L’Espagne a été touchée de plein fouet par l’épidémie de Covid-19. Le pays était, à la fin du mois de mars, le deuxième foyer de contamination en Europe, après l’Italie. Le premier ministre Pedro Sanchez a annoncé des mesures budgétaires d’urgence conséquentes. Ainsi, EUR 200 mds (16,6% du PIB courant[1]) seront mobilisés, principalement sous forme de garanties bancaires et de reports de charges pour les entreprises.[2] Un moratoire sur les remboursements d’emprunts pour les ménages les plus vulnérables a été mis en place également. En effet, l’activité économique pourrait se contracter de 3,3% en 2020, avant un rebond en 2021. La croissance est restée soutenue en 2019 (+2,0%), même si l’activité économique et le marché de l’emploi étaient en phase de ralentissement depuis l’été dernier.
L’Espagne est particulièrement vulnérable au choc du Covid-19…
La structure de l’économie espagnole rend le pays particulièrement fragile face au choc du coronavirus. En premier lieu, l’Espagne est composée, pour une large part, de PME, dont la trésorerie est par nature moins solide que celle des grandes entreprises. En effet, près d’un tiers (32,1%) de la valeur ajoutée brute du secteur non financier provient d’entreprises de moins de 20 employés. C’est bien au-dessus de la moyenne européenne (27,2 %, UE-27)[3].
De plus, l’économie espagnole est fortement orientée vers le secteur des services. Ce secteur est composé, pour la majorité, d’activités dites « non essentielles » (tourisme, loisirs) et qui sont actuellement à l’arrêt. L’Espagne se place, là encore, dans la tranche haute de l’Union européenne, puisque les services représentent 74,2% de la valeur ajoutée totale, contre une moyenne de 73,0% au sein de l’UE.[4]
Enfin, l’Espagne continue de faire face à un chômage de masse. Bien qu’ayant baissé de façon significative depuis son pic de 2013 (26,2%, T2 2013), le taux de chômage s’établissait encore à 13,6% en février dernier. Même si l’activité économique repartait au deuxième semestre de 2020, les offres d’emplois prendront, selon toute vraisemblance, bien plus de temps à se rétablir, les entreprises devant d’abord assurer leur viabilité financière avant de réembaucher. Le chômage de long terme – qui a un impact bien plus profond sur les individus que le chômage de courte durée – pourrait donc s’accroître très fortement.
… mais avec un niveau d’endettement plus bas qu’en 2009-2011
Il est néanmoins important de noter que le choc du coronavirus intervient dans un contexte fiscal plutôt favorable pour le gouvernement espagnol : le déficit public s’est fortement réduit depuis la sortie de récession de l’Espagne en 2013 ; le solde primaire espagnol enregistrait alors un déficit de 3,6% de PIB.[5]
Les chiffres annuels finaux pour le compte des administrations publiques en 2019 ont été publiés le 31 mars. Le déficit primaire s’établissait à la fin de l’année dernière à 0,36% de PIB, ce qui correspond à une légère hausse par rapport à 2018 (le déficit était alors de 0,10% de PIB). Le solde structurel primaire de l’Espagne est, quant à lui, estimé en déficit de 0,8% de PIB en 2019.[6] Le gouvernement disposait donc, avant l’annonce de son plan d’urgence, d’une marge de manœuvre budgétaire pour faire face à la chute de l’activité économique.
L’économie espagnole dispose également d’une position financière moins « périlleuse » que durant la crise de 2008 et celle de la dette souveraine européenne en 2011. Si le ratio de la dette totale sur le PIB reste élevé, il a baissé de près de 30 points de PIB depuis le pic de T3 2014, pour s’établir à 267,3% en T3 2019. L’endettement privé (entreprises et ménages confondus) était à son plus bas niveau depuis le T3 2004 (voir graphique 2). Une partie de la baisse de l’endettement privé a été néanmoins transférée vers le secteur public. Ainsi, la dette publique s’élevait à 97,9% du PIB au T3 2019.[7]
Vers un retour de l’investissement public ?
Alors que les dépenses d’État vont augmenter très fortement en 2020, le rôle de l’investissement public comme soutien de la croissance économique pourrait reprendre une place importante dans le débat politique. En effet, l’investissement public en Espagne a stagné, même après la fin de la période de récession en 2013. La part de l’investissement public dans le PIB a considérablement chuté : elle s’établissait à 2,0% de PIB en 2019 contre un pic de 5,2% en 2009 (voir graphique 3). Cette baisse est le résultat de la politique de consolidation budgétaire menée par le précédent gouvernement de Mariano Rajoy, après une période de surinvestissement, notamment dans le secteur immobilier.
Une fois la crise sanitaire passée, le « gel » de l’investissement public pourrait être légitimement remis en cause. Tout d’abord, dans la santé, où la FBCF atteignait 0,8% de PIB (2017).[8] Plus généralement, les investissements publics ciblés, qui soutiennent l’innovation et accroissent la productivité, restent un moteur important de la croissance économique.
Des tensions politiques en veille, pour l’heure
Avec la crise du coronavirus, les divisions politiques qui secouent l’Espagne depuis plusieurs années ont été reléguées au second plan. Le gouvernement a reçu l’aval quasi-unanime du Congrès pour prolonger l’état d’urgence jusqu’au 12 avril. Il est toutefois à noter que le gouvernement de coalition avait réalisé quelques avancées notables en amont de la crise : le budget initial pour 2020 avait été validé par le Congrès à la fin du mois de février (budget qui a donc été nettement remanié depuis). Pour rappel, ce budget prévoyait, entre autres choses, une hausse du salaire minimum mensuel de 5,5%, à 950 euros, après une augmentation significative de 22% en 2019. L’objectif est de porter le salaire minimum à 60% du salaire moyen à la fin de la mandature actuelle en 2023.
Néanmoins, une fois la crise sanitaire passée, le premier ministre Pedro Sanchez restera sous pression. Le parti socialiste (PSOE) possède 120 sièges au Congrès.
Pour maintenir une majorité au Congrès, il doit négocier avec le Parti Séparatiste Catalan (ERC ; 13 sièges) et s’entendre avec son partenaire de coalition Podemos (35 sièges). Ce dernier souhaite ardemment revenir sur certaines réformes relatives au code du travail, mises en place par le précédent gouvernement de Mariano Rajoy. En particulier, Podemos souhaite réinstaurer des accords de branches en lieu et place des accords d’entreprises, qui ont été privilégiés ces dernières années. L’ERC demande, quant à lui, un referendum sur l’indépendance de la Catalogne et une amnistie de certains leaders séparatistes.
Certains opposants politiques (Partido Popular), et même la Banque d’Espagne[9], craignent que ces réformes du code du travail aient, in fine, un impact négatif sur la compétitivité des entreprises et freinent la croissance économique du pays.