Le meilleur est passé
Le bilan macroéconomique de l’année 2018 est impressionnant : croissance du PIB record depuis 2007, taux de chômage historiquement bas, inflation contrôlée, déficits budgétaire et de la balance des paiements courants modérés et monnaie stable.
Malgré l’essoufflement de la croissance économique en zone euro (notamment en Allemagne) qui absorbe 58% des exportations polonaises, le PIB a continué de croître au rythme de 5% en glissement annuel (g.a.) au second semestre 2018, après 5,2% au premier semestre. Cette désynchronisation vis-à-vis du cycle européen s’explique par le renforcement de la demande intérieure (+5,5% en 2018 après +4,9% en 2017), la contribution du commerce extérieur à la croissance du PIB demeurant négative compte tenu d’une accélération des importations (+7%) supérieure à celle des exportations (+6,2%).
Solide moteur de la croissance économique, la consommation des ménages (+4,6% en 2018) a légèrement ralenti au S2 (+4,4% g.a.). Les tensions sur le marché du travail et les subséquentes fortes hausses de salaires (cf. infra) ont soutenu la confiance des ménages, malgré un léger fléchissement au cours des derniers mois. Dans le même temps, le crédit aux ménages a accéléré continûment durant l’année (+7% g.a. en 2018, après +2% en 2017).
L’investissement a bondi de 7,3% en 2018 grâce à un bon second semestre (+9,9% g.a. au T3 et +6,7% au T4). Selon l’institut statistique national (GUS), l’investissement des entreprises a été dynamique dans l’ensemble des secteurs d’activité et quelle que soit la taille des entreprises. Il a néanmoins légèrement ralenti en fin d’année notamment du côté des filiales de firmes étrangères dans un contexte européen plus incertain. Parallèlement, la progression rapide de l’investissement résidentiel a été moins vigoureuse au S2 2018. Le secteur souffre de contraintes d’offre liées notamment au manque de main d’œuvre et aux hausses de salaires dans la construction. Depuis deux ans, les prix de l’immobilier neuf ont progressé de 15% en moyenne dans les dix principales villes polonaises. Enfin, l’investissement public a continué de bénéficier pleinement des co-financements de l’UE (fonds structurels).
Corollaire du dynamisme de la demande intérieure, les services ont progressé fortement jusqu’au T3 2018, avant de fléchir. La production industrielle a été tirée par la construction (+17% en 2018) et le secteur manufacturier (+5,2% en 2018 et +6,1% g.a. sur les deux premiers mois de 2019). Mais l’indice PMI manufacturier est passé sous le seuil de 50 depuis novembre. Le taux d’utilisation des capacités de production (82%) a baissé et les exportations ont ralenti, notamment en biens intermédiaires. Cela concerne le secteur automobile perturbé par l’introduction des nouvelles normes anti-pollution. Autre facteur pesant sur la compétitivité des exportations, le zloty (PLN) est désormais considéré comme surévalué par de nombreux industriels polonais.
…mais les perspectives restent positives
La dégradation des conditions extérieures pèsera sur la croissance polonaise en 2019-2020. Toutefois, la bonne tenue de la demande intérieure, soutenue par les mesures de relance budgétaire annoncées le 23 février, et une politique monétaire plutôt accommodante devraient amortir le retournement conjoncturel. La détérioration des fondamentaux macroéconomiques serait limitée.
La croissance du PIB ralentirait à 4% cette année et 3,5% en 2020 mais elle resterait au-dessus de la moyenne des autres pays d’Europe centrale (~3%). Le stimulus budgétaire, estimé entre 1,5% et 2% du PIB sur deux ans (PLN 40 mds par an), devrait soutenir la consommation à travers trois mesures phares : 1/ l’extension du programme « Famille 500+ » (PLN 500 soit environ EUR 116 pour chaque enfant à partir du second) dès le premier enfant et sans conditions de revenus ; 2/ l’octroi aux retraités d’une prime de PLN 1100 (environ EUR 256); 3/ des baisses d’impôt sur le revenu et une exemption pour les jeunes de moins de 26 ans.
