Sans doute la psychologie des investisseurs privés joue également un rôle. Le plongeon des cours des matières premières (pétrole, cuivre) traduit l’anticipation d’un fort repli de la demande, chinoise essentiellement, mais cela ne nous informe guère sur les impacts que cela aura dans le reste du monde. Les rendements des Treasuries ont rebondi, tout en restant en-deça du niveau d’avant la crise. Les investisseurs en obligations et en actions n’ont donc pas exactement la même appréciation des perspectives de croissance, même si l’anticipation d’un geste de la Fed sur les taux, en cas de besoin, pourrait également jouer un rôle.
Comme nous l’indiquions dans le dernier numéro d’Ecoweek, l’épidémie combine chocs de demande, d’offre et de confiance. L’évaluation du choc d’offre est d’autant plus difficile de par le manque de données. Ce choc dépend de l’organisation spécifique des chaînes de valeur, à l’échelle de chaque entreprise, du niveau des stocks, ainsi que de l’(im)possibilité de trouver des sources d’approvisionnement alternatives. Certaines informations font état d’un impact considérable lié à la rupture de la chaîne d’approvisionnement[1]. La tâche n’est guère plus facile concernant le choc de la demande en Chine. Le produit régional brut de la province de Hubei, l’épicentre de l’épidémie, représente 4,2 % du produit national. En partant de l’hypothèse réaliste d’une contraction significative de l’activité, l’on aboutit à un impact non négligeable sur le pays dans son ensemble, auquel il convient d’ajouter les effets indirects sur les autres régions : une chute de la demande dans la province de Hubei va entraîner une diminution des achats de biens et de services produits dans le reste du pays. Les effets d’une baisse de la confiance devraient également freiner les dépenses dans le pays tout entier.
Concernant les répercussions internationales, une étude du FMI montre qu’une baisse de la croissance chinoise de 1 % se traduit par un repli de 0,2 %[2] de la croissance de l’Union européenne à moyen terme. Le chiffre pour les Etats-Unis devrait même être plus bas[3]. Pour l’Afrique subsaharienne, cet impact est de -0,7 %, pour l’Asie, il est d’environ -0,3 % et pour l’Amérique latine et les Caraïbes de -0,4 %[4]. Il y aussi l’impact lié à la hausse significative de l’incertitude. Du point de vue de l’analyse, cela pose deux défis : l’évaluation de cette hausse et l’estimation de son impact. Concernant le premier de ces défis, une étude récente de la BCE[5] montre le développement de l’incertitude économique et commerciale depuis le milieu des années 1990. Elle permet d’évaluer l’impact de certains événements (le 11 septembre, la guerre en Irak, la crise de la dette souveraine dans la zone euro, etc.) sur l’incertitude. À l’exception de la faillite de Lehman Brothers, les chocs correspondent pour la plupart à une variation de la mesure de l’incertitude d’environ un écart type. À l’évidence, cela ne nous dit pas où se situe l’épidémie de coronavirus sur cette échelle, mais cela permet d’établir une comparaison, très subjective, il faut bien l’admettre. La montée de l’incertitude dépendra manifestement de l’exposition économique. Par conséquent, elle sera bien plus forte en Chine qu’en Europe. Dans l’hypothèse d’un choc de confiance temporaire d’un écart type pour la zone euro, l’impact maximum sur la croissance devrait être d’environ -0,3 %[6].
Pour conclure, sur certains sujets, nous avons un niveau de visibilité satisfaisant de l'ordre de grandeur: conséquences internationales du choc de la demande, répercussions de l'augmentation globale de l'incertitude. La visibilité est beaucoup plus réduite concernant les effets de la rupture d'approvisionnement. C'est encore plus le cas pour l'impact sur la Chine. Cela signifie qu'à court terme, les surprises des données économiques - la différence entre la prévision consensuelle et le résultat - devraient être supérieures à la normale, ce qui devrait être une source de volatilité du marché. Cela pourrait même pousser les entreprises à adopter une attitude attentiste jusqu'à ce que la situation s’éclaircisse. Dans la mesure où le pic de l'épidémie est atteint rapidement, cela devrait améliorer la visibilité de l'évolution de la demande et de l'activité et donc soutenir la confiance.
Certaines conséquences du coronavirus sont quantifiables : retombées internationales du choc de demande, répercussions de l'augmentation mondiale de l'incertitude. La visibilité est beaucoup plus faible en ce qui concerne les effets des ruptures d'approvisionnement et, plus encore, l'impact sur la Chine.