Depuis mi-2018, l’activité économique est restée quasiment étale. Dans un premier temps, la situation a été, dans une large mesure, attribuée à des facteurs temporaires, tels que l’introduction de la nouvelle réglementation sur les gaz d’échappement des voitures. Au second semestre 2018, la production automobile était en baisse de 7,1 % par rapport aux six mois précédents. De plus, suite à une longue période de sécheresse, les eaux du Rhin ont atteint leur plus bas niveau historique, perturbant sérieusement le transport de fret sur la voie navigable la plus fréquentée d’Europe. L’industrie chimique en a particulièrement pâti.
Un fléchissement qui n’est pas qu’anecdotique
Cependant, plus le second semestre avançait et plus il devenait évident que le ralentissement ne pouvait s’expliquer uniquement par des facteurs temporaires. Les problèmes de l’industrie manufacturière peuvent être en grande partie imputés au fléchissement du commerce mondial, sur fond de tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine et d’incertitudes liées au Brexit. Au T4, les volumes des échanges internationaux étaient en repli de 1 % par rapport au trimestre précédent, en particulier en raison d’une nette contraction des importations par les pays asiatiques, importants partenaires commerciaux pour l’Allemagne
(-5,6 %). Les exportations allemandes ont reculé de 0,1 % au second semestre.
La consommation privée est restée atone au second semestre 2018, en dépit de la progression des salaires et de l’emploi, comme du niveau de confiance élevé des ménages. Une situation qui peut s’expliquer par la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, qui a pénalisé le pouvoir d’achat. Par ailleurs, les achats d’automobiles ont pu être différés, en raison, du moins en partie, de problèmes de production, mais aussi du durcissement de la réglementation sur les émissions des véhicules diesel dans plusieurs grandes villes allemandes. Résultat, le taux d’épargne a régulièrement augmenté au cours de l’année, passant de 10 % au T1 2018 à 10,9 % au T4 2018, un niveau inédit depuis la mi-2008.
La croissance a principalement été portée par la consommation des administrations publiques et les investissements immobiliers, qui ont enregistré dans les deux cas une progression de 0,2 % au S2 par rapport au premier semestre. L’investissement dans les équipements est resté à peu près au même niveau qu’au S1. Sur l’ensemble de l’année, il est néanmoins ressorti en hausse de 4,2 % par rapport à 2017, soit une nette progression par rapport aux années précédentes.
D’après les enquêtes et les statistiques les plus récentes, la décélération de l’industrie manufacturière a persisté au T1 2019. En mars, le PMI manufacturier a reculé à 44,1, son niveau le plus bas depuis juillet 2012, les carnets de commandes et les nouvelles commandes de l’étranger ayant reculé au rythme le plus rapide enregistré depuis avril 2009.
Par contre, les secteurs dont la production est destinée essentiellement au marché intérieur, comme la construction et les services, ont envoyé des signaux plus positifs. L’indice Ifo du climat des affaires s’est même redressé en mars après six mois consécutifs de baisse, malgré une nouvelle détérioration de la composante manufacturière. C’est ce qui explique également l’orientation toujours aussi bonne des données sur le marché du travail. L’emploi continue de progresser, quoiqu’à un rythme moins élevé, tandis que le taux de chômage s’est replié à 3,1 % à peine en février, et que les offres d’emplois ont atteint un sommet historique (807?000 en mars).
Les caisses de l’Etat sont pleines
Suite à des rentrées fiscales en forte hausse sur fond de robustesse de la consommation et de progression des salaires, l’excédent des finances publiques s’est élevé à 1,7 % du PIB tandis que la dette publique est ressortie à 60,9 % du PIB en 2018. Cela devrait permettre au gouvernement de poursuivre sa politique expansionniste comme le prévoit l’accord de coalition.