La politique budgétaire expansionniste devrait se traduire par un creusement du déficit du gouvernement général. Face aux inquiétudes de dérapage des finances publiques, le gouvernement a réitéré son engagement à maintenir le déficit sous la barre de 3% du PIB et pourrait freiner les dépenses en investissement public. La trajectoire favorable de la dette publique devrait ainsi se poursuivre en 2019-2020. Dans la perspective des échéances électorales (européennes et législatives), le gouvernement semble avoir arbitré en faveur des dépenses sociales dont les bénéfices politiques à court terme dépassent ceux des dépenses d’investissement public, qui ont pourtant théoriquement un effet multiplicateur sur la croissance économique plus élevé. La manne résiduelle des fonds structurels européens pour les deux dernières années du programme 2014-2020 (estimée à plus de EUR 36 mds) pourrait ainsi n’être que partiellement absorbée. Au final, l’investissement total devrait donc ralentir même si l’investissement des entreprises reste dynamique.
Déséquilibres extérieurs et tensions inflationnistes limités
Les comptes extérieurs de la Pologne ne suscitent pas d’inquiétude particulière, même si le surplus de la balance des paiements courants a disparu au S2 2018 et que le déficit devrait se creuser en 2019-2020. Le déficit de la balance commerciale restera modéré et la balance des services dégagera encore des surplus importants. De plus, sous l’hypothèse de moindres profits générés par les investissements directs étrangers en Pologne, le large déficit de la balance des revenus diminuerait légèrement. Les réserves de change constituent un matelas de protection confortable : elles couvrent près de cinq mois d’importations et l’intégralité de la dette à court terme. Dans un contexte de politiques monétaires toujours accommodantes en Europe et aux Etats-Unis, la Pologne devrait demeurer attractive pour les investisseurs étrangers et le taux de change relativement stable en dépit de certains risques (géo)politiques.
Contenue au-dessous de 2% en 2017-2018 grâce à la baisse du NAWRU (le taux de chômage n’accélérant pas les pressions à la hausse sur les salaires, cf. infra) et au recul des prix des matières premières fin 2018, l’inflation devrait accélérer graduellement. L’output gap (écart entre croissance observée, estimée à 3,5%, et croissance potentielle) restera positif au cours des prochains trimestres, et les salaires devraient continuer de progresser significativement en termes nominaux et réels. L’inflation globale et sous-jacente convergeant vers la cible de 2,5% en 2020, la banque centrale (NBP) pourrait alors amorcer une hausse modérée de son taux directeur fixé à 1,5% depuis mars 2015. Le gouverneur Adam Glapinski a toutefois indiqué début avril ne pas anticiper de changement de taux d’intérêt d’ici la fin du mandat de l’actuel conseil de politique monétaire en 2022.
Démographie, offre de travail, salaires, productivité : la quadrature du cercle
Le taux de chômage a baissé de 9% en 2014 à 3,8% en 2018 (données Eurostat). Cette situation de plein emploi se traduit par des pénuries de main-d’œuvre contraignant les capacités de production, notamment dans la construction et l’industrie. Toutefois, la progression de la productivité et l’afflux de travailleurs étrangers, notamment ukrainiens (environ 1 million depuis 2014 grâce aux procédures simplifiées d’obtention d’un permis de travail pour 6 pays hors UE), a permis de limiter la hausse des coûts salariaux unitaires et de réduire le NAWRU. En termes réels, les salaires ont accéléré de +2,5% par an entre 2010 et 2016 à +5,5% en 2018. Dans le même temps, la croissance de la productivité du travail a fait de même, passant de 4,5% par an en 2010-2016 à 6,5% en 2018 (FMI, Country Report 19/38, Selected issues, février 2019). Cependant, le retard de comptabilisation des travailleurs étrangers dans les statistiques officielles d’emploi (12 mois) tendrait à minorer la progression de la productivité au cours des dernières années.
Alors que la concurrence européenne, surtout allemande, pour attirer des travailleurs qualifiés pourrait s’intensifier au cours des prochaines années, l’innovation et l’automatisation sont des réponses aux pénuries d’offre de travail et à la recherche de gains de productivité. Mais endiguer le lent déclin démographique à l’œuvre depuis deux décennies à travers des politiques familiales et migratoire (incitations au retour des polonais émigrés) volontaristes demeure crucial pour soutenir la croissance potentielle et les perspectives macroéconomiques du pays à moyen et long terme.