’INSEE. D’après l’institut, la publication reflète essentiellement l’opinion des ménages sur la situation économique début mars. Mais même alors, les inquiétudes commençaient à poindre. En effet, les soldes d’opinion relatifs à l’opportunité de faire des achats importants et ceux sur les perspectives d’évolution du niveau de vie en France et du chômage se sont fortement dégradés. Il faut s’attendre à une baisse marquée de la confiance des ménages en avril et à ce que celle du climat des affaires se poursuive, en espérant qu’elle soit moins « verticale ».
Parallèlement à ses enquêtes sur le climat des affaires, l’INSEE a publié une première estimation de la perte d’activité économique directement liée aux mesures d’endiguement du Covid-19. Cette perte instantanée est estimée à 35%, ce qui équivaut à amputer le PIB annuel de 3 points par mois de confinement. L’OFCE et l’OCDE obtiennent des estimations proches : perte d’activité mensuelle d’environ 30% et 25% et choc négatif sur le PIB de 2,6 points et d’environ 2 points, respectivement [1]. Ce chiffre global de perte d’activité masque des disparités sectorielles importantes en termes d’ampleur de la baisse (cf. graphique 3) et l’effet (légèrement) amortisseur des quelques secteurs dont l’activité se maintient ou s’accroît (commerce alimentaire, e-commerce, pharmacie, télécommunications, santé). Plus globalement, la structure sectorielle de l’économie française lui est à la fois favorable et défavorable dans la crise actuelle : le poids des services non marchands en atténue l’impact mais celui des services marchands, habituellement amortisseur, l’augmente, au contraire.
Face au choc, un arsenal de mesures a été déployé pour préserver autant que possible l’appareil productif, l’emploi, les revenus individuels, la trésorerie des entreprises, éviter les défaillances en chaîne, faire en sorte que, une fois la crise sanitaire passée, le retour au travail et la remise en route de l’économie soit les plus rapides possibles. On peut les regrouper en trois grandes catégories :
- soutien direct : simplification et renforcement du dispositif de chômage partiel (EUR 8,5 mds pour deux mois) ; dépenses additionnelles de santé (EUR 2 mds) ; fonds de solidarité pour les plus petites entreprises, les indépendants, les professions libérales et les micro-entrepreneurs les plus touchés (EUR 1 md par mois) ; allègement des conditions de versement de la prime Macron et doublement de son montant à l’étude (à EUR 2 000)
- reports (pour les entreprises et les indépendants) : charges fiscales et sociales payables en mars (EUR 32 mds) ; loyers, factures d’eau, de gaz et d’électricité (pour les plus petites entreprises en difficulté) ; échéances bancaires pendant 6 mois
- garanties : garantie de l’État sur les prêts de trésorerie octroyés entre le 16 mars et le 31 décembre (pour EUR 300 mds) ; réassurance publique sur les encours d’assurance-crédit (pour EUR 10 mds) ; augmentation de divers dispositifs d’assurance publique à destination des entreprises exportatrices.
Le plan de soutien porté par l’État totalise, au départ, EUR 45 mds, une enveloppe présentée comme un minimum. À ce soutien budgétaire et financier s’ajoutent les mesures au niveau européen, le soutien monétaire de la BCE et des assouplissements prudentiels pour le secteur bancaire visant à juguler le durcissement des conditions monétaires et financières et à assurer le bon financement de l’économie. Elles paraissent adaptées aux problèmes posés par la crise, elles doivent dorénavant prouver leur efficacité. L’effet amortisseur de la chute des prix du pétrole est d’un piètre secours dans l’immédiat mais constitue un facteur de soutien potentiel important pour l’après-crise.
La situation d’après-crise : quel profil de reprise ?
L’appréciation du profil de la reprise n’est pas moins difficile que l’estimation de l’ampleur du choc récessif provoqué par le Covid-19. La reprise en V (redémarrage de l’activité et retour à la normale et au niveau d’avant-crise rapides, c’est-à-dire d’ici la fin 2020) est le scénario espéré et il est du domaine du possible. Aussi brutal et généralisé soit-il, le choc économique provoqué par le Covid-19 est a priori temporaire et n’a pas les racines profondes de la crise financière de 2008. De plus, les réactions de politique économique ont été rapides et massives et continueront d’être à pied d’œuvre si besoin. L’économie pourrait s’en relever rapidement une fois le risque sanitaire écarté, mais toute la question est de savoir quand. D’ici là, plus la crise dure, plus la capacité d’un rebond rapide et global s’érode. Si l’on regarde la situation par secteurs d’activité, on ne peut pas dire « plus dure a été la chute, plus rapide sera la reprise ». Le tourisme, le transport aérien ou l’aéronautique, pour ne citer que ces trois exemples au cœur de l’économie française, mettront probablement longtemps avant de retrouver leur niveau d’avant-crise. Ensuite, parmi les dépenses de consommation, d’investissement non effectuées, nombre d’entre elles ne seront jamais rattrapées. Par ailleurs, à supposer que la demande soit au rendez-vous, l’offre le sera-t-elle ? Et réciproquement. Enfin, le retour de la confiance est un autre paramètre déterminant. Le scénario en V n’apparaît donc pas le plus probable ; un scénario en U, avec un temps de récupération plus long, paraît plus réaliste. Un scénario en L n’est pas à exclure, selon les séquelles, les effets d’hystérèse, les changements de comportement issus de cette crise.
En conclusion, d’après nos prévisions, le PIB français se contracterait de 3,1% en 2020 (moyenne annuelle cvs-cjo), une baisse plus importante qu’en 2009 (-2,8%), avant de rebondir de 5,4% en 2021. Il va sans dire que ces prévisions sont hautement incertaines et assorties d’un risque baissier.