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Rebond des investissements de portefeuille : une gestion pas si passive

17/04/2019
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Les conditions de financement extérieur des pays émergents, qui s’étaient durcies au dernier trimestre 2018, se sont détendues depuis le début de l’année. Les primes de risque sur la dette en devises des Etats et des entreprises calculées à partir des indices JP Morgan et Crédit Suisse, ont diminué de respectivement 70 et 60 points de base (pb) par rapport à leur point haut de fin 2018-début 2019, les contreparties notées B (c’est-à-dire les plus risquées) ayant même enregistré les plus fortes baisses (respectivement -110 et -140 pb). Parallèlement, l’ensemble des devises émergentes se sont appréciées par rapport au dollar à l’exception du peso argentin et de la livre turque. Par ailleurs, les émissions d’obligations internationales des principaux Etats emprunteurs sur le marché (pays du Golfe, etc.) se sont placées facilement.

Plus généralement, les investissements de portefeuille de non- résidents se sont nettement redressés depuis le début de l’année ; selon les premières estimations de l’IIF (Institute of International Finance), ils ont atteint USD 109 mds au T1 2019 (87 mds hors investissements sur les marchés d’actions chinois). C’est deux fois plus que sur la période de mai à décembre 2018 et, hors Chine, c’est même près de sept fois plus. Certes, comme le souligne l’IIF, la reprise est concentrée sur quelques grands pays (Corée du Sud, Inde, Indonésie, Mexique). Elle traduit cependant un plus fort appétit pour le risque des investisseurs depuis l’annonce d’une conduite prudente et flexible du durcissement monétaire aux Etats-Unis et une pause dans la réduction de la taille du bilan de la Fed. Elle correspond également à une amélioration du rendement des opérations de carry trade (cf. graphique). Après correction des effets de valorisation, l’IIF conclut même à une surexposition des investisseurs aux pays émergents (EM positionning overhang).

La gestion passive : un courant de fond

Retour du carry trade

L’afflux d’investissements de portefeuille soulève naturellement des questions sur les risques qu’ils font peser, en cas de stress, sur la stabilité des marchés financiers des pays receveurs. Dans le dernier Global Financial Stability Report, les économistes du FMI présentent une étude détaillée des risques potentiels liés au développement des fonds indiciels cotés (Exchange Trade Funds) et fonds indexés et, d’une manière plus générale, de la gestion de portefeuille dite « passive »[1].

Selon le FMI, le montant des fonds émergents obligataires en gestion passive (indexée sur les indices JP Morgan-Chase) a atteint USD 800 mds en 2018. A première vue, cela ne représente qu’une toute petite part du montant total des dettes sous-jacentes (2% pour le compartiment de la dette en devises, 1% pour celui de la dette souveraine en monnaie locale). Mais, en pratique, la gestion passive est appliquée au-delà du champ des ETF et des fonds indexés. Selon le FMI, 70% des fonds seraient influencés par les indices de référence. D’autre part, le montant de USD 800 mds représente 40% du cumul des flux d’investissements obligataires des non-résidents sur la dernière décennie. Les fonds actions en gestion passive représentent une part plus conséquente de la capitalisation totale (10%) et probablement l’essentiel des investissements des non-résidents sur les marchés actions.

Les ETF et les fonds indexés ont, sinon la masse critique, du moins un effet d’entraînement suffisant pour générer de l’instabilité sur les marchés d’obligations, d’actions et, indirectement, de change par leur changement de positionnement de marché[2].

Premièrement, les fonds indexés sont très sensibles aux déterminants des prix d’actifs communs à l’ensemble des pays émergents (facteurs globaux) comme l’orientation de la politique monétaire américaine et du dollar, l’état de la volatilité sur les marchés développés, les inflexions de la croissance chinoise[3]. En effet, les fonds indexés considèrent les pays émergents comme une classe d’actif à part entière et ne font pas, ou peu, de discrimination entre pays. Il s’ensuit que les pays fragiles bénéficient, comme les pays robustes, d’un afflux de capitaux en phase de prise de risque et d’un reflux en phase de réduction du risque.

Deuxièmement, les méthodes de révision de la composition du panier de pays composant les principaux indices de référence conduisent à plafonner le poids des gros émetteurs et à gonfler celui des petits. Aussi, pour de petits émetteurs, la part des investisseurs non-résidents dans la dette souveraine libellée en monnaie locale peut-elle être très importante.

[1] Une stratégie d’allocation d’actifs répliquant la structure d’un indice de référence. Dans le cas des fonds émergents obligataires, les indices sont ceux de JP Morgan-Chase.

[2] Les autres catégories d’investisseurs peuvent introduire de l’inertie (investisseurs institutionnels) ou jouer à contre-courant (hedge funds notamment).

[3] En moyenne, la corrélation entre les flux d’investissements reçus par chaque pays et ceux reçus par l’ensemble des pays émergents est de 80% pour les fonds indexés contre 30% pour l’ensemble des flux d’investissements de portefeuille, tous investisseurs confondus.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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