Le 12 mars 2020, tandis que l’Italie, déjà gravement touchée par l’épidémie de coronavirus, renforçait ses mesures de confinement, et que son ancien premier ministre, Mattéo Renzi, exhortait l’Europe à en faire autant, le ton était encore serein à Washington. Misant sur la découverte rapide d’un vaccin, le président Trump comptait sur la disparition prochaine, autant que sur la faible diffusion, de la maladie[1]. Mais la tendance s’est, au contraire, aggravée, à tel point que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pourrait déclarer les États-Unis nouvel épicentre de l’épidémie. Au moment d’écrire ces lignes, la première puissance mondiale déplorait près de 280 000 cas déclarés et 7 000 décès. La contamination progressait, par ailleurs, sur une courbe exponentielle, comparable à celle déjà empruntée en Europe par les pays largement impactés.
Espace fédéral, le pays a, jusqu’à présent, réagi en ordre dispersé. Depuis le 15 mars, les États les plus touchés (New-York, Californie) imposent des mesures de confinement ou de distanciation à leur population, limitent les déplacements professionnels non essentiels, et ferment la plupart des lieux récréatifs (bars, restaurants, cinémas, théâtres, clubs de sport, etc.) et commerces. D’autres (New Jersey, Illinois, Floride, Texas, etc.) emboîtent le pas avec plus ou moins de fermeté. En dépit du souhait présidentiel de voir « toutes les églises remplies pour Pâques », l’impératif de protéger les populations s’impose localement et la liste des espaces exempts de toute restriction se réduit. L’économie des États-Unis se grippe. L’indice ISM (Investment Suply Manager) des commandes industrielles, bien corrélé à l’investissement donc à l’activité, est tombé à 42,2 au mois de mars, son plus bas niveau depuis 2009 ; la chute va se poursuivre, annonçant une contraction historique du PIB au deuxième trimestre de 2020.
Population à risque et soutien budgétaire massif
Le système de santé américain, bien que très moderne, n’est pas le mieux armé pour faire face à une épidémie de masse. Coûteux (les États-Unis lui consacrent 17 points de PIB, un record dans l’OCDE), ses capacités d’accueil n’en sont pas moins réduites (2,8 lits d’hôpitaux pour 1 000 habitants, soit deux fois moins qu’en France et trois fois moins qu’en Allemagne) et sélectives. En l’absence de couverture maladie universelle, ceux qui ne bénéficient pas d’une assurance privée, soit près de 106 millions d’Américains (un sur trois), n’y ont qu’un accès limité[2]. La protection étant le plus souvent liée à l’emploi, l’envolée du chômage (cf. graphique 2) aura pour effet d’augmenter le degré de vulnérabilité de la population face à l’épidémie.
Désormais consciente des enjeux, l’administration Trump a fait voter au Congrès le Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act (CARES), un plan de soutien budgétaire d’une capacité sans précédent (USD 2 200 milliards, soit 10% du PIB ou près de 50% de la dépense fédérale annuelle). À noter que celle-ci a été doublée sous la pression des Démocrates, majoritaires à la Chambre des représentants, de manière à répondre aux besoins des particuliers à revenu modeste ou ayant perdu leur emploi. Au-delà des prêts garantis aux entreprises, dont le montant pourrait aller jusqu’à USD 900 mds, l’État fédéral transférera, sous forme de crédits d’impôt ou extensions de droits, quelque USD 630 mds aux ménages américains (cf. tableau 3). Aussi chacun d’entre eux recevra-t-il, sous condition de revenu[3], un « chèque » d’un montant maximum de USD 3.000. Les indemnités chômage, variables selon les États mais qui, en moyenne, se montent à USD 300 par semaine, seront augmentées d’une part fédérale de USD 600 par semaine, pour une période de quatre mois prévue de s’achever le 31 juillet 2020.
Bazooka monétaire
Le gouvernement s’apprête donc à amortir un choc qu’il n’est plus question de nier, et que les marchés et la Banque centrale (Fed) ont déjà largement anticipé. Dès le 3 mars, celle-ci baissait ses taux directeurs, pour finalement les ramener au voisinage de zéro, le 15[4]. Les dispositifs d’apports exceptionnels de liquidité mis en place lors de la crise financière de 2008 ont aussi été réactivés, tandis que le programme d’achats d’actifs (quantitative easing), d’abord porté à un maximum de USD 700 mds par an, va désormais s’exercer sans limite (cf. encadré 4). Couplées aux accords de swap et actions menées par les autres banques centrales, ces mesures ont permis de ramener, au moins temporairement, un peu de calme sur les marchés de changes, où la course à la liquidité en dollar a fait se déprécier de nombreuses devises, et de taux d’intérêt, marqués par un très fort écartement des spreads.