Eco Emerging

Un modèle de gestion des finances publiques

17/04/2019
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Repli des exportations

La croissance économique a atteint 3,2% en 2018, un niveau toujours solide mais néanmoins inférieur à celui de 2017 (tableau 1). La croissance a principalement souffert de la contraction de l’investissement et de la baisse d’activité dans le secteur exportateur. Le ralentissement devrait se poursuivre en 2019, et la croissance atteindre 2,5%.

Les exportations de marchandises se sont contractées de 0,3% en glissement annuel (g.a.) sur la période novembre 2018-février 2019, après avoir augmenté de 12,5% sur la période janvier-octobre 2018. Les exportations de produits locaux non pétroliers ont quant à elles chuté de 6,5% en g.a. depuis novembre (graphique 2). Cette dégradation résulte principalement du retournement du cycle électronique et des conséquences des hausses des droits de douane américains imposées à la Chine (baisse des exportations vers la Chine, effets de contagion via les chaines de valeur régionales). Singapour est particulièrement pénalisé par sa forte exposition à la demande chinoise (13% des exportations, ou 16% du PIB), sa forte participation aux chaînes de valeur dans le secteur de la haute technologie et la diversification limitée de ses exportations (environ un cinquième est constitué de semi-conducteurs). A très court terme, les perspectives d’exportation restent sombres ; elles dépendront notamment de l’issue des négociations entre les Etats-Unis et la Chine, toujours en cours.

Prévisions

La contribution du commerce extérieur net à la croissance du PIB a été positive en 2018, car la progression en volume des importations de biens et services a connu un ralentissement plus marqué que celle des exportations. Ce soutien à la croissance ne suffit plus car le fléchissement de l’activité dans le secteur exportateur a des répercussions sur le reste de l’économie. Au T4 2018, il a contribué à un mouvement de déstockage et à la baisse de l’investissement en machines-outils et équipements (-4,1% en g.a. après quatre trimestres de hausse). De plus, l’emploi dans le secteur manufacturier a diminué après l’expansion enregistrée au T3 2018.

Contraction des exportations de biens technologiques

L’investissement s’est contracté de 3,4% en termes réels en 2018, après avoir augmenté de 5,3% en 2017. Ce repli a concerné toutes les grandes composantes de l’investissement, et plus particulièrement la construction résidentielle (-11,8%). L’investissement en machines-outils et équipements a un peu mieux résisté, ne fléchissant qu’au T4 2018. A court terme, les investisseurs du secteur manufacturier resteront prudents étant donné les menaces protectionnistes et les incertitudes qui pèsent sur les perspectives d’exportation. L’investissement privé dans la construction de logements devrait rester déprimé. En revanche, l’investissement dans les projets de construction publics devrait rebondir, et permettre une stabilisation de la croissance de l’investissement total sur l’année 2019.

La consommation privée est restée un important contributeur à la croissance du PIB en 2018 malgré son ralentissement à 2,4% en g.a. contre 3,2% en 2017. Les conditions du marché du travail sont restées tendues, avec une hausse des salaires toujours solide (+3,5% en 2018) et un emploi stable (soutenu par les services). En 2019, la croissance de la consommation privée devrait continuer à décélérer, en raison des répercussions du repli des exportations sur le marché du travail, de moindres effets de richesse (le marché de l’immobilier est entré dans une nouvelle phase de correction) et d’un léger durcissement des conditions de crédit.

Le resserrement monétaire devrait marquer une pause

Les taux d’intérêt courts ont légèrement augmenté depuis la fin 2016, en ligne avec les taux d’intérêt américains et internationaux. La banque centrale (Monetary Authority of Singapore, ou MAS) a également commencé à durcir sa politique monétaire en 2018 en réponse à la hausse (très modérée) de l’inflation (graphique 3). Le taux d’appréciation de la bande de fluctuation du taux de change effectif nominal du SGD a été légèrement relevé en avril puis en octobre, le portant à 1% contre 0% en 2016-2017[1].