En 2019, les mesures budgétaires discrétionnaires représenteront 0,7 % du PIB. Elles comprendront une revalorisation des pensions pour les mères de famille (Mütterrente II) et une augmentation des dépenses en faveur de la défense, de l’aide au développement, de la garde des enfants et de l’investissement. Le budget prévoit, par ailleurs, une réduction de l’impôt sur le revenu et le financement de la recherche. Le plan de relance, qui représentera 0,4 % du PIB en 2020, sera en particulier destiné aux prestations d’assurance-maladie et aux allocations familiales. En outre, le seuil d’imposition va être relevé et les tranches d’imposition seront augmentées. L’excédent budgétaire (en % du PIB) devrait reculer, selon les prévisions, à 1,2 % en 2019 et à 1 % en 2020. D’après le Conseil allemand des experts économiques (Sachverständigenrat), le déficit structurel baissera de 1,7 % en 2018 à 0,7 % en 2019 et 0,4 % en 2020.
Le ministre des Finances, Olaf Scholz, a déjà annoncé qu’il était prêt à utiliser toute la marge de manœuvre budgétaire disponible pour stimuler l’économie en cas de crise. Cependant, il est peu probable que le gouvernement qualifie de crise le ralentissement actuel. De plus, une rupture de l’accord de gouvernement pourrait créer de nouveaux remous au sein d’une coalition déjà fragile.
Solide progression de l’emploi et de la productivité
D’après les indicateurs avancés et les données réelles préliminaires (ex. commandes d’usines), le ralentissement de la dynamique de croissance devrait continuer au premier semestre 2019. La croissance pourrait se stabiliser vers le milieu de l’année, avec le dénouement des tensions et des incertitudes qui pèsent actuellement sur le commerce mondial. Nous prévoyons un redressement graduel de l’économie par la suite. La croissance du PIB pourrait progressivement s’accélérer, de 0,7 % en 2019 à 0,9 % en 2020.
Par rapport aux autres pays industrialisés, l’Allemagne se distingue par un secteur manufacturier relativement important dont la part s’élevait en 2017 à 23 % de la valeur ajoutée brute totale, contre 11 % à peine en France. C’est la raison pour laquelle l’économie allemande est l’une de celles qui pâtissent le plus du ralentissement économique actuel.
Cependant, la taille importante de l’industrie manufacturière allemande est aussi source d’avantages majeurs pour l’économie du pays. Le secteur manufacturier ayant enregistré des gains de productivité bien plus élevés que celui des services, l’Allemagne affiche de meilleures performances que la plupart des autres économies avancées en termes de production par heure travaillée. Sur la période 2012-2017, la productivité a augmenté de 0,8 % par an en Allemagne, contre 0,6 % par an en France.
L’Allemagne a, par ailleurs, réussi à intégrer dans la population active de nombreux travailleurs ayant une faible productivité, essentiellement dans le secteur des services. Entre 2012 et 2017, le nombre total d’heures travaillées a augmenté d’environ 1 % par an en Allemagne, contre 0,6 % en France.
Il est vrai que bon nombre d’emplois créés sont des emplois à temps partiel. Toutefois, grâce aux allocations de revenu, le nombre de travailleurs pauvres est resté relativement bas. Le risque de pauvreté chez les employés, c’est-à-dire tout individu en emploi dont le revenu équivalent disponible du ménage est inférieur à 60% du revenu équivalent médian national, a reculé de 10,4 % en 2014 à 8,7 % en 2017. Parmi les grands pays de l’UE, seule la France figurait en meilleure place, avec 7,5 % en 2017. En Italie et en Espagne, ce taux s’établissait, respectivement, à 15,5 % et 13,4 %.
Le redressement de l’économie allemande est généralement attribué à la mise en œuvre, en 2003-2005, des réformes du marché du travail («?réformes Hartz?»). Dans l’ensemble, ces réformes ont donné de bons résultats en termes d’accès au marché du travail et d’objectifs d’équité. Cependant, le modèle n’a pas encore été testé dans un environnement économique dans lequel les emplois se raréfient. Si la décélération économique actuelle se transforme en une longue récession, le modèle allemand pourrait avoir du mal à atteindre ses objectifs d’équité en l’absence de mesures correctrices.