Edito

Coronavirus : évaluer les conséquences économiques

13/02/2020
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Chiffrer les conséquences du coronavirus est un énorme défi. On peut les quantifier sur certains sujets grâce à un niveau satisfaisant de visibilité : répercussions internationales du choc de demande ou encore augmentation globale de l'incertitude. La visibilité relative aux effets des ruptures d’approvisionnement est beaucoup plus faible. La visibilité des impacts sur la Chine est encore moindre. À court terme, la différence entre la prévision consensuelle et le résultat devrait être supérieure à la normale. Cependant, si le pic de l'épidémie est atteint rapidement, la visibilité devrait s'améliorer très vite et donc soutenir la confiance.

Eu égard au poids de la Chine dans l’économie mondiale, l’évaluation des conséquences du coronavirus pour la croissance économique est d’une importance capitale, mais c’est aussi une tâche redoutable. En effet, nous ne disposons pas encore de données macroéconomiques collectées depuis l’apparition de l’épidémie. Les répercussions liées à la rupture de la chaîne d’approvisionnement constituent une source de complexité supplémentaire. Vient ensuite le rôle de facteurs psychologiques : dans quelle mesure la chute de la confiance va-t-elle impacter les dépenses, en Chine comme dans le reste du monde??

À cet égard, les signaux envoyés par les marchés financiers n’apportent pas un grand éclairage. L’épidémie a provoqué un recul très passager à Wall Street et le S&P500 a inscrit de nouveaux plus hauts historiques. Les indices européens ont aussi affiché de bonnes performances. Cela traduit probablement l’idée selon laquelle le choc est très temporaire avec des conséquences en moyenne, assez limitées, pour les entreprises américaines et européennes. À l’évidence, il en va tout autrement des entreprises chinoises : l’indice de Shanghai est toujours aussi déprimé par rapport à son niveau antérieur à la crise.

ÉVOLUTION DES MARCHÉS

Sans doute la psychologie des investisseurs privés joue également un rôle. Le plongeon des cours des matières premières (pétrole, cuivre) traduit l’anticipation d’un fort repli de la demande, chinoise essentiellement, mais cela ne nous informe guère sur les impacts que cela aura dans le reste du monde. Les rendements des Treasuries ont rebondi, tout en restant en-deça du niveau d’avant la crise. Les investisseurs en obligations et en actions n’ont donc pas exactement la même appréciation des perspectives de croissance, même si l’anticipation d’un geste de la Fed sur les taux, en cas de besoin, pourrait également jouer un rôle.

Comme nous l’indiquions dans le dernier numéro d’Ecoweek, l’épidémie combine chocs de demande, d’offre et de confiance. L’évaluation du choc d’offre est d’autant plus difficile de par le manque de données. Ce choc dépend de l’organisation spécifique des chaînes de valeur, à l’échelle de chaque entreprise, du niveau des stocks, ainsi que de l’(im)possibilité de trouver des sources d’approvisionnement alternatives. Certaines informations font état d’un impact considérable lié à la rupture de la chaîne d’approvisionnement[1]. La tâche n’est guère plus facile concernant le choc de la demande en Chine. Le produit régional brut de la province de Hubei, l’épicentre de l’épidémie, représente 4,2 % du produit national. En partant de l’hypothèse réaliste d’une contraction significative de l’activité, l’on aboutit à un impact non négligeable sur le pays dans son ensemble, auquel il convient d’ajouter les effets indirects sur les autres régions : une chute de la demande dans la province de Hubei va entraîner une diminution des achats de biens et de services produits dans le reste du pays. Les effets d’une baisse de la confiance devraient également freiner les dépenses dans le pays tout entier.