Léger resserrement des conditions financières

Les conditions de crédit sont devenues légèrement plus restrictives. Le crédit bancaire au secteur privé domestique s’est essoufflé en 2018 après s’être lentement redressé au cours des deux années précédentes (+3,9% en g.a. en termes réels à fin 2018 contre 4,8% à fin 2017). De plus, en juillet 2018, les autorités ont introduit de nouvelles mesures prudentielles destinées à ralentir l’activité sur le marché immobilier (hausse des droits de timbre, baisse des ratios prêt/valeur). En conséquence, après une période de redressement de la mi-2017 à la mi-2018, la progression des volumes de transactions immobilières et du crédit hypothécaire a ralenti au S2 2018, et les prix de l’immobilier lui ont emboîté le pas.

Le durcissement de la politique monétaire devrait marquer une pause à très court terme avant de reprendre d’ici la fin de l’année. En effet, la hausse des taux directeurs américains doit s’interrompre tandis que la détérioration du commerce extérieur et la récente baisse des prix de l’énergie devraient conduire la MAS à réviser ses anticipations à court terme par rapport à octobre dernier (avec notamment une inflation attendue plus faible que prévu et un marché du travail moins tendu).

Politique budgétaire expansionniste vertueuse

Alors que l’objectif de la politique monétaire est la stabilité des prix, les autorités ont recours à la politique budgétaire pour soutenir l’activité à court terme et renforcer les perspectives de croissance économique à moyen terme. Les mesures contra-cycliques l’an dernier ont conduit à une légère détérioration du solde budgétaire. Celle-ci devrait se poursuivre en 2019, mais n’est pas source d’inquiétude étant donné la solidité des comptes publics.

L’excédent budgétaire s’est réduit à 0,4% du PIB sur l’exercice 2018 (allant d’avril 2018 à mars 2019) contre 2,3% en 2017, et le budget 2019 prévoit un déficit de 0,7%. L’augmentation prévue des dépenses bénéficiera notamment à la protection sociale (la santé en particulier), aux infrastructures et aux PME. Le budget 2019 n’inclut pas de mesure importante de hausse des recettes, mais un relèvement de la taxe sur les produits et services (de 7% à 9%), annoncé en 2018, doit intervenir à partir de 2021.

A moyen terme, les autorités prévoient une hausse continue des dépenses publiques de nature structurelle (modernisation des infrastructures, éducation, santé, innovation, etc.) pour répondre au vieillissement de la population et au ralentissement de la croissance. La stratégie vise à augmenter la productivité et à renforcer le modèle de croissance basé sur l’innovation et les hautes technologies. Le gouvernement dispose d’une marge de manœuvre très confortable lui permettant d’absorber une hausse de ses dépenses. Il s’impose depuis longtemps un ensemble de règles strictes de discipline budgétaire. Ainsi, chaque administration doit présenter un budget équilibré sur la durée de son mandat de cinq ans. Les emprunts publics ne peuvent qu’être utilisés que pour des investissements et non pour financer des dépenses récurrentes ou de fonctionnement. De plus, le paiement des intérêts sur la dette doit être entièrement couvert par les rendements des investissements.

Cette politique a permis l’accumulation d’actifs par le gouvernement, qui affiche une position financière nette très solide. Son ratio de dette brute sur PIB semble élevé (112% à fin 2018), mais cette dette est en réalité principalement constituée d’obligations non négociables émises pour le système national de fonds de pensions (qui est financé par les cotisations des citoyens), ainsi que de titres émis pour développer les marchés obligataires locaux et de titres à long terme offrant aux particuliers une option d’épargne sûre. En outre, le total des actifs du gouvernement, estimé, dépasse le niveau de sa dette. Ces actifs sont gérés par les fonds souverains Temasek et GIC, et les rendements de leurs investissements apportent des revenus budgétaires importants et réguliers. Le gouvernement de Singapour dispose donc d’importantes ressources qui lui permettront de faire face aux augmentations de dépenses structurelles des prochaines années.

[1]Le dollar singapourien (SGD) est géré via son taux de change effectif nominal, qui est autorisé à évoluer dans une bande de fluctuation et dont le taux d’appréciation est annoncé tous les six mois par la banque centrale. Le taux de change étant la cible de la politique monétaire et les capitaux circulant librement, les taux d’intérêt singapouriens sont déterminés essentiellement par les taux d’intérêt étrangers et les anticipations de change.

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