La croissance économique mexicaine a bien résisté au premier semestre 2025. Le ralentissement devrait être plus marqué au cours des prochains trimestres : le dynamisme des exportations devrait s’estomper avec l’application des tarifs américains, tandis que la demande intérieure resterait à la peine. L’inflation devrait ralentir modérément, et le cycle d’assouplissement de la politique monétaire se poursuivrait en 2026. Les finances publiques représentent une faiblesse structurelle de l’économie mexicaine. Le soutien régulier à l’entreprise pétrolière Pemex, la rigidité des dépenses et les scénarios trop optimistes du gouvernement lors de la définition de son budget annuel ont conduit à l’échec des politiques de consolidation prévues par les gouvernements successifs. En conséquence, le déficit se creuse depuis 2019. Dans un contexte de ralentissement de la croissance, les marges de manœuvre gouvernementales pour soutenir l’économie sont limitées.
Croissance toujours en berne L’activité a un peu mieux résisté qu’anticipé au cours du premier semestre 2025, le PIB réel ayant progressé de 0,9% par rapport au S1 2024. Le dynamisme des exportations (dont la contribution à la croissance a été de 5,0 et 4,0 points de pourcentage respectivement au T1 et au T2) a en effet permis de compenser la faiblesse de la demande intérieure. Les contributions ont été négatives pour la consommation et l’investissement privés (de, respectivement, pour le total de la demande privée, -1,0 et -1,6 point de pourcentage au T1 et au T2).
Prévisions
Les perspectives ne sont pas favorables à court terme. L’estimation préliminaire du PIB au T3 montre une contraction de 0,3% par rapport au T2. D’une part, le ralentissement de la consommation privée et de l’investissement devrait se poursuivre (graphique 1). Les indices de confiance des investisseurs et des consommateurs se sont dégradés au cours des huit premiers mois de l’année, tandis que les transferts des travailleurs à l’étranger (représentant près de 4% du PIB et soutien important de la consommation privée mexicaine) ont reculé chaque mois depuis avril (de 8,3% en g.a. en août).
Cela reflète l’inquiétude des travailleurs concernant les changements de la politique migratoire américaine, le ralentissement du marché du travail américain et, dans une moindre mesure, l’appréciation du peso face au dollar (plus de 11% depuis le début de l’année). Cette tendance devrait se prolonger au cours des prochains mois. Enfin, le recul de la production industrielle s’est aggravé pendant l’été (-2,7 et -3,6% en g.a. respectivement en juillet et en août, après -1,3 % sur les six premiers mois de l’année).
Mexique : Ralentissement de la demande interne
D’autre part, le ralentissement attendu de la croissance aux États-Unis (destinataire de près de 85% du total des exportations) et les tensions commerciales entre les deux pays pèseront sur les exportations au cours des prochains mois. Au total, on s’attend à un léger rebond de la croissance en 2026, après un ralentissement marqué en 2025. Si le Mexique devrait échapper à la récession, selon ces prévisions, les risques restent néanmoins orientés à la baisse.
Projet d’augmentation des droits de douane La présidente Sheinbaum a annoncé fin septembre vouloir augmenter les tarifs douaniers sur près de 1 500 produits en provenance de pays avec lesquels le Mexique n’a pas d’accord de libre-échange, visant particulièrement les pays d’Asie, dont la Chine. Si cette hausse tarifaire est adoptée par le Parlement (les discussions se poursuivront jusque fin novembre), la mesure sera appliquée au mois de janvier, pour une durée d’un an. La mesure est présentée comme un écho au « plan Mexico » présenté en janvier 2025, destiné à développer l’industrie nationale, limiter les importations bon marché et augmenter les recettes fiscales.
Il nous semble plutôt que le gouvernement mexicain veut donner une garantie supplémentaire à l’administration Trump concernant la réduction de ses échanges commerciaux avec la Chine, alors que les négociations en vue du renouvellement de l’accord USMCA doivent se conclure à la mi-2026.
L’objectif serait de limiter le rôle du Mexique comme « pays connecteur » (les produits chinois sont importés par le Mexique, transformés puis ré-exportés aux États-Unis, permettant de contourner les tarifs). Le déficit commercial bilatéral du Mexique avec la Chine a presque doublé depuis la première vague de tarifs américains en 2018, passant de USD65 mds en 2017 à USD119 mds en 2024. La mesure concernerait environ 10% du total des importations (36% du total des importations est en provenance de pays avec lesquels le Mexique n’a pas d’accord de libre-échange ; la Chine à elle seule représente 21% du total). Le tarif moyen sur les importations mexicaines atteindrait 34%, contre 16% actuellement.
À court terme, si les nouveaux droits de douane mexicains sont effectivement appliqués, les niveaux des importations mexicaines et de la production industrielle ne devraient pas se trouver significativement modifiés. Le développement de substituts mexicains aux importations chinoises prendra du temps. Au cours des prochains mois, les produits de substitution seront donc toujours importés (d’autres pays ou régions).
En revanche, il existe un risque à court terme d’une hausse des coûts des chaînes d’approvisionnement (les produits importés coûteront a priori plus chers que les produits chinois). Cela pourrait se traduire par des pressions à la hausse sur les prix de certains produits de consommation finale.
En outre, si, comme annoncé, la mesure est temporaire, il n’y aura que très peu d'incitations à investir dans le développement de produits spécialisés qui redeviendraient non compétitifs dès la suppression des tarifs.
Le cycle d’assouplissement monétaire n’est pas arrivé à son terme En septembre, l’inflation est remontée pour le deuxième mois consécutif (à 3,8% en g.a.), après une brève période de désinflation en juin et juillet, en partie du fait de l’accélération des prix des biens de consommation. L’inflation sous-jacente augmente depuis le début de l’année (à 4,3% en g.a. en septembre) et se situe au-dessus de la borne haute de la Banque centrale (4%) depuis le mois de mai.
Malgré les pressions inflationnistes persistantes, la Banque centrale a baissé son taux directeur de 25 pb (à 7,5%, son plus bas niveau depuis trois ans) lors de sa dernière réunion fin septembre. L’assouplissement pourrait se poursuivre dans les mois à venir, la Banque centrale évoquant l’appréciation du peso, le ralentissement de l’activité et la forte incertitude de la politique commerciale américaine dans ses minutes publiées mi-octobre. La Banque centrale a confirmé son objectif de convergence de l’inflation vers 3% au T3 2026.
Finances publiques: la consolidation prendra du temps Les finances publiques représentent une faiblesse structurelle de l’économie mexicaine. Le déficit budgétaire s’est creusé régulièrement au cours des dernières années et devrait atteindre près de 4,4% du PIB en 2025 (1,6% en 2019).
Trois caractéristiques principales se retrouvent dans les budgets adoptés ces dernières années, permettant d’expliquer la dégradation continue du déficit :
La capacité du gouvernement à ajuster ses dépenses s’est considérablement réduite au cours des dernières années (graphique 2). Plusieurs catégories de transferts sociaux, subventions et pensions de retraites ont augmenté depuis le précédent gouvernement et continueront d’augmenter dans les années à venir, surtout si les réformes constitutionnelles proposées par le gouvernement actuel sont adoptées (concernant par exemple une augmentation des pensions de retraite). En période d’austérité, l’impossibilité de réduire ce type de dépenses contraint à diminuer l’investissement public, ce qui pèse sur les perspectives de croissance. Le soutien financier à l’entreprise pétrolière Pemex représente en moyenne 0,8% du PIB chaque année depuis 2019. Les hypothèses de cadrage macroéconomique retenues dans le budget sont généralement très optimistes, tant en termes de croissance du PIB que de production pétrolière. Les revenus attendus s’en trouvent surévalués. Comme elle s’y était engagée lors de sa campagne, la présidente Sheinbaum n’envisage pas de proposer de réforme fiscale de grande ampleur qui permettrait de rationaliser les dépenses et d’améliorer la collecte.
Mexique : Augmentation de la rigidité des dépenses publiques
Le budget 2026 présenté au mois de septembre dernier ne fait pas exception. Dans le cadre d’hypothèses particulièrement optimistes (la croissance du PIB est attendue à 2,3% en 2026), le gouvernement table sur une réduction du déficit public à 2,5% du PIB en 2030 (4,1% en 2026).
Cette fois encore, les objectifs paraissent difficilement réalisables. Pour 2025, le gouvernement a déjà revu à la hausse l’estimation de déficit attendu à 4,3% du PIB (3,9% dans le budget 2025), principalement à cause de revenus pétroliers inférieurs à la projection initiale.
Dans notre scénario, la consolidation observée en 2025 (liée à une nouvelle taxe sur le e-commerce) ne se poursuivra pas en 2026. Les recettes budgétaires générées par l’augmentation des tarifs douaniers supplémentaires sur les importations ne seront certainement pas suffisantes pour compenser la faiblesse de l’activité. Enfin, la création fin août d’un fonds d’investissement public-privé permettra de maintenir une partie du soutien à Pemex hors budget. Mais la promesse de mettre fin au soutien récurrent à Pemex d’ici 2027 paraît très ambitieuse.
Dans ce contexte, les marges de manœuvre dont dispose le gouvernement pour soutenir l’économie sont très limitées. Un dérapage du déficit public serait préoccupant, compte tenu de la dynamique de la dette. Le gouvernement fait face à une hausse des taux d’intérêt auquel il se finance et les paiements d’intérêts ont progressé au cours des dernières années. Ils pourraient dépasser 17% des revenus en 2025, contre 12% environ en 2019. Le taux d’intérêt moyen payé sur la dette publique est donc à présent supérieur à la croissance nominale, ce qui signifie qu’un excédent primaire plus important qu’auparavant (que nous estimons à 1,8% du PIB) est nécessaire pour stabiliser le ratio de dette publique. Or, le solde primaire est en moyenne autour de 0,9% depuis 2019. Autrement dit, le ratio de dette publique (estimé à 52,5% du PIB en 2025) devrait continuer à augmenter dans les prochaines années.
Le risque souverain reste cependant limité à court terme grâce à un profil favorable de la dette publique : les maturités sont longues, l’exposition au risque de change est modérée (23% du total de la dette est libellé en devises) et le gouvernement mexicain bénéficie d’un accès facile aux marchés financiers internationaux. Cependant, le gouvernement est vulnérable au retournement du sentiment des investisseurs, puisque 30% de la dette publique libellée en pesos est détenue par des investisseurs étrangers.
Achevé de rédiger le 17 octobre 2025