Concernant les répercussions internationales, une étude du FMI montre qu’une baisse de la croissance chinoise de 1 % se traduit par un repli de 0,2 %[2] de la croissance de l’Union européenne à moyen terme. Le chiffre pour les Etats-Unis devrait même être plus bas[3]. Pour l’Afrique subsaharienne, cet impact est de -0,7 %, pour l’Asie, il est d’environ -0,3 % et pour l’Amérique latine et les Caraïbes de -0,4 %[4]. Il y aussi l’impact lié à la hausse significative de l’incertitude. Du point de vue de l’analyse, cela pose deux défis : l’évaluation de cette hausse et l’estimation de son impact. Concernant le premier de ces défis, une étude récente de la BCE[5] montre le développement de l’incertitude économique et commerciale depuis le milieu des années 1990. Elle permet d’évaluer l’impact de certains événements (le 11 septembre, la guerre en Irak, la crise de la dette souveraine dans la zone euro, etc.) sur l’incertitude. À l’exception de la faillite de Lehman Brothers, les chocs correspondent pour la plupart à une variation de la mesure de l’incertitude d’environ un écart type. À l’évidence, cela ne nous dit pas où se situe l’épidémie de coronavirus sur cette échelle, mais cela permet d’établir une comparaison, très subjective, il faut bien l’admettre. La montée de l’incertitude dépendra manifestement de l’exposition économique. Par conséquent, elle sera bien plus forte en Chine qu’en Europe. Dans l’hypothèse d’un choc de confiance temporaire d’un écart type pour la zone euro, l’impact maximum sur la croissance devrait être d’environ -0,3 %[6].

Pour conclure, sur certains sujets, nous avons un niveau de visibilité satisfaisant de l'ordre de grandeur: conséquences internationales du choc de la demande, répercussions de l'augmentation globale de l'incertitude. La visibilité est beaucoup plus réduite concernant les effets de la rupture d'approvisionnement. C'est encore plus le cas pour l'impact sur la Chine. Cela signifie qu'à court terme, les surprises des données économiques - la différence entre la prévision consensuelle et le résultat - devraient être supérieures à la normale, ce qui devrait être une source de volatilité du marché. Cela pourrait même pousser les entreprises à adopter une attitude attentiste jusqu'à ce que la situation s’éclaircisse. Dans la mesure où le pic de l'épidémie est atteint rapidement, cela devrait améliorer la visibilité de l'évolution de la demande et de l'activité et donc soutenir la confiance.


Certaines conséquences du coronavirus sont quantifiables : retombées internationales du choc de demande, répercussions de l'augmentation mondiale de l'incertitude. La visibilité est beaucoup plus faible en ce qui concerne les effets des ruptures d'approvisionnement et, plus encore, l'impact sur la Chine.

[1] Alibaba chief blames spread of virus for disruption to staffing and deliveries, Financial Times, 14 février 2020.

[2] Source : China spillovers. New Evidence from Time-Varying Estimates, Davide Furceri, João Tovar Jalles et Aleksandra Zdzienicka, FMI, Spillover, Note 7, 2016

[3] Ceci est basé sur une autre étude du FMI qui calcule l’impact sur le niveau des exportations d’un choc de demande de 1% en Chine. Pour les E-U ils obtiennent un chiffre de 0,4%, en ligne avec celui de l’Allemagne et inférieur au résultat pour l’UE (source: Spillover implications of China’s Slowdown for International Trade, Patrick Blagrave et Esteban Vesperoni, IMF Spillover Note 4, 2016).

[4] Ceci est lié aux exportations de matières premières (effet prix et effet volume).

[5] Encadré 1. Suivre l’incertitude économique mondiale : répercussions sur l’investissement et le commerce au niveau mondial, Bulletin économique de la BCE n° 1 2020. Les mesures de l’incertitude économique par la BCE se fondent sur les erreurs de prévision liées aux modèles pour une large sélection de variables économiques concernant seize partenaires commerciaux de la zone euro, qui, ensemble, représentent environ 70 % du PIB mondial.

[6] Source : Encadré I.1 : The economic impact of uncertainty assessed with a BVAR model, Commission européenne, Prévisions économiques du printemps 2017

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