Evolutions sectorielles récentes défavorables
Les évolutions récentes de la structure de l’économie ne sont pas a priori les plus favorables à un rebond significatif de l’activité basé sur l’investissement productif et la création d’emplois. Le secteur public représente environ 40% de l’économie officielle et un quart de l’emploi formel. Si, pour des raisons historiques, le rôle du secteur public dans l’économie est très important, les réformes récentes n’ont pas apporté de changements substantiels dans ce domaine. Ainsi, le secteur public au sens large reste actif dans de nombreux secteurs dépassant largement le périmètre des fonctions régaliennes et l’accès à la terre reste étroitement contrôlé. Si le secteur public a été un moteur important de la reprise économique depuis 2015, la nécessité de poursuivre la consolidation budgétaire réduit ses marges de manœuvre à moyen terme.
Le secteur privé est très hétérogène. Les petites et micro entreprises constituent la très large majorité des entreprises égyptiennes (97% du total selon la BERD). Leur part dans l’emploi total est de 68%, un niveau largement supérieur à celui des pays de la région (40% en Jordanie et 34% en Turquie). Par ailleurs, les entreprises manufacturières de grande taille actives dans les secteurs des biens de consommation et d’équipement sont principalement tournées vers le marché intérieur. Cette surreprésentation des petites et micro entreprises constitue plutôt un frein à l’investissement. Elles sont principalement actives dans le commerce, un secteur peu intensif en capital et ne requérant pas de qualification élevée.
Le poids du secteur informel
Le secteur informel représente entre 40 et 50% de l’économie. Traditionnellement ce secteur se concentre dans les secteurs agricoles, le commerce de détail, l’artisanat et la petite industrie. Les activités informelles requièrent relativement peu de capital et de formation. Etant donné, d’une part, la précarité économique dans ce secteur, et, d’autre part, la forte dépendance entre l’activité économique et les revenus familiaux, les entrepreneurs ont tendance à y privilégier les cycles courts de retour sur investissement et donc à limiter les dépenses en capital fixe trop importantes et irréversibles.
D’une manière presque mécanique, la détérioration de la situation économique des ménages entraîne la croissance du secteur informel par nécessité. Ainsi, selon une étude de l’Université américaine du Caire[8] sur les motivations des entrepreneurs égyptiens (dans les secteurs formel et informel), ces derniers sont surtout animés pas la nécessité de se procurer un revenu plutôt que par l’existence d’opportunités économiques. Selon cette analyse menée sur un échantillon de 54 pays, c’est en Egypte que la proportion d’entrepreneurs animés par la nécessité économique plutôt que la recherche d’opportunités est la plus élevée. Par ailleurs, cette proportion a augmenté significativement sur la période récente. Cela est dû à la fois à de moindres opportunités d’emploi dans le secteur formel (fort ralentissement des recrutements dans le secteur public et attentisme dans le secteur privé) et à la baisse des opportunités économiques pour les entrepreneurs. Ismail et al (2019) soulignent que ces entrepreneurs par nécessité développent dans le secteur informel une activité faiblement intensive en capital physique et en capital humain, avec des perspectives très limitées de création d’emplois.
Ainsi, la période récente d’incertitude économique et de réformes affectant le revenu disponible des ménages a favorisé le développement des activités économiques guidées par la subsistance au détriment des activités guidées par les opportunités économiques qui sont sources d’accumulation de capital productif.
Une « économie de plateforme » dynamique
Parallèlement aux dichotomies traditionnelles privé/public et formel/informel, le secteur de l’économie de plateforme s’est développé rapidement en Egypte depuis quelques années. Il est basé sur la mise en réseau d’individus « entrepreneurs » dans un secteur économique donné, le plus souvent dans le domaine des services. Dans cette économie, le secteur des transports urbains a connu un développement important et diversifié, du tricycle motorisé jusqu’au service d’autobus. Les conséquences de ce développement en termes d’emplois sont significatives même si l’on ne dispose pas de chiffres précis[9] et qu’il est difficile de faire la distinction entre une création d’emploi nette et la substitution d’un emploi informel à un emploi dans le secteur de l’économie de plateforme[10].
Le développement de l’économie de plateforme correspond à la fois à la nécessité de pallier aux insuffisances des transports au Caire et de permettre à de jeunes diplômés d’intégrer le marché du travail. Il offre une alternative supérieure au secteur informel[11] en termes d’autonomie et de flexibilité, mais ne procure pas le statut ni les garanties liés à un emploi dans le secteur formel. Si le développement de l’économie de plateforme a des conséquences non négligeables en termes d’emplois, il affecte a priori peu l’investissement productif et la productivité puisqu’il concerne essentiellement des activités de services nécessitant relativement peu de capital et de qualification.
L’Egypte a franchi une étape importante de son processus de réforme économique. Les principaux équilibres macroéconomiques sont en voie de consolidation : la liquidité en devise est stabilisée à un niveau acceptable et un solde primaire positif devrait être réalisé lors de l’année budgétaire en cours. Les perspectives sont positives à court terme. Néanmoins, même en voie de réduction, les déséquilibres demeurent, le service de la dette du gouvernement maintient le déficit budgétaire à un niveau élevé, tandis que la réduction de l’inflation est moins rapide qu’attendue. Par ailleurs, l’économie reste vulnérable à des éléments exogènes tels que le prix des matières premières ou l’appétit des investisseurs pour les marchés émergents. Au-delà, la question du niveau et du contenu en emplois de la croissance économique reste ouverte. A côté de certains secteurs très dynamiques, notamment dans les nouvelles technologies[12], une grande partie de l’économie reste orientée vers la captation de rentes[13]. La politique économique de ces dernières années se caractérise par un mélange d’anciennes recettes (interventionnisme étatique massif) et de consolidation macroéconomique. Cette dernière ne pourra pas à elle seule assurer une reprise économique durable et créatrice d’emplois.