La crise du coronavirus fait dérailler l’économie
En mars, l’économie allemande s’est quasiment immobilisée suite à un confinement presque complet de la population. Cette mesure est destinée en premier lieu à enrayer la propagation rapide du coronavirus et à éviter la surcharge du système de santé. Elle aura, néanmoins, un impact économique colossal.
L’éducation, les commerces non essentiels, les hôtels, les restaurants et l’industrie du tourisme sont totalement à l’arrêt. Dans certains services, l’activité a pu être maintenue, quoique à un rythme bien plus faible, grâce au télétravail. Dans l’industrie manufacturière, la production a dû être interrompue en raison de la désorganisation des chaînes d’approvisionnement. Dans l’automobile, elle a été mise à l’arrêt non seulement du fait de la rupture des chaînes logistiques ou de l’insuffisance du personnel, mais aussi de l’effondrement de la demande.
Les enquêtes du mois de mars indiquent une forte dégradation du climat des affaires. L’indice Ifo, indicateur fiable mesurant la confiance des chefs d’entreprises, a reculé de dix points, la plus forte baisse jamais enregistrée depuis la réunification de l’Allemagne. D’autres indicateurs disponibles dans un délai particulièrement court montrent également un repli brutal de la demande. A l’aéroport de Francfort, au cours de la semaine du 16 au 22 mars, le trafic passagers s’est effondré de près de 75 % par rapport à la même époque en 2019, tandis que le volume de fret a chuté d’environ 20 %. L’économie allemande est sous le choc.
Des mesures rapides et énergiques pour protéger l’économie
En mars, le gouvernement allemand a lancé un programme d’aide d’envergure historique ayant pour principal objet la protection de l’emploi et du revenu. Ce programme repose sur trois piliers. Premièrement, le soutien au secteur de la santé. Une enveloppe de EUR 3,5 mds a été débloquée pour financer les mesures d’urgence sanitaire, comme l’achat de masques et de tenues de protection, et soutenir les travaux de développement d’un vaccin. À cela s’ajoutent EUR 55 mds pour lutter contre la pandémie.
Deuxièmement, des mesures ont été adoptées en faveur de la protection de l’emploi, comme l’accès facilité au dispositif d’indemnisation du chômage partiel (Kurzarbeit), aux termes duquel l’Agence fédérale allemande pour l’emploi prend en charge 60 % à 67 % des pertes de salaires subies par les employés en activité réduite. Ce mécanisme a permis dans une large mesure de protéger l’emploi lors de la grande récession de 2008-2009. Au cours de cette période, l’Agence fédérale a versé environ EUR 10 mds, principalement aux salariés du secteur manufacturier. Cette fois, le programme sera plus largement utilisé par d’autres secteurs, comme le commerce de détail, l’hôtellerie et la restauration. De plus, les conditions d’éligibilité pour en bénéficier ont été assouplies. Il est difficile d’évaluer le coût de ces mesures, dont l’ampleur dépend de la gravité et de la durée de la crise (voir ci-dessous).
Troisièmement, et c’est de loin le pilier le plus important, un programme de grande ampleur en faveur des entreprises, moyennant le renforcement des dispositifs existants – mécanismes de soutien à la liquidité et de garantie des prêts, principalement par le biais de la Banque publique de développement KfW – mais aussi par la mise en place d’un nouveau plan d’aide aux petites entreprises et aux travailleurs indépendants. Les autorités fiscales accorderont, par ailleurs, des délais pour le paiement des impôts. De plus, des fonds ont été débloqués au niveau fédéral comme au niveau des Länder pour financer des prises de participation dans les entreprises en difficulté.
Le coût budgétaire est considérable. L’État fédéral allemand va contracter de nouveaux emprunts pour un montant total d’environ EUR 156 mds (4,5 % du PIB). Ce chiffre ne comprend pas d’éventuels appels de garantie d’emprunt ou participations au capital.
L’Allemagne apporte, par ailleurs, son soutien aux efforts engagés au niveau européen. Elle salue l’initiative d’investissement en réaction au coronavirus, pour un montant de EUR 25 mds. Elle a également ouvert ses hôpitaux aux patients des autres pays membres de l’UE, atteints du coronavirus. Cependant, le gouvernement allemand, qui refuse le principe d’une mutualisation des dettes en Europe, reste opposé à l’idée d’un emprunt « corona », qui aurait aidé les pays du sud de l’Europe, les plus durement frappés par le coronavirus, à financer les efforts de lutte contre l’épidémie.
Les perspectives dépendent de la durée et de la gravité de la crise
L’impact de la crise du coronavirus est beaucoup plus grave que tout ce que la République fédérale a pu connaître dans son histoire. Les pertes de production seront fonction de la durée de la période de confinement, de la baisse d’activité pendant cette période et de la phase ultérieure de redressement. Pour avoir un ordre de grandeur, l’institut Ifo a élaboré trois scénarios – un scénario bas, un scénario élevé et un scénario moyen, basés sur les attentes des entreprises issues de son enquête de mars – conjugués à différentes durées de confinement et périodes de redressement[1]. Ces calculs se fondent sur l’hypothèse que la durée de confinement dure 1 mois dans le scénario le plus clément jusqu’à trois mois dans le scénario du pire. En 2021, l’activité pourrait retrouver le niveau qui était le sien avant la crise dans tous les scénarios.
Dans le scénario le plus clément – PIB amputé de 40 % pour une durée d’un mois de confinement et d’un mois de redressement ultérieur – le taux de croissance annuel pourrait connaître une contraction d’environ 5 %. Dans le scénario le plus sévère, la chute du PIB consécutive à un mois de confinement s’inscrit à 48,7 % et le déclin du taux de croissance annuel pourrait être de 6,1 %. Si la durée de confinement est de deux mois et la période de redressement de trois mois, le taux de croissance annuel est amputé de 12 % et de 14 %, respectivement, dans le scénario bas et le scénario élevé. Dans le scénario du pire, un confinement pendant trois mois, suivi d’une période de redressement de quatre mois, les pertes pourraient représenter environ 20 % du PIB. Dans tous les scénarios, le nombre total de travailleurs à temps partiel dépasse largement celui de 1,5 million, atteint pendant la crise financière de 2008-2009. Dans le cas d’un confinement d’un mois, il faut s’attendre à un nombre de travailleurs à temps partiel compris entre 2,1 millions et 3,9 millions, d’après les calculs de l’institut Ifo. En cas de maintien du confinement pendant une durée de deux ou trois mois, ce nombre passe à 3,4 - 5,5 millions et à 4,2-6,6 millions, respectivement.
Les finances publiques seront, en toute probabilité, lourdement impactées. En termes de stabilisation, c’est là un effet souhaitable. Une étude menée sur l’impact des systèmes fiscaux et de transfert au sein de l’Union européenne et aux États-Unis, pendant la crise économique de 2008-2009, aboutit à la conclusion que les stabilisateurs automatiques absorberaient 48 % des chocs de revenu en Allemagne, contre 38 % au sein de l’UE et 32 % aux États-Unis[2]. Les scénarios de l’institut Ifo montrent que, selon la durée de la période de confinement et la gravité de la contraction de l’activité, la charge pour les finances publiques pourrait osciller entre EUR 50 mds ou 1,4 % du PIB (scénario bas, confinement d’un mois) et EUR 200 mds ou 5,7 % du PIB (scénario élevé, confinement de trois mois). Ces coûts budgétaires n’incluent pas les pertes au titre des prêts garantis par l’Etat ni la contribution au plan d’urgence européen. Les comptes publics allemands vont probablement rester déficitaires pendant une très longue période